La commission des affaires
culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de
M. Bernard Derosier, rapporteur, la proposition
de loi de M. Bernard Derosier et plusieurs de ses collègues
visant à abroger l'article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février
2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale
en faveur des Français rapatriés - n° 2667
Après que M. Maxime
Gremetz a souligné qu'il s'associe à la démarche des auteurs
de la proposition de loi, M. Bernard Derosier, rapporteur,
a brièvement resitué la proposition de loi dans son contexte. L'article 4
de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant
reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur
des Français rapatriés n'est pas à proprement parler en lien avec
cette loi qui comporte des aspects intéressants et dont le champ
est beaucoup plus vaste. Cet article résulte en fait d'un sous-amendement
à un amendement du rapporteur, M. Christian Kert, voté par
l'Assemblée nationale en séance publique le vendredi 11 juin 2004.
Il n'est donc pas issu des travaux préalables de la commission,
qui avaient permis, à l'initiative notamment de son rapporteur,
d'améliorer la rédaction du projet de loi. Celle-ci avait d'ailleurs,
au cours de la réunion tenue en application de l'article 88
du Règlement le matin même de l'examen dans l'hémicycle, rejeté
le sous-amendement en cause.
Selon le deuxième alinéa de
l'article 4 de la loi, « les programmes scolaires reconnaissent
en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices
des combattants de l'armée française issus de ces territoires la
place éminente à laquelle ils ont droit ». Les réactions
à ce texte ont été immédiates. En particulier, l'ambassadeur d'Algérie
à Paris a souhaité savoir ce que signifiait ce vote au regard de
la position de la France dans le cadre des relations franco-algériennes.
Depuis près de deux ans, en effet, les deux pays entreprennent la
négociation d'un traité d'amitié s'inspirant des principes sur lesquels
repose le traité d'amitié conclu entre la France et l'Allemagne
en 1963. D'une certaine façon, il est possible de dire que ce texte
a mis un grain de sable dans ce cheminement.
Des réactions ont également
été exprimées en Algérie même comme a pu le constater, sur place,
le rapporteur lors d'un déplacement effectué du 1er au
6 mai dernier où, en sa qualité de président du groupe d'amitié
France-Algérie de l'Assemblée nationale, il menait une délégation
française qui a rencontré le Premier ministre, le Président de l'Assemblée
nationale, le Président du Sénat et un collège de députés algériens.
Au cours des entretiens est revenue de manière récurrente la question
de savoir ce que la France voulait signifier en adoptant une telle
disposition.
En France, les réactions émanant
de personnalités ont également été fortes, se focalisant essentiellement
sur la question de savoir si le contenu des programmes scolaires
doit être défini par la loi.
Dès lors, et pour toutes ces
raisons, il convenait d'agir. La rédaction de l'article de la proposition
de loi soumis aujourd'hui à la commission a été entreprise, ainsi
que celle de l'exposé des motifs qui devait décrire les raisons
conduisant à revenir sur la rédaction de l'article 4 de la
loi du 23 février 2005 en l'abrogeant, sans choquer les
concitoyens, qu'ils aient une approche essentiellement positive
ou plus négative des effets du processus de colonisation. Il s'agissait
de trouver un juste milieu. C'est ce qui a été entrepris, dans un
souci d'équilibre, avec l'ensemble des cosignataires de la proposition
de loi.
Le problème de fond est politique :
le législateur doit-il jouer un rôle en matière de définition des
programmes scolaires ? Il est évident que non. Les programmes
doivent résulter de la réflexion des spécialistes sur les sujets
traités. Autre question : le législateur doit-il écrire l'histoire ?
Il est évident que ce sont les historiens qui doivent se pencher
sur l'histoire et, à partir d'approches multiples et parfois contradictoires,
définir la ligne la plus proche de la vérité. Pour le reste, chacun
apprécie à sa manière la colonisation : ce n'est pas ce qui
est en cause dans le présent débat. Il faut encore insister sur
la dimension internationale de la discussion. Le nouvel ambassadeur
d'Algérie à Paris, qui n'était pas encore installé lors de la discussion
et du vote de la loi, suit de très près les débats, y compris les
conclusions des présents travaux de la commission.
Pour l'ensemble de ces raisons,
il est demandé à la commission des affaires culturelles, familiales
et sociales d'approuver le texte qui lui est soumis.
