Tout débute par des rumeurs le vendredi 3 août 1934 au soir, près de la mosquée Sidi Lakhdar dans le centre de Constantine, lorsqu’un Juif, Eliahu Khalifa, voisin de l’établissement religieux rentrant sans doute ivre chez lui, aurait fait preuve d’un comportement inconvenant envers des musulmans effectuant leurs ablutions. Il aurait, dit-on, uriné contre le mur de la mosquée ; d’autres prétendent qu’il aurait professé des propos injurieux envers le Prophète.
La propagande antisémite relayée par des militants venus de métropole ou issus de la population coloniale incite, au début du XXe siècle, les masses algériennes musulmanes à s’en prendre aux juifs, alors que des rancœurs nationalistes et religieuses ont resurgi après la promulgation du décret Crémieux en 1870.
Les musulmans sont amenés à regarder les communautés juives de
leur pays d’un œil jaloux et à leur envier leur situation économique, résultat de leur statut de citoyen français.
Le soir de vendredi 3 août 1934, à Constantine, Eliaou Khalifa, un zouave juif de 46 ans, pris de boisson aurait injurié un petit groupe de Musulmans, rassemblés dans la cour d’une mosquée de Constantine assez célèbre, Sidi Lakhdar. Selon ces derