Le projet de loi sur les "Français Rapatriés"
déçoit les Rapatriés et les Harkis.
Peut-on en finir avec la souffrance des familles
de harkis par le vote d'une loi ? La question revient à
l'ordre du jour, avec l'examen en seconde lecture, à l'Assemblée
nationale, jeudi 10 février, du projet de loi "portant
reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur
des Français rapatriés".
Signe d'une gêne chronique ou d'un manque
d'empressement, voici déjà près d'un an que
ce texte, censé réparer des dommages vieux de plus
de quarante ans, a été présenté en
conseil des ministres. Depuis lors, ballotté au gré
des aléas du calendrier parlementaire, le projet a été
modifié, sans pour autant faire taire la grogne des associations
de défense des harkis. Celles-ci n'admettent pas que le
texte soit immuablement présenté par Hamlaoui Mekachera,
ministre délégué aux anciens combattants,
comme destiné à solder définitivement une
tragédie de l'histoire.
Au cours de débats parlementaires, en
juin à l'Assemblée, puis au Sénat en décembre,
le projet a été enrichi sur ses deux versants :
celui, symbolique, des mots destinés à exprimer
la " reconnaissance" (les intéressés auraient
préféré la "responsabilité")
de la France, et celui, sonnant et trébuchant, des compensations
financières.
Ainsi, un article destiné à "
associer" pieds-noirs et harkis à l'hommage aux anciens
combattants d'Algérie désormais rendu le 5 décembre,
avait été ajouté par les députés.
Mais les sénateurs ont préféré l'expression
globale de "rapatriés d'Afrique du Nord", au
grand dam des harkis qui, après avoir longtemps vécu
sous la tutelle souvent condescendante des pieds-noirs, veulent
voir affirmer leur spécificité, alors que le gouvernement
préfère exprimer "l'unité et la solidarité"
de ces populations.
Comme par compensation, un article a été
ajouté, "interdisant" toute " injure ou
diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes
en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki
(...)" et toute " apologie des crimes commis contre
les harkis (...) après les accords d'Evian", sans
qu'aucune sanction n'ait été précisée.
Les dispositions financières elles-mêmes
ont été élargies afin que les descendants
de harkis décédés avant le renforcement de
l'indemnisation prévu par le texte ne soient pas oubliés.
En cas de décès des deux parents, les enfants de
harkis se partageront une indemnité de 20 000 euros (contre
30 000 pour leurs parents s'ils sont vivants).
Mais le texte reste muet sur ce qui reste la
blessure personnelle des enfants de harkis : avoir été
parqués et scolarisés pendant des années
par les autorités françaises dans des camps ghettos,
subissant une "perte de chance" dont leur taux de chômage
et leurs graves difficultés de vivre sont aujourd'hui la
marque.
"LE COMBAT CONTINUE"
Cette réalité, reconnue en 2001
par Jacques Chirac, n'est pas suffisamment prise en compte, estiment
les associations et amicales de rapatriés qui viennent
de rendre publique une pétition où elles réclament
notamment "l'attribution d'allocations aux personnes ayant
transité par les camps". "Le combat continue
pour la deuxième génération qui a subi un
handicap psychologique et moral, affirme Boaza Gasmi, président
par intérim du Comité de liaison des harkis. Je
ne peux pas considérer cette loi comme un reçu pour
solde de tout compte."
Face à cette détermination, Hamlaoui
Mekachera assure que les objectifs de reconnaissance que s'était
fixés le gouvernement sont atteints par le texte, qu'il
" ne ferme pas la porte" mais qu'"aujourd'hui,
il ne peut pas l'ouvrir davantage". Pour l'avenir, il met
en avant la création d'une "Fondation pour la mémoire
de la guerre d'Algérie, et des combats du Maroc et de la
Tunisie". Roger Benmebarek, préfet honoraire, a été
chargé par le premier ministre d'imaginer cette institution
destinée à "favoriser une approche sereine
et scientifique de cette période encore douloureuse de
notre histoire contemporaine".
Philippe Bernard
ARTICLE PARU DANS
L'EDITION DU MONDE du 10.02.05
IN THE LE MONDE | 09.02.05 | 14h13