Un débat a suivi l'exposé
du rapporteur.
Le président Jean-Michel
Dubernard, après avoir salué la venue dans la commission du
rapporteur, s'est félicité de la pondération de son intervention
et notamment de l'éclairage qu'il a apporté sur le rôle de la commission
et de son rapporteur, M. Christian Kert, lors des débats préalables
à l'adoption de la loi du 23 février 2005. L'ensemble
de la commission avait alors validé une rédaction équilibrée qu'il
faut ici rappeler : « Les programmes scolaires et les
programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de
la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la
place qu'elle mérite. La coopération permettant la mise en relation
des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger
est encouragée ». C'est au cours de la séance de l'après-midi
du 11 juin 2004 que, à la suite de l'adoption d'un sous-amendement
présenté par M. Christian Vanneste, la rédaction aujourd'hui
en cause a été retenue, confirmée ensuite au Sénat - ce qui, conformément
à la procédure parlementaire habituelle, rendait « conforme »
cet article sur lequel aucune des deux assemblées ne pouvait plus
dès lors revenir pour le rediscuter ou le corriger.
Il est important d'entendre
les arguments présentés à l'appui de l'abrogation de cet article 4,
arguments qui ont beaucoup de signification et doivent être pesés
à l'aune du contexte politique international. A cet égard, il convient
de saluer l'honnêteté intellectuelle qui préside à l'analyse de
la situation effectuée par le rapporteur.
M. Maxime Gremetz
a souhaité souligner lui aussi le caractère unanime de la position
prise initialement par la commission sur cette question. On ne peut
qu'être satisfait de voir rediscutée une question dont les enjeux
sont si importants.
Il est essentiel de rappeler
qu'il convient de laisser aux historiens le soin d'écrire l'histoire.
Il n'y a aucune directive à leur donner en cette matière. Cela serait
anormal, voire même illégal, qu'une assemblée représentative, aussi
prestigieuse soit-elle, donne ainsi une ligne directrice aux chercheurs.
La recherche serait encadrée et figée et il n'est pas besoin de
développer plus avant quels en seraient les effets négatifs.
Il est aussi important de
souligner l'impact du traitement de ces questions dans les manuels
scolaires. A cet égard, il faut remarquer la pondération du rapporteur
et user d'un ton identique. Il ne s'agit pas de demander à quiconque
de modifier son jugement sur les effets de la colonisation. On ne
peut oublier que certains esprits - et non des moindres - ont bien
évolué au fil du temps sur cette question. Chacun doit rester libre
d'apprécier les effets de la colonisation, aussi divers et contradictoires
soient-ils.
C'est pourquoi le présent
article 4, au regard des relations avec les pays d'Afrique
du Nord mais aussi plus généralement de l'ensemble des pays anciennement
colonisés et avec lesquels la France noue désormais des relations
de coopération, est très choquant. Nombreux sont les parlementaires
à avoir recueilli de multiples réactions sur cette disposition.
Aucun texte juridique - ni la Constitution, ni la loi de la République
- ne doit se prononcer sur ces appréciations.
C'est la raison pour laquelle
cette proposition de loi est si importante. Il faut revenir sur
la rédaction de l'article 4 et, pourquoi pas, en reprenant
la version qui avait initialement fait consensus au sein de la commission.
M. François Liberti
a souligné l'importance de prendre en compte l'émotion suscitée
par la modification de l'article 4. Le débat a été passionné
à l'Assemblée nationale, l'opposition ayant fait connaître le risque
de modification du texte. Les réactions tant françaises qu'internationales
montrent qu'aujourd'hui il en va de la responsabilité collective
de revenir sur la rédaction de cet article 4.
Après avoir précisé qu'il
convient de ne pas focaliser le débat uniquement sur l'histoire
proche de l'Algérie mais qu'il faut tenir compte de toutes les anciennes
colonies françaises, Mme Hélène Mignon a déclaré que les
parlementaires n'ont pas à faire œuvre d'historien ni à proposer
des programmes pédagogiques. Toutefois, les propos tenus par le
Président algérien, M. Abdelaziz Bouteflika, en réaction au vote
de la loi du 23 février 2005 ont été excessifs. Il convient
en effet d'admettre que la présence française en Algérie a permis
d'accomplir des choses positives pour ce pays. Un colloque pourrait
utilement être organisé par l'Assemblée nationale afin de réunir
des historiens qui pourraient présenter leurs analyses et débattre
de sujets qui font encore polémique, comme la question des disparus
ou du sort et du vécu des populations autochtones durant la période
coloniale et la guerre d'Algérie. Une telle initiative permettrait
d'évoquer calmement ces questions sans que le Parlement prenne des
positions à l'emporte-pièce.
