Disparition de Monseigneur Matthieu Aquilina, 99 ans, ancien curé de la paroisse Saint - Augustin à Alger.



Photo prise pendant la cérémonie d’installation de Matthieu Aquilina comme curé de Saint Augustin à Alger

Le jeudi 15 mai 1958 est le jour de l'Ascension. Sans être irrespectueux, il faut dire que nombre d'Algérois font depuis deux jours celle des escaliers qui mènent au forum. Pourtant dans l'après-midi, se déroule dans l'église Saint-Augustin une cérémonie solennelle. Il y a là l'archevêque, assisté de Mgr Jacquier, mais aussi du chanoine Rossano, du chanoine Pezet, et d'un nombreux clergé, pour accueillir le nouveau curé : l'abbé Matthieu Aquilina, dont le nom chante la souche maltaise, authentique Algérois, et qui a exercé son ministère dans de nombreuses paroisses de " l'intérieur ", comme nous disions là-bas (Blida, Azazga, Jean-Bart, Rouiba, Boufarik) avant d'être installé dans une église algéroise, à Saint-Vincent-de-Paul de Bab-El-Oued.


Monseigneur Matthieu Aquilina est au centre

Un nouveau style s'installe, mais ce changement se fait "dans la continuité" : de fait, M. le curé Aquilina homme énergique, en pleine force de l'âge, va quelquefois bousculer certaines habitudes paroissiales tout s'arrangeant, d'ailleurs aisément par la suite. Entre autres choses il va faire repeindre entièrement l'intérieur de l'église d'un crème clair lumineux, redonnant jeunesse à l'édifice, mais lui ôtant peut-être, à mon sens, cette "patine de prière" qu'il avait prise au fil des décennies. Adepte du dépouillement il va également faire disparaître les grands tableaux XlXe qui figuraient dans le choeur.

Sur le plan musical, par contre, la continuité l'emporte. Le chanoine Aquilina est un passionné de musique sacrée, et le niveau artistique des cérémonies religieuses qui se déroulent à Saint-Augustin se maintient au plus haut sous sa houlette et sa direction éclairée. Certains changements montrent bien la volonté d'enracinement du nouveau curé : la table de communion, simple balustrade en bronze, est remplacée par une rampe de pierre supportée par des pilastres, et surtout il fait sceller le maître-autel, après l'avoir fait consacrer par cet autre Algérois qu'était Mgr Jacquier (alors qu'avant, seule la pierre d'autel ayant été consacrée, l'autel n'était pas fixé dans le sol).

Il devait revenir au chanoine Aquilina de se trouver à la tête de la grande paroisse au moment de la Passion de l'Algérie française, qui entraînerait celle de la chrétienté en ce pays.

Ce furent les messes de minuit célébrées à 17 heures en raison du couvre-feu ; ce furent aussi les retombées de la guerre franco-française en Algérie : barrages, perquisitions... Depuis 1961 le père Aquilina se trouvait seul, son vicaire l'abbé Dahmar, kabyle prêtre catholique français, ayant dû partir contre son gré après les barricades de Janvier 1960 : qu'il soit ici salué.


Eglise Saint Augustin – Alger -


Ce fut un moment pénible pour le chanoine Aquilina.


D'autres allaient suivre, la vie à Saint-Augustin basculant, comme le reste de la ville, dans une sorte de cauchemar surréaliste : ainsi, le sacristain Berger, petit, bougon... et si populaire dans la paroisse, ancien résistant, marin qui avait gagné l'Angleterre, était devenu de plus en plus agité, dans cette atmosphère de barrages, bouclages, ratissages, engendrés par la chasse à l'O.A.S. : les images de l'autre guerre s'entrechoquaient avec ce qui arrivait de façon si imprévue, si injuste...

Un samedi matin raconte le chanoine Aquilina, le quartier fut cerné par les blindés, et des vagues de gardes-mobiles fouillèrent immeuble par immeuble, s'approchant de l'église ; soudain le sacristain disparut, après avoir fermé les portes de Saint-Augustin. La journée passa, puis celle du dimanche : il demeurait introuvable. Ce n'est que le lundi matin, au moment de dire, seul, sa messe matinale, que le chanoine Aquilina, croyant halluciner entendit un faible gémissement paraissant provenir... de l'autel même !

Soudain, il réalisa, et se précipita derrière celui-ci, se souvenant qu'une trappe bouchait une minuscule cavité, située derrière le tabernacle. Il l'ouvrit : le sacristain était là, recroquevillé, tremblant, hagard. L'homme était devenu fou.

La gorge se serre en évoquant ces moments, mais il fallait, n'est-ce pas, que ces choses-là ne soient pas occultées... Ce fut bientôt l'agonie de la paroisse, le départ massif des paroissiens, la dispersion de la chorale... Le 18 octobre 1962, des soudards de l'A.L.N. envahirent l'église, la dévalisèrent, saccagèrent les ornements, et la profanèrent par des souillures innommables. On imagine la suite donnée à la plainte déposée courageusement auprès de la "police locale" par l'abbé Aquilina... L'église fut alors fermée la plupart du temps. Le vénérable chanoine Rossano qui était resté aux côtés de son curé, dut partir en 1963, après avoir été agressé à plusieurs reprises par des yaouleds.