1. Sa première intervention est celle du Rapport pour la République algérienne associée à la France,rédigé avec Henry Frenay au printemps de 1957.
- Reçu à l'ENA en 1956, M.Rocard adhère au Comité social d'étude et d'action pour la paix en Algérie.
Il s'oppose à la politique algérienne de Guy Mollet et Robert Lacoste, et anticipe la création en sept.1958 d'un Parti socialiste autonome, précurseur du PSU.
Il estime que l'armée est hostile à la population algérienne, laquelle appuie totalement le FLN ; ceci est une erreur historique en 1958 (fraternisation du 16 mai et avis de Mohammed Harbi).
2. Sa deuxième intervention est la rédaction le 17 février 1959 d'une Note sur les centres de regroupement, à l'attention du Délégué général de la France en Algérie.
Affecté en Algérie en septembre 1958, M.Rocard a été informé par Jacques Bugnicourt, officier SAS à Orléansville, du déplacement des populations dans des centres de regroupement, afin qu'ils ils échappent au contrôle du FLN.
Cette note, diffusée par le Monde du 18 avril, fait état de la situation tragique du million d'Algériens déplacés,qui sont menacés par la famine et par la mortalité infantile élevée (un enfant sur mille tous les deux jours ! ).
M. Rocard n'a visité qu'une quinzaine de Centres de regroupement, principalement dans l'Orléansvillois, alors qu'il y en a déjà plus de mille.
Il souligne qu'un crédit de 100 millions de nouveaux francs a été demandé pour soutenir ces regroupements.
Réalité historique (1).
3. Les médias semblent ignorer les réactions négatives du Délégué général Delouvrier, qui déclare le 16 mai 1959 qu'il n'a pas donné mandat de faire ce rapport, et que la mortalité infantile dans les regroupements
est inférieure à ce qu'elle était dans les anciennes mechtas.
En août 1959 Delouvrier écrit à la Ligue des droits de l'Homme que la Note de Rocard constituait une information partielle, et que le but des regroupements consistait à créer 1000 nouveaux villages destinés au développement économique et social de l'Algérie, dans le cadre du plan de Constantine.
Grâce aux regroupements, la scolarisation des jeunes musulmans passe de 15% en 1954 à 40% en 1960 et 65% en 1961.
4. Un compte-rendu sur les centres de regroupement avait été demandé par le général Salan à 5 Inspecteurs généraux, dont la synthèse avait été confiée au préfet R. Martin ( 31 janvier 1959).
M. Rocard semble ignorer ces C.R.. D'autre part Eric Westphall, affecté au cabinet Delouvrier, dément l'existence d'un crédit exceptionnel de 100 millions (1 miliiard planifié en 1959).
Affecté à la Direction de l'Agriculture, J. Bugnicourt rédige en 1960 un rapport favorable aux nouveaux centres ruraux (les 1000 villages), sans faire référence au rapport de son ami Rocard.
Le GPRA publie des critiques virulentes des regroupements de populations, qu'il assimile à des camps de concentration; mais les C.R. des wilayas et des mintakas reconnaissent la réalité : "Nous sommes coupés de tout ;
la population ne nous suit plus ". C'est une des causes de la révolte de Si Salah.
5. Il est apparu que pour des raisons de sécurité, certains regroupements ont été opérés sans préparation,et que certains n'étaient pas viables (article Macaigne dans le Figaro du 22 juillet 1959).
Ils seront interdits par le Délégué général en mai 1960.
Des jugements négatifs ont été publiés ultérieurement par des historiens qui ne les ont pas visités : Bourdieu en 1964, Cornaton en 1967, Ageron en 2000, Kamel Kateb en 2001.
Xavier de Planhol, géographe universitaire, a visité les villages blidéens en 1959-60, et publié un mémoire favorable aux regroupements : le niveau de vie moyen s'est sensiblement relevé; les resserrements ont permis l'instauration d'une vie communautaire et le développement d'infrastructures matérielles et scolaires.
Les autorités militaires reconnaissent à la fois les difficultés rencontrées et les réussites de l'opération en matière de sécurité et de développement (généraux Beaufre, Olié, Gambiez, Parlange, Vanuxem, colonel Trinquier).
Le général Rondot, expert du renseignement, fait l'éloge de " l'extraordinaire entreprise de construction humaine "
qu'il a vue dans le centre créé par le colonel de Saint-Simon.
Rares sont les avis défavorables des chefs de SAS.
90% des personnes déplacées ont préféré en 1962 rester dans les nouveaux villages, qui selon Bruno Etienne, sont devenus les villages socialistes de la Révolution algérienne.
(1) - Maurice Faivre. Les 1000 villages de Delouvrier. Protection des populations musulmanes contre le FLN. Esprit du Livre, 2009.
- Xavier de Planhol. Les nouveaux villages de l'atlas blidéen. PUF 1961.
- Archives de Delouvrier (1DV17), de l'armée de terre (1h1096 - 2576) , de l'outremer (15 CAB /143), de la Commission de Sauvegarde (F60-3156) et du CICR (BAG 251 008 012).
- ouvrages des auteurs cités.
Maurice Faivre |