M. Lionnel Luca a fait
valoir que, pour comprendre l'intention du législateur, l'article 4
de la loi du 23 février 2005 devait être apprécié dans son entier
et non tronqué, en ne considérant qu'un membre de phrase pris isolément,
hors de son contexte ; Fouquier-Tinville ne disait-il pas « Donnez-moi
un morceau de phrase et je vous enverrai à l'échafaud » ?
On peut s'étonner qu'un amendement adopté en séance publique le
11 juin 2004 n'ait suscité de réactions, à l'étranger, qu'en
avril-mai 2005, qui plus est dans un seul pays, l'Algérie, où, d'ailleurs,
la polémique a été lancée pour des considérations de politique intérieure.
Et il n'est pas inutile de rappeler que la loi du 21 mai 2001,
tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage comme
crimes contre l'humanité, contient une disposition similaire concernant
les programmes scolaires, laquelle n'a pas donné lieu à une telle
polémique. Remettre de l'huile sur le feu de la question algérienne
est déplorable. Le texte adopté est bon ; il n'y a rien à y
changer.
M. Christian Kert a
déclaré apprécier la mesure des propos tenus par le rapporteur qui
a été en contact avec le monde, très sensible, des rapatriés. La
plupart des textes votés sur cette question à l'Assemblée nationale
et au Sénat l'ont été à l'unanimité. L'auteur de l'amendement n'a
pas voulu réécrire l'histoire officielle mais souhaité permettre
la mise en exergue - « en particulier » sont les
termes de la loi - des aspects positifs du passé colonial de la
France. Il n'en demeure pas moins que la première mouture du texte,
tel que proposé par la commission à l'initiative de son rapporteur
- qui tendait à « accord[er] à l'histoire de la présence
française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle
mérite » -, reste préférable.
M. Christian Kert
ayant rappelé que ce n'était pas la première fois que le Parlement
écrivait une page d'histoire, faisant référence à la reconnaissance
du génocide arménien par la loi du 29 janvier 2001, M. Maxime
Gremetz a fait observer que, sur cette question, les historiens
avaient tranché.
M. Christian Kert a
ensuite souligné que l'article 4 de la loi du 23 février 2005
était en fait une déclinaison technique de l'article 1er
de la loi qui exprime la reconnaissance de la Nation aux rapatriés
et reconnaît les souffrances qu'ils ont endurées. Au Sénat, Mme Gisèle
Printz, porte-parole du groupe socialiste, a d'ailleurs apporté
le soutien de son groupe au texte de l'article 4 en indiquant
qu'il méritait son approbation. Enfin, il convient de réfléchir
aux conséquences très négatives d'une décision d'abrogation de l'article 4
au sein des communautés harkie et de rapatriés. Si le Parlement
faisait machine arrière, ce serait considéré par ces communautés
comme un abandon. Un message négatif sur la période coloniale serait
ainsi donné et ne manquerait pas, dans le contexte actuel, d'être
utilisé à des fins peu recommandables par certains. En outre, un
vote d'abrogation serait considéré comme l'exécution, par la représentation
nationale, d'un diktat du président algérien dont les attaques contre
la France sont inacceptables.
Le président Jean-Michel
Dubernard a salué les propos, marqués d'une grande honnêteté
intellectuelle, de M. Christian Kert. Ils tiennent parfaitement
compte à la fois de la dimension nationale de la question et du
contexte international dans lequel elle s'inscrit, notamment des
devoirs de la France vis-à-vis de certaines populations. Ils montrent
la difficulté de traiter la proposition de loi à un moment qui n'est
peut-être pas le meilleur.
M. Michel Liebgott
a estimé qu'il appartient au législateur de tendre à un équilibre
et de ne pas mettre de l'huile sur le feu. La loi ne doit pas faire
l'histoire, ni la juger. Or l'histoire de la France en Algérie s'écrit
encore aujourd'hui. On peut rappeler les réactions lors du match
France-Algérie du 6 octobre 2001 (lorsque la Marseillaise a
été sifflée dans l'enceinte du Stade de France), les propos du président
Abdelaziz Bouteflika ou les agitations dans les banlieues, événements
qui invitent le Parlement à rester à l'écart des débats entre historiens.
