Les présentes observations ne concernent que les harkis. Ces observations critiquent l'arbitraire avec lequel les harkis bénéficiaires d'avantages ont successivement été choisis, ainsi que l'obstination avec laquelle l'Administration continue d'utiliser diverses forclusions pour ne pas appliquer la loi.
Outre qu'au printemps 1962, le Secrétaire d'Etat aux Rapatriés, Robert Boulin, et son administration n'avaient même pas pensé que des Français Musulmans fidèles à la France se réfugieraient en Métropole, ce ne fut qu'à partir de juin 1962 que ce problème fut très partiellement abordé. Mais les quatre premières lois de 1970, 1974, 1982 et 1985 concernant les rapatriés ne bénéficièrent pas aux harkis.
Le premier texte en leur faveur fut l'article 9 de la loi n' 87-549 du 16 juillet 1987 (donc 25 ans après la proclamation de l'indépendance de l'Algérie) instituant une allocation de 60 000 francs à titre de réparation des préjudices moraux. Cette allocation était réservée aux seuls harkis ayant effectué avant le 21 mars 1967 la déclaration récognitive de la nationalité française de l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962, à l'exclusion de tous les autres harkis et des musulmans
Le Comité,le 16 juillet 2013
ARBITRAIRES PUIS FORCLUSIONS
Ayant servi dans des unités régulières.
Cette restriction ARBITRAIRE des bénéficiaires est tout à fait caractéristique des habitudes des services successifs des Rapatriés envers les harkis : on accorde quelque chose, mais on en limite arbitrairement la portée à une catégorie, ce qui aboutit à exclure les autres sans aucune raison. Le nombre de dossiers concernés par la loi du 16 juillet 1987 fut tellement inférieur aux 25 000 attendus, que la Délégation aux rapatriés, par une circulaire du 30 janvier 1989, en étendit le bénéfice à différentes catégories dont les musulmans ayant servi dans des unités régulières mais n'ayant pas effectué les quinze années de services qui leur auraient conféré le droit à une retraite militaire. Par ailleurs cette circulaire de 1989 étendit le bénéfice de l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987 aux harkis réintégrés dans la nationalité française avant le 10 janvier 1973. Les harkis réintégrés après cette date restaient donc exclus du bénéfice de la loi de 1987.
La loi n° 94-488 du 11 juin 1994 accorda une allocation de 110 000 francs à titre de reconnaissance de la République, Les bénéficiaires étaient les harkis ayant effectué la déclaration récognitive de nationalité française ou ayant été réintégrés avant le 10 janvier 1973, Les harkis réintégrés après cette dernière date restaient exclus du bénéfice de la nouvelle loi, dont l'article 5 fixait au 31 décembre 1997 la date limite du dépôt des dossiers sous peine de forclusion. Cette date de forclusion du 31 décembre 1997 fut également retenue pour l'application de la loi du 16 juillet 1987.
En 2003, deux propositions de loi, l'une du député Jean-Pierre Soisson et l'autre du député Francis Vercamer, ainsi que le rapport au Premier Ministre du député Michel Diefenbacher, non seulement n'abordaient pas la question de la forclusion du 31 décembre 1997, mais continuaient à exclure les harkis réintégrés après le 10 janvier 1973 du bénéfice de l'allocation qu'avait promise le Président Chirac dans sa campagne présidentielle. Le cas de ces harkis réintégrés après le 10 janvier 1973 fut traité par le lieutenant (h) Jacques Lévéque, ancien officier des Affaires Algériennes, dans une note de 12 pages en date du 29 octobre 2003. Cette note fut adressée à tous les membres de la Représentation Nationale. Lors des débats de politique générale sur les Rapatriés qui se déroulèrent le 2 décembre 2003 à l'Assemblée Nationale, puis le 17 décembre 2003 au Sénat, plusieurs Parlementaires utilisèrent la note du lieutenant (h) Lévéque, ce qui amena le Gouvernement dans son projet de loi n° 1499, à reporter au 1er janvier 1995, donc 22 ans après le 10 janvier 1973, la date [imite de réintégration pour pouvoir bénéficier de l'allocation de 30 000 euros qui avait été accordée par la loi n° 2005-158 du 23 février 2005, Mais les harkis réintégrés à partir du 1er janvier 1995 restaient encore à l'écart du bénéfice de la nouvelle loi. L'Administration accepta cependant certains assouplissements au sujet de cette date, car le Conseil d'Etat avait rendu le 27 juin 2005 un arrêt n° 251766 très défavorable à l'Administration en ce sens que la Haute Juridiction avait décidé que la nationalité française n'était pas nécessaire pour bénéficier de la loi du 16 juillet 1987 et de celle du 11 juin 1994. Il était évident que cette décision du 27 juin 2005 serait étendue à la nouvelle loi du 23 février 2005 dès qu'un recours serait introduit. C'est en effet ce qui se produisit avec l'arrêt n° 282390 du Conseil d'Etat en date du 6 avril 2007.
