In memoriam Roger Degueldre (1925-1962)

 

Un témoignage historique inédit, émouvant

   

Le lieutenant Roger Degueldre, avant d'être fusillé au Fort d'Ivry le 6 juillet 1962, n'avait voulu requérir devant les hommes qu'un seul témoignage au cours de son procès : celui du colonel Hervé de Blignières, qui avait été son chef en Indochine, puis dans la clandestinité de "l'OAS Métro".

La Cour Militaire de Justice n'aurait eu aucun mal à faire comparaître sous bonne escorte cet unique témoin de la défense, le colonel de Blignières se trouvant alors en prison...
Mais le général De Gaulle intervint immédiatement en personne pour interdire cette déposition.

Secours de France publie ici l'intégralité du témoignage que le colonel de Blignières adresse alors aussitôt par écrit au général présidant la Cour Militaire de Justice, témoignage qui - sur ordre de l'Elysée -ne sera pas lu ni versé aux minutes du procès.

C'est un document historique, totalement inédit, particulièrement émouvant et précieux pour tous ceux qui, comme nous, s'attachent à rétablir la vérité sur le combat de ces hommes exceptionnels qui ont tout sacrifié à l'idée qu'ils se faisaient de la France, et de la parole donnée.

Mon Général : à l'heure où le Lieutenant Roger Degueldre est appelé à comparaître devant la Cour de Justice Militaire, j'ai l'honneur de solliciter de votre pouvoir discrétionnaire l'autorisation d'apporter mon témoignage en faveur de mon ancien subordonné.

Je tiens à le faire à un double titre : d'abord parce que j'ai contracté envers lui une dette personnelle de reconnaissance du fait que, voici douze ans, en Indochine, il m'a sauvé deux fois la vie dans la même journée ; ensuite parce que, comme officier de Légion, j'ai le devoir de rendre l'hommage qu'elle mérite à l'exceptionnelle carrière qui l'a conduit si rapidement de simple Légionnaire au grade de Lieutenant à titre étranger.

Je connais Roger Degueldre depuis l'été 1948, où il servait déjà comme maréchal-des-logis-chef dans mon escadron du Premier Etranger de Cavalerie.

Pendant plus de deux ans, je l'ai eu sous mes ordres directs en Indochine. Je l'y ai retrouvé à mon deuxième séjour, alors qu'il servait au Bataillon Etranger de Parachutistes. En prenant en 1958 le commandement du 1er REC en Algérie, fort de la réputation du Sous-Lieutenant Degueldre dans toute la Légion, j'ai cherché à le récupérer pour son régiment d'origine, en arguant d'une blessure au genou qui lui rendait pénible le saut en parachute. Bref, je n'ai cessé de le suivre jusqu'à la fin de 1960 où j'ai quitté l'Algérie.


Il avait tout arraché au feu


Si, pour un Légionnaire, la carrière de Degueldre est fulgurante, ses titres de gloire ne sont pas moins exceptionnels. Ses grades successifs, comme ses innombrables citations, sa Médaille Militaire et sa Légion d'Honneur, il les a tous arrachés au feu - ce qui, même pour un soldat de carrière, n'est malheureusement pas si commun...

Depuis quelques temps, une campagne d'intoxication de l'opinion publique tend à minimiser, sinon ridiculiser, les décorations accrochées aux poitrines de ceux qui n'ont cessé de se battre hors d'une métropole qui voulait tout ignorer des sacrifices de l'armée. Devant de hautes personnalités militaires, il serait malvenu de ma part d'insister sur le prix du sang versé par nos soldats de métier, notamment les Légionnaires. Mais, concernant les exploits de Degueldre, je tiens au moins à préciser l'un d'eux, dont j'ai été à la fois le témoin et le bénéficiaire.

Le 21 janvier 1950, dès les premières minutes d'une reconnaissance sur un poste récemment pris par le Viet-Minh, le maréchal-des-logis-chef Degueldre perdait son officier et 9 des 24 Légionnaires que comportait son peloton amphibie. Seul, sans aucun soutien, il faisait face à une compagnie ennemie.

Non seulement il permettait à tout l'Escadron d'intervenir une heure plus tard, mais entre-temps, fixant un adversaire dix fois supérieur en nombre, il récupérait ses morts, ses blessés, et tout l'armement perdu.

