Le martyre du père Jean Le Vacher

LE DEY D'ALGER avait déclaré la guerre à la France en 1681.

Duquesne fut chargé par Louis XIV d'y répondre en 1682. Il partit de Toulon et se présenta devant Alger en juillet 1682 ; il bombarda la ville au mois d'a août. Mais l'expédition tourna court en raison du mauvais temps.

Au printemps 1683, Duquesne reprit la mer avec une flotte plus importante que l'année précédente : partis de Toulon le 23 mai 1683, les Français arrivèrent à Alger en juin et, dans la nuit du 26 au 27 juin, commencèrent à bombarder la ville : 222 bombes furent tirées, causant la mort de près de 300 personnes.

Le dey Hassan demanda la paix sous la pression de la population.

Duquesne accepta une trêve à la condition qu'on lui remît tous les esclaves chrétiens. A l'expiration de la trêve, Duquesne précisa les conditions de la paix :
— la liberté de tous les esclaves ;
— une indemnité équivalant à toutes les prises faites sur les navires français ;
— une ambassade solennelle pour demander pardon au Roi des actes de guêtre contre la France.

Le dey refusa ces conditions. Mais une révolte éclata et Hadji Hussein prit la tête des janissaires : il fit mettre à mort le dey et fit arborer le drapeau rouge au sommet de la citadelle, en signe de reprise des hostilités.


Aux bombes de la flotte française, les assiégés algérois répondirent par le massacre des chrétiens et d'abord du consul de France : le père Jean Le Vacher, qui périt à la bouche d'un canon avec seize autres Français.


Le père Jean Le Vacher était un lazariste né le 15 mars 1619 à Ecouen (Val d'Oise). Saint Vincent de Paul l'envoya à Tunis le 22 novembre 1647 comme aumônier du consulat de France. A Alger, ce fut Philippe Le Vacher, frère de Jean, qui y fut placé en 1650.

A Tunis, le père Jean Le Vacher dut affronter une épidémie de peste et son dévouement fit merveille auprès des malades ; atteint lui-même de la maladie, il en réchappa.
Il avait la charge de près de 6 000 esclaves chrétiens et, finalement, il cumula les fonctions d'aumônier et de consul de France à Tunis jusqu'en 1653. Puis il en fut déchargé pour ne s'occuper que des esclaves de Bizerte. Il avait été nommé en 1652 vicaire apostolique pour réorganiser les tâches des prêtres locaux. Revenu à Tunis en 1657, son zèle déplut à l'administration turque et il fut rappelé à Paris en 1666.

 

Cependant, la situation s'était dégradée à Alger et il y fut envoyé pour débarquer le 23 mai 1668. Il remit en état l'hôpital qui menaçait ruine, le cimetière des chrétiens à l'abandon et diverses chapelles de la ville. En 1676, il fut nommé consul de France à Alger. C'est alors qu'une nouvelle épidémie de peste ravagea Alger. Lui-même fut atteint par la maladie et il souffrit d'ulcères et d'œdèmes des jambes ; il en arriva au point d'être paralysé des deux jambes. Sans se plaindre, il se dévouait à ses multiples tâches lorsque les rapports entre Paris et Alger empirèrent. En mai 1679, le roi envoya la flotte commandée par Tourville devant Alger

Le père Le Vacher se fit médiateur entre l'amiral et le dey et la guerre fut évitée ; Tourville reprit la met le 13 mai 1679. Mais les relations restaient tendues et, lorsque Louis XIV exigea la libération de 83 esclaves français, le dey rompit les relations avec la France en 1681.
C'est ainsi que Duquesne bombarda Alger en 1682, puis en juin et juillet 1683.

 
 

Le martyre

Le dey avait demandé au père Le Vacher de s'entremettre. Duquesne exigeait la libération de tous les esclaves français ; 546 furent livrés, mais les notables d'Alger étaient furieux d'avoir perdu leur bien et ils se révoltèrent contre le dey. Les négociations furent donc rompues et l'amiral abandonna, avec quelque légèreté, le père Le Vacher et quelques autres Français à la merci des Barbaresques. Des émeutiers s'emparèrent du lazariste et, comme il ne pouvait marcher, on le porta jusque sur le môle. On l'attacha à la bouche d'un canon, le dos tourné à la mer.

« Tu ne mourras pas si tu veux porter le turban » (1) lui dit le commandant de la troupe. « Garde ton turban et qu'il périsse avec toi ! Sache que je suis chrétien et qu’à mon âge, on ne craint pas la mort. J'abhorre la fausse loi de Mahomet et je ne reconnais que la religion catholique, apostolique et romaine pour la seule véritable dont je fais profession, et pour laquelle je suis prêt à répandre jusqu'à la dernière goutte de mon sang », répliqua le missionnaire.

Comme il était connu des Turcs et respecté pour sa piété, sa douceur et sa charité, personne ne voulut mettre le feu au canon. Tous y compris les Juifs refusèrent d'allumer la mèche. Un renégat accepta mais, lors de la mise à feu qui déchiqueta le martyr, il fut gravement blessé au bras et il essuya les quolibets de la foule, émue par le courage du prêtre. Les restes du corps du martyr et de ses habits furent ramassés par les chrétiens, qui les conservèrent comme de précieuses reliques. Une vingtaine d'autres chrétiens périrent de la même façon.

 
 

Quant au canon, baptisé La Consulaire pour avoir servi à tuer les consuls de France Jean Le Vacher en 1683 et André Piolle en 1688 ou Baba Merzoug en arabe, il a été transporté en 1830 à l'arsenal de Brest par l'amiral Duperré et érigé en colonne sur un socle de granit qui porte l'inscription suivante :

- La Consulaire prise à Alger le 5 juillet 1830, jour de la conquête de cette ville par les armées françaises, l'amiral Baron Duperré commandant l'escadre. Sa Majesté Louis Philippe régnant-le vice-amiral comte de Rigny, ministre de la Mâtine - le vice-amiral Bergeret, préfet maritime.

Les autorités algériennes ont réclamé depuis 1990 le canon, mais les autorités françaises ont refusé de le céder.

Il demeure un symbole de l'honneur et de la gloire de la France.

Paul-André Maur
(1) Le turban était l'insigne officiel des musulmans turcs.

Source : journal Présent du 19 avril 2015