Alors qu'à la suite de l'arrêt du 27 juin 2005, l'Administration n'avait pris aucune mesure pour lever la forclusion du 31 décembre 1997 des lois du 16 juillet et 11 juin 1994, celle-ci prit en compte l'arrêt du 6 avril 2007 concernant la loi du 23 février 2005 au travers d'une circulaire interministérielle en date du 30 juin 2010 (J.O. 2 juillet 2010) ouvrant un délai de six mois se terminant le 31 décembre 2010 pour déposer les dossiers. Cette forclusion du 31 décembre 2010 remplaçait donc celle du 17 mai 2006 de l'article 3 II du décret n° 2005-477 du 17 mai 2005.
Par une décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2010, le Conseil Constitutionnel supprimait toute référence à la nationalité française pour les lois du 16 juillet 1987, 11 juin 1994 et 23 février 2005. Cette décision n'a eu jusqu'ici aucune application pratique, car la Mission interministérielle aux Rapatriés continue à se prévaloir de la forclusion du 31 décembre 1997 pour les lois de 1987 et de 1994 de celle du 31 décembre 2010 pour la loi de 2005, au motif que le Conseil d'Etat n'avait pas explicitement levé ces différentes forclusions.
Il apparait donc indispensable que d'urgence une circulaire semblable à celle du 30 juin 2010 soit publiée levant les forclusions précitées et ouvrant un délai d'un an, celui de six mois s'étant révélé trop court, pour le dépôt par les harkis retardataires ou déboutés de nouveaux dossiers de demandes d'allocations des lois de 1987,1994 et 2005.
LOI DU 23 FEVRIER 2005-CAS DES ASSIMILES-QUALITE DE RAPATRIE
LES ASSIMILES
Malgré l'insistance de la Représentation Nationale lors des débats, les musulmans ayant servi dans des unités régulières françaises furent écartés du bénéficie de l'article 9 de la loi du 11 Juillet 1987. La circulaire du 30 Janvier 1989 de la Délégation aux Rapatriés corrigea cette injustice en les inscrivant sur la liste des nouveaux bénéficiaires.
Ce fut dans la loi du 11 Juin 1994 qu'apparut pour la première fois le terme « assimilés ».
Le projet de loi ne les reprenait pas parmi les bénéficiaires. Ce fut après une vive protestation de la commission culturelle du Sénat que le Gouvernement étendit le champ d'application de la nouvelle loi aux « assimilés ».
Dans le cadre de la loi du 23 Février 2005, la Mission Interministérielle aux Rapatriés, qui en revendique la paternité, s'est livrée à un tour de passe-passe éhonté pour en écarter les assimilés et cela de la façon suivante. Dans l'exposé des motifs accompagnant le projet de loi n° 1499, le passage concernant l'article 2 du projet, qui allait devenir l'article 6 de la loi, mentionnait les militaires ayant appartenu aux forces régulières et ayant quitté l'armée avant quinze ans de services. Mais ils ne figurent pas dans le texte de loi, non plus que dans le décret du 17 Mai 2005.Puis ils réapparaissent dans la circulaire du 16 Août 2005 publiée sur papier à entête de la Mission Interministérielle aux Rapatriés à l'annexe I 2° après la page 30.
Lorsque des assimilés ont déposé une demande d'allocation en 2007, la Mission Interministérielle a opposé que les assimilés n'étaient pas des supplétifs et que la circulaire du 6 Août 2005 ne pouvait créer des catégories bénéficiaires ne figurant pas dans la loi du 23 Février 2005. Dans une note de 9 pages datée du 16 Novembre 2011 publiée dans Le journal des Combattants, le lieutenant (h) Jacques Lévéque détailla tous les éléments concernant les assimilés et demanda qu'il soit mis fin à une telle situation ce que refusa de faire le Président de la Mission Interministérielle aux Rapatriés par une lettre du 16 Septembre 2010.
Mais l'arrêt du Conseil d'Etat № 332269 du 20 Mars 2013 vient de mettre un terme à ce scandale en se référant aux travaux préparatoires, lesquels faisaient bien ressortir que le législateur avait entendu étendre le bénéfice de l'allocation de reconnaissance de la loi du 23 Février 2005 aux rapatriés « assimilés ».A la suite de cet arrêt du Conseil d'Etat, il faudra que les « assimilés » figurent sur la liste des personnes qui bénéficieront de la levée des forclusions.