A l'heure de l'assaut, apr ès trois heures d'un combat acharné, il était toujours là avec sa poignée de Légionnaires, et devait encore ramasser sur le terrain son Capitaine (moi-même) et un autre officier, fauchés quelques instants avant la conquête de la position Viet-Minh.
     

Quinze ans de lutte et de don de soi


Le détail des faits n'apporterait rien de plus, puisque ce résumé prouve que Degueldre faisait déjà preuve, non seulement d'un courage physique et d'un sang-froid extraordinaires, mais aussi de dons de commandement qui n'ont cessé par la suite, bien avant l'heure, de lui valoir ses responsabilités d'officier. Son comportement au combat a toujours été de la même veine, et je doute que tous ces beaux esprits qui, à son sujet, évoquent allègrement le sens de l'Honneur et du Devoir, aient une notion bien nette de ce que ces mots signifient de "don de soi" pour un homme qui a donné l'assaut pendant quinze ans dans la jungle et la rizière, dans les djebels et au cœur des oueds.

 
 
     

Un homme de son intelligence et de son ouverture d'esprit ne s'impose pas cette lutte permanente s'il n'a la foi en la valeur de son combat. Il me semble que la personnalité du Lieutenant Degueldre se caractérise surtout par une volonté de fer et une générosité naturelle au service d'un idéal à la mesure de son équilibre physique et moral, comme de son culte de l'Honneur.

Dans le cadre des missions d'après-guerre de l'Armée Française, dans le moule de la discipline de la Légion Etrangère, dans le respect de l'éthique que ce corps d'élite a su proposer à ses hommes, la forte personnalité de Degueldre a pu trouver son épanouissement. Conformément aux traditions de cette Arme, je ne m'aventurerais pas à décrire le "jardin secret de son âme", mais je sais ce qu'il a été comme soldat et je connais les objectifs de ses combats.
Le meilleur, et de beaucoup !

Sur le plan professionnel, je dirai simplement que parmi les sous-officiers placés sous mes ordres en Indochine, il était le meilleur et de beaucoup, montrant déjà la classe et la maturité qui devaient lui valoir quelques années plus tard son galon d'officier dans les unités de parachutistes.

Il y a deux ans encore, plusieurs unités se le disputaient come un des meilleurs de sa génération : en seize ans de Légion, Degueldre, dont les qualités de baroudeur s'étaient affirmées de façon éclatante, n'est jamais apparu comme une sorte d'aventurier. Bien au contraire : son sens de la discipline la plus stricte et sa conscience professionnelle le rangeaient dans la catégorie la plus classique et la plus solide de nos cadres. Sa finesse, sa sensibilité et aussi son doigté dans le commandement l'éloignaient de cette caricature brutale et simpliste qu'une certaine littérature se plaît à trouver sous le képi blanc.

Mais Degueldre est aussi un passionné pour qui la compromission, la demi-lâcheté envers soi-même et l'attentisme dans l'action apparaissent comme autant de crimes contre l'Honneur militaire. Je ne doute pas qu'il n'ait été fortement impressionné par tous les aspects de cette guerre qu'il n'a cessé de mener outremer aux points les plus dangereux.


Comment Degueldre aurait-il pu oublier ?


Il me paraît impossible qu'en 1961, il ait oublié les drapeaux rouges à faucille et marteau qu'il glanait des 1949 avec ses hommes dans les marais de la Plaine des Joncs ; impossible aussi qu'il ait effacé de son regard la marée humaine de ces Tonkinois qui, en 1954, s'accrochaient à nos barreaux déjà pleins de soldats abandonnant au Viet-Minh le delta du Fleuve Rouge ; impossible enfin qu'au cœur d'Alger, voici un an, il n'ait pas revécu "sa" bataille de 1957 pour délivrer la capitale algérienne de la terreur FLN ; qu'il n'ait pas songé aux centaines de morts de "son" régiment dans ses victoires de Guelma ; qu'il n'ait pas rêvé à l'allégresse pacifique et chargée d'espérance des journées de fraternisation de mai 1958, dont il était un peu l'auteur... On ne gagne pas trois batailles sans foi chevillée au corps, et Degueldre, avec le 1er REP, avait gagné aux frontières, il avait gagné à Alger, il avait gagné la paix du Forum.