Les débats autour de la date de commémoration des victimes de la
guerre d'Algérie montrent également la difficulté à aborder cette
histoire. Tandis que la date du 19 mars s'était installée durablement
dans le calendrier commémoratif, un décret de septembre 2003 du
Président de la République, M. Jacques Chirac, a institué le
5 décembre journée nationale d'hommage aux « Morts pour la
France » en Afrique du Nord avec instructions données aux maires
de substituer cette date à la précédente pour les commémorations
réalisées dans leurs commune. Cela montre les difficultés qui peuvent
surgir lorsque l'on ravive des plaies qui étaient en voie d'être
fermées, alors même que tous les élus locaux ont la volonté de faire
vivre en harmonie la diversité des communautés. C'est pourquoi la
proposition du rapporteur de supprimer l'article 4 est opportune.
Le président Jean-Michel
Dubernard a souhaité que l'on ne commence pas à débattre sur
la date du 5 décembre, à la fois pour ne pas s'éloigner de l'objet
du texte examiné aujourd'hui et pour éviter le retour de joutes
verbales.
M. Maxime Gremetz a
rappelé que l'histoire est faite par les peuples. A ce titre, elle
ne peut être réécrite. Il a fallu cinquante ans pour que les événements
d'Algérie soient enfin et officiellement reconnus comme une guerre
et non comme de simples opérations de maintien de l'ordre public
ainsi que tous les gouvernements successifs, jusqu'en 1999, et de
nombreux manuels d'histoire les présentaient.
Il a ensuite déclaré qu'en
tant qu'ancien d'AFN, il pouvait témoigner du traumatisme des appelés
du contingent partis en Algérie. Il n'est pas possible d'écrire
l'histoire par la loi ou de donner des orientations à la recherche.
En raison de la proximité de ces événements, et de la diversité
des points de vue, le Parlement n'a pas intérêt à susciter un débat
supplémentaire.
En réponse aux différents
orateurs, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :
- Les contacts fréquents avec
l'ambassadeur d'Algérie en France et les autorités algériennes sur
place confirment qu'il convient de ne pas focaliser le débat sur
l'article 4 sur le seul cas algérien.
- Le rapporteur n'a
pas de jugement sur l'intérêt de la rédaction initiale de l'article 4
de la loi du 23 février 2005 - sur laquelle il n'a pas eu à se prononcer
n'étant pas membre de la commission lors de son examen - ni non
plus d'opposition de principe à son encontre. Il faut apprécier
ce texte au regard de l'intérêt de la France dans un contexte international
et national très mouvant. Ainsi, depuis la publication de la loi,
la presse algérienne fait état très régulièrement de réactions fortement
hostiles à l'égard de la France, faisant appel à l'histoire en évoquant
la répression sanglante de l'armée française lors des événements
de Sétif le 8 mai 1945 ou la répression policière lors de la
manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. Le président Abdelaziz
Bouteflika, lui-même, suit une démarche similaire lorsque récemment
il concluait un discours public en accusant la France d'avoir quitté
le sol algérien sans laisser le plan de certains champs de mines
antipersonnelles.
- C'est un programme d'apaisement
de ce passé douloureux en Algérie et dans tout le Maghreb qu'il
faut conduire. Cela va dans le sens de l'intérêt national car la
France est en mesure de servir de trait d'union entre l'Europe et
les pays du Maghreb, ces derniers étant très demandeurs d'un rapprochement
avec l'Union européenne. Il s'agit également de contenir l'offensive
des Etats-Unis pour s'imposer en lieu et place de la France comme
le partenaire privilégié de ces pays. Il ne s'agit nullement de
faire un procès d'intention à qui que ce soit mais de tenir compte
des conséquences de la loi votée et de l'article incriminé.
Le président Jean-Michel
Dubernard a proposé de ne pas engager la discussion des articles,
de suspendre les travaux de la commission et de ne pas présenter
de conclusions sur le texte de la proposition. Cette position n'empêche
ni la discussion en séance publique ni la publication d'un rapport
incluant le compte-rendu des travaux de la commission au cours desquels
chacun a eu tout loisir de s'exprimer.
Suivant la proposition de
son président, la commission a décidé de suspendre l'examen de
la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.
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