2) LA QUALITE DE RAPATRIE
La qualité de Rapatrié est définie par l'alinéa 1er de l'article 1" de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer.
Le projet de loi fut débattu au Sénat le 24 Octobre 1961 (J.O, Sénat - Débats -2èmt séance du 24 octobre 1961-p 1218 et s). L'alinéa 1er de l'article 1er du projet était ainsi rédigé : « Les Français mis dans la nécessité par la suite d'événements politiques, de quitter un territoire devenu ou redevenu un Etat souverain et où ils étaient établis, sous ta souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront bénéficier de la solidarité nationale dans les conditions prévues par la présente loi. »
Après adoption de l'amendement n° 11 rectifié, puis du sous amendement n° 1, le texte de l'alinéa 1er de l'article 1er devint :
« Les Français ayant dû ou estimé devoir quitter, par la suite d'événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui antérieurement était placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront, bénéficier du concours de l'Etat, en vertu de la solidarité nationale affirmée par le préambule de la Constitution de 1946, dans les conditions prévues par la présente loi, »
C'est à l'occasion du débat de l'amendement n°11 rectifié que des précisions Importantes ont été apportées sur la qualité de rapatrié (J.O Sénat-Débats, 2e™ séance du 24 octobre 1961 p 1248 et 1249). Monsieur Henri Longchambon , rapporteur, déclara : « Nous vous demandons d'adopter le texte suivant : « les Français ayant estimé devoir »par suite d'événement politiques un territoire... Autrement dit quiconque arrive de ces territoires fixés et précisés par l'article 1er de la loi est PRESUME pouvoir bénéficier de la loi. » Monsieur Robert Boulin, Secrétaire d'Etat aux Rapatriés, confirmait aussi de son côté (idem p 1248 et 1249) : « Le Gouvernement considère que toute personne quittant un territoire du fait d'événements politiques ne le fait évidemment pas par plaisir, mais parce qu'il est contraint, à l'évidence, de le quitter. Par conséquent, nous considérons qu'il y a là une véritable PRESOMPTION que tout rapatrié qui arrive sur le territoire métropolitain a été contraint de quitter les territoires en question. Cela dit, je comprends la préoccupation de Mr Longchambon. Quant au texte qu'il propose « ayant estimé devoir par suite d'événements politiques », il est conforme à la pensée du Gouvernement et celui-ci accepte cette formulation ».
Il ressort tant du projet de loi amélioré sur Initiative parlementaire que des déclarations du Gouvernement et de la Représentation Nationale que la qualité de rapatrié est subordonnée aux conditions suivantes :
1) Il faut que des événements politiques se soient produits sur le territoire quitté.
2) Le rapatrié doit avoir été concerné ou estimé être concerné par ces événements politiques. 3) Il faut qu'il se soit réfugié en France.
4 ) Dans ces conditions, il bénéficie de la PRESOMPTION qu'il a été obligé de quitter par suite d'événement politiques le territoire où il était établi.
5) Le réfugié n'aura pas à apporter la preuve qu'il a été obligé de quitter le dit territoire et la présomption dont il bénéficie suffit par elle-même pour établir la qualité de rapatrié.
Or dans la plupart des cas, l'Administration affirme gratuitement que le rapatrié « ne justifie pas que son départ pour la France a été la conséquence directe des événements politiques liés à l'accession de l'Algérie à l'indépendance ». Ainsi l'Administration impose-t-elle au rapatrié la charge d'une preuve qui n'est pas prévue par la loi et cela en violation de la présomption qui lui a été reconnue par te Gouvernement et la Représentation Nationale, comme cela ressort des débats du 24 octobre 1961.
En suivant l'Administration sur cette prétendue obligation d'une preuve, certaines juridictions administratives ont manifesté un suivisme évident qui démontre qu'elles ne se sont même pas donné la peine de vérifier si cette prétendue charge de la preuve reposait sur un texte législatif ou s'il ne s'agissait pas d'une simple invention de la dite administration.
Les diverses juridictions administratives ont rendu des décisions contradictoires sur cette question de la qualité de rapatrié. Il ne semble pas que le Conseil d'Etat se soit clairement prononcé. Il serait souhaitable que la Représentation Nationale intervienne dans le sens défini par le Gouvernement devant le Sénat en 1961.
Jacques Lévéque, Ancien Officier des Affaires Algériennes
Membre du Comité, Chevalier de la Légion d'Honneur |