La raison d'Etat peut s'autoriser de motifs supérieurs pour tout détruire. Rien ne permet de tuer l'âme d'un soldat !

Par une suite de maladresses de commandement qu'il ne m'appartient pas d'exposer, dans un contexte général d'abandons inscrits sur le terrain, on a voulu détruire cette âme en Roger Degueldre, en brisant mieux que l'épée qu'il n'avait cessé de tenir pour la défense de son drapeau. Car, que peut-il bien rester dans l'âme d'un soldat dont on renie la foi en la valeur de son combat et l'espérance en la valeur de son sacrifice mille fois renouvelé ?

L'univers légionnaire ne vit que de Foi, d'Espérance et d'Honneur. En détruisant ces trois vertus, il ne reste plus rien, rien surtout pour un idéaliste comme Roger Degueldre.


Parce que je le connais, parce que je le sens, parce que je le sais...


Au nom des 10.000 Légionnaires qui, pendant les six ans de campagne de Roger Degueldre en Extrême-Orient, sont tombés en Indochine pour l'Honneur, simplement pour l'Honneur de l'Armée Française -parce qu'ils ne se sont tout de même pas battus pour que le drapeau rouge du Viet-Minh flotte un jour sur la citadelle du 5ème Etranger d'Infanterie...

Au nom des 2.000 Légionnaires qui, pendant les six ans de campagne de Roger Degueldre en Algérie, ont été tués sur le sol algérien, encore pour l'Honneur de nos armes - parce qu'ils ne se sont tout de même pas battus pour que le drapeau vert et blanc du FLN flotte un jour sur le quartier Vienot de Sidi-Bel-Abbès...

Au nom de tous ces Légionnaires morts au champ d'Honneur de la France parce qu'ils ont cru comme Degueldre que, sous les couleurs françaises, on ne pouvait se renier, que derrière des officiers français on ne pouvait abandonner des tombes, que sous l'uniforme français on ne pouvait renoncer sans combat.
Au nom de tous ces étrangers qui ont donné leur cœur, leur force et leur sang à la France, parce qu'un Degueldre le leur demandait au sein d'une Légion Etrangère née avec l'Algérie Française et qui meurt avec elle.

Je vous conjure de croire, mon Général, parce que je le connais, parce que je le sens, parce que je le sais, parce que toute sa vie de Légionnaire le proclame, que le Lieutenant Roger Degueldre, en se battant jusqu'au bout, n'a voulu suivre que le chemin de l'Honneur.

             
 
 

- Hervé Le Barbier de Blignières -
- (Hennebont, 1914 – Mordelles, 1989), ou encore Hervé de Blignières, est un officier français chef d’état-major de l’OAS en métropole.
Il naît en 1914, dans une famille qui comptera 16 enfants. Hervé de Blignières est sorti de Saint-Cyr en 1937, promotion Maréchal Lyautey. Il a combattu en Belgique en 1940 à la tête de 80 cavaliers du 31e Dragon. Fait prisonnier par les Allemands, il tenta sept fois de s'échapper durant ses cinq années de captivité. Il a été libéré en 1945. Il a été par la suite affecté à l'Ecole militaire de cavalerie de Saumur.
En 1948, il entre à la Légion étrangère.

Capitaine, envoyé en Indochine, il commande le 2e escadron du 1er régiment étranger de cavalerie qui combat en Cochinchine. Il quitte l'Indochine en novembre 1950 avec trois citations à l'ordre de l'armée.
En 1953, il sort premier de sa promotion à l'École supérieure de guerre.
Commandant en 1954, il se porte volontaire pour un nouveau séjour en Indochine ; il est chargé de former les officiers vietnamiens devant assurer la relève des officiers français. Rentré en France en 1956, il participe à la réforme des études à l'École supérieure de Guerre.
Promu lieutenant-colonel en mars 1958, il participe aux préparatifs des événements du mois de mai en Algérie.
En août 1958, il prend le commandement du 1er régiment étranger de cavalerie chargé de la pacification du Constantinois.
En 1960-1961, il est chef d'état-major de l'OAS en France. Arrêté en septembre 1961, condamné en septembre 1963 à six ans de détention abusive, il est libéré fin décembre 1965.
Il fut le président de l'Association pour la sauvegarde des familles et enfants disparus enlevés par le FLN en Algérie.

 
 
 
 

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