Mon histoire, mon expérience
personnelle m'autorisent à le dire avec tranquillité
et fermeté : l'histoire de la présence coloniale
française en Afrique, en Asie et en Amérique mérite
mieux que l'artificielle polémique que certains tentent
de développer.
S'emparant de façon simpliste de la loi du 23 février
2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale
en faveur des Français rapatriés, certains mouvements
prétendent que le Parlement voudrait instaurer rien de
moins qu'une histoire officielle.
Puisque procès en rigueur scientifique il y a, revenons
au texte.
L'article 1er de la loi dispose : "La Nation exprime sa
reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé
à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements
français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine
ainsi que dans les territoires placés antérieurement
sous la souveraineté française" , et plus loin
l'article 4 indique : "Les programmes de recherche universitaire
accordent à l'histoire de la présence française
outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle
positif de la présence française outre-mer, notamment
en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices
des combattants de l'armée française issus de ces
territoires la place éminente à laquelle ils ont
droit."
Les griefs contre ces articles laissent pantois : ils conduiraient
à la mise en place d'une histoire officielle sur la colonisation,
ils feraient peser une contrainte injuste sur la manière
dont les enseignants exercent leur métier, ils nieraient
les aspects négatifs de la colonisation. J'ai même
lu qu'ils auraient été inspirés par des parangons
de l'OAS !
Je dois dire, non sans une certaine gravité, que ces sujets
sont suffisamment douloureux pour éviter de créer
des passions supplémentaires, sources de nouvelles blessures.
Je revendique pleinement la reconnaissance exprimée aux
rapatriés et aux harkis. Ce texte contient d'importantes
mesures matérielles qui répondent à des injustices
que la France tolérait parfois depuis près de cinquante
ans et qu'il convenait de faire cesser. Mais, au-delà,
cette loi a également un volet "mémoire"
très important.
Si nous voulons apaiser les souffrances des rapatriés
et des harkis, nous devons d'abord reconnaître la réalité
de ce qu'ils ont fait, de ce qu'ils ont subi. Ce n'est pas nier
les aspects sombres qu'a pu revêtir la colonisation qu'en
reconnaître les aspects positifs.
De même, si nous voulons intégrer les jeunes issus
de ces régions, nous devons leur apprendre que leurs aînés
ont eu un rôle majeur dans les guerres du XXe siècle.
Si nous voulons établir des relations nouvelles, fortes
et durables, avec des pays devenus nos partenaires et nos amis,
nous devons aussi le faire en regardant l'histoire en face. Il
n'aura d'ailleurs échappé à personne que
la disposition critiquée s'inscrit dans un ensemble cohérent
d'initiatives fortes prises dans le domaine de la mémoire
ces trois dernières années, et, jusque tout récemment,
avec l'Algérie en particulier. Toute lecture en dehors
de ce contexte est tronquée et, dès lors, trompeuse.
Je trouve indigne que la reconnaissance de la contribution des
combattants venus de l'outre-mer, d'Afrique, du Maghreb et d'Asie
pour combattre à nos côtés soit méconnue.
Ce rôle doit aussi être connu pour la guerre de 1914-1918.
Qui sait que la Mosquée de Paris a été bâtie
en reconnaissance des sacrifices des soldats musulmans tombés
au champ d'honneur pendant la Grande Guerre ? Les Français,
les enfants de ces combattants, ne doivent pas ignorer cette fraternité
d'arme. Il n'y a aucune raison pour que ce qui a été
fait outre-mer, en près de deux siècles, par des
hommes et des femmes de toutes origines, conditions, convictions
et nationalités, continue à être oublié.
Qui peut raisonnablement contester leur engagement et leur apport
positif dans tant de domaines : routes, ponts, avancées
médicales, sanitaires...
Laisser cette vérité de l'histoire dans l'ombre
serait malhonnête et injuste, tout comme le serait la négation
des tragédies, des injustices et des erreurs commises dans
cette même période.
En ajoutant une disposition sur les programmes scolaires dans
la loi, les parlementaires ont simplement voulu que ces aspects
positifs de la présence française outre-mer ne soient
pas occultés. De quelque manière qu'on lise la loi,
on ne voit nulle part qu'il conviendrait de nier ou de cacher
les aspects négatifs, voire dramatiques, de cette longue
période.
Nulle part, on ne voit l'esquisse d'instructions données
aux historiens ou aux enseignants. Il est évident que les
historiens et les enseignants travaillent et travailleront comme
ils l'entendent. Ils ont toujours été libres en
France, et on voit mal qui voudrait les contraindre. Prétendre
imposer une pensée officielle aux historiens et diffuser
une histoire homologuée en classe serait stupide et n'a
jusqu'à présent été réalisé
sur notre continent que par les régimes totalitaires. Ni
le législateur ni le gouvernement n'en ont eu le projet,
ni même l'idée.
Il appartient aux historiens d'écrire l'histoire et aux
enseignants de l'enseigner. Il appartient à la République
de rendre à ses enfants l'hommage qui leur est dû
et au législateur de créer les conditions d'un travail
serein. Je ne vois vraiment pas au nom de quoi les représentants
de la Nation ne pourraient pas s'exprimer sur ces sujets qui devraient
être réservés à des spécialistes
plus ou moins autoproclamés.
Loin de ces polémiques infondées, notre priorité
est à la réconciliation des mémoires, à
l'apaisement des passions, tant en France qu'avec les peuples
auxquels nous lie un passé commun et, plus encore, un avenir
à écrire ensemble.
Par Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué
aux anciens combattants
In Le monde article paru dans l'édition
du 08.05.05