Relations France-Algérie


Pour Thierry Oberlé, grand reporter au service étranger du «Figaro», «les dérapages antisémites de l’Algérie visent à entretenir le ressentiment contre la France ».
Mohammed Cherif Ab­bés, le ministre algérien des An­ciens Combattants, était jusqu’à présent surtout connu de ses amis de la « famille révolutionnaire », les gardiens des dogmes nationalistes hérités de la guerre d’indépendance. Son filon idéologique forme, avec la rente pétrolière, la bouée de sauvetage d’un système politique algérien usé jusqu’à la corde. Les initiés se souvenaient de lui en lecteur d’un discours retentissant d’Abdelaziz Bouteflika.
Le texte dressait un parallèle entre les camps d’exterminations nazies et les fours de boulangers dans lesquels furent brûlés les corps de victimes algériennes de la répression par les troupes coloniales des émeutes de Sétif en mai 1945. Il fut prononcé le 6 mai 2005, peu de temps après l’hommage inédit rendu aux morts de Sétif par l’ambassadeur de France Hu­bert Colin de Verdière.


« Nous ne sommes pas responsables des fautes de nos pères »


La charge du porte-voix présidentiel était assortie d’une de­mande de repentance en bonne et due forme. Elle répondait, expliquait-on à Alger, à la loi française du 23 février 2005 sur le caractère positif de la colonisation. Les polémiques qui suivirent firent capoter le projet de traité d’amitié entre la Franceet l’Algérie, que Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika avaient tenté jusque-là de mettre sur pied. L’initiative a depuis été mise entre parenthèses.
«Nous ne sommes pas responsables des fautes de nos pères», avança le nouveau chef de l’État français Nicolas Sar­kozy, sans attendre son élection en mai. Convaincu qu’il ne parviendra pas à le faire changer de cap, le camp de Mohammed Cherif Abbés a riposté en s’engageant sur un terrain glissant. Les propos ministériels aux relents antisémites visaient à conforter les présumés fantasmes de l’opinion publique arabe.
Pour les jeunes Algériens, le Juif est, depuis le début du départ de la communauté israélite du Maghreb voici une cinquantaine d’années, un « être imaginaire », selon l’expression de l’historien Benjamin Stora.
Il est défini par les images des chaînes arabes d’informations continues. C’est l’Israélien qui tire sur des enfants palestiniens de Gaza, colonise les territoires occupés et bombarde les quartiers chiites de Beyrouth.
Âgé de 71 ans, Cherif Abbés pourrait avoir l’excuse de l’ignorance s’il n’appartenait pas à cette génération qui a vécu l’époque où Juifs et Arabes vivaient ensemble dans le même pays. Il sait que cette partie de la Méditerranée fut pendant des siècles une terre d’échange où coexistaient des peuples différents.
Dans son communiqué rendu public avant-hier, le président algérien a minimisé la portée des déclarations de son ministre mais il ne les a pas condamnées explicitement. Cette ambiguïté, qui pourrait passer pour de la complicité, est au mieux un aveu d’impuissance. Huit ans après son arrivée au pouvoir, Abdelaziz Bouteflika n’est pas parvenu à réconcilier l’Algérie avec elle-même.


Une population avant tout préoccupée par les difficultés du quotidien


Dans un discours prononcé le 6 juillet 1999 à Constantine au lendemain de son investiture, il avait rappelé avec force le caractère à la fois arabe, musulman et berbère de la nation algérienne. Le président algérien avait alors réhabilité des figures jetées aux oubliettes par les historiens officiels du régime et reconnu le rôle qu’avait joué le judaïsme dans le développement culturel du pays.
Élevé au rang de symbole par Nicolas Sarkozy, le chanteur Enrico Macias devait être la passerelle entre deux mondes. Il a en fait servi de défouloir à l’antisémitisme rampant des milieux islamo-conservateurs. L’affaire serait presque anecdotique si le principal pourfendeur du chanteur n’était autre que le premier ministre et chef de file du Front de libération nationale (FLN) Abdelaziz Belkhadem. Au printemps dernier, Belkhadem, qui est un successeur possible du président sortant, semblait favorable à un pacte de non-agression avec Nicolas Sarkozy.
Les sorties de Belkhadem sur la repentance suivies des dérapages contrôlés de son ministre des Anciens Combattants sur le «lobby juif» français viennent rappeler que les milieux traditionnellement hostiles à la France ont toujours le vent en poupe dans le sérail. Les saillies sont censées entretenir le ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale parmi une population avant tout préoccupée par les difficultés du quotidien.
Très relatives, elles n’empêchent par leurs auteurs d’envoyer leurs enfants suivre des études dans les meilleures universités d’«outre-mer», de les voir faire carrière en France plutôt que dans la mère patrie et de s’offrir en toute discrétion des appartements dans les beaux quartiers parisiens ou sur la Côte d’Azur…
IN FIGARO : l'analyse de Thierry Oberlé 30/11/2007