A propos
de la loi du 23 février 2005 et de son article 4 consacrant
dans les programmes scolaires "le rôle positif de la
présence française outre-mer", Jacques Chirac
avait estimé que "le texte actuel divise les Français,
il doit être réécrit". En vous chargeant
d'une mission, il avait laissé envisager que vous déposeriez
"une proposition de loi en ce sens". Pourquoi avez-vous
fait le choix de la suppression ?
J'ai souhaité que le message politique soit
clair, précis et sans ambiguïté. Ce n'est pas
à la loi de porter un jugement sur des faits historiques.
Ce n'est pas au législateur de fixer le contenu des programmes
scolaires. Je n'ai cessé, depuis un certain temps, de demander
le respect de la Constitution et de ce qui sépare le domaine
de la loi du domaine du règlement. L'alinéa 2 de l'article
4 de la loi du 23 février 2005 n'est pas du ressort de la
loi. Aussi, j'ai proposé au président de la République
de supprimer cet alinéa. Pour aller vite, pour éviter
les divisions, ne pas ressusciter les polémiques, la meilleure
voie était d'avoir recours à la Constitution, à
la faculté donnée au premier ministre de saisir le
Conseil constitutionnel pour qu'il constate que cette disposition
législative est du domaine réglementaire. Et j'ai
souhaité qu'alors le gouvernement, dans un souci d'apaisement,
supprime cette disposition.
Pourquoi "aller
vite" ?
J'avais le sentiment que la polémique
était en train de s'installer, qu'il était urgent
de revenir à ce qui est l'essence de la loi du 23 février
2005 : une loi de reconnaissance, d'hommage et donc de réparation
à l'égard des Français rapatriés. Cette
loi doit faire l'unanimité et non susciter des divisions.
En recommandant cette voie, vous ôtez cependant
à l'Assemblée nationale la possibilité de se
prononcer sur une éventuelle réécriture du
texte...
Mon souhait est qu'il n'y ait ni humiliation, ni
renoncement, ni reniement, ni repentance. Chacun a sa vérité.
J'étais parfaitement dans ma fonction de président
de l'Assemblée nationale en proposant cette suppression,
qui évite à certains de mes collègues, sincères
dans leur démarche, convaincus dans leur opinion, d'avoir
le sentiment de se dédire. J'assume, et j'assume seul, la
responsabilité de cette suppression.
Cette démarche
pourrait-elle s'appliquer à d'autres textes de loi ?
Je poursuis ma réflexion pour
éviter qu'à l'avenir des textes de loi portent des
jugements sur l'histoire. Revenons à une juste conception
de la loi. Cela nous évitera de commettre des erreurs.
Cet alinéa a suscité de vives réactions
à l'étranger, notamment en Algérie. Pensez-vous
que sa suppression pourra contribuer à lever certaines difficultés
dans les relations franco-algériennes ?
Je le souhaite, et j'espère que le traité
d'amitié entre la France et l'Algérie pourra être
signé. La France est une puissance méditerranéenne.
Si elle veut jouer un rôle, si elle veut avoir une influence,
ce n'est certainement pas en se coupant des autres pays de la Méditerranée.
Sans renier le passé — il est ce qu'il est —,
nous devons entretenir avec l'Algérie des relations confiantes.
On ne construit pas l'avenir en regardant sans arrêt vers
le passé. Je souhaite qu'il y ait par ailleurs entre l'Assemblée
algérienne et l'Assemblée nationale française
des relations aussi cordiales et respectueuses que celles que nous
entretenons avec la Chambre des députés de Tunisie
et celle du Maroc.
Au printemps 2005, l'ambassadeur de France à
Alger avait qualifié les massacres de Sétif, en 1945,
de "tragédie inexcusable". Reprendriez-vous ces
propos à votre compte ?
Regardons vers l'avenir. La responsabilité
que je prends en demandant la suppression de l'alinéa 2 de
l'article 4, la décision du président de la République
et du premier ministre doivent être considérées
comme des gestes forts et comme un message politique clair.
IN LE MONDE Propos recueillis par Patrick Roger Article
paru dans l'édition du 27.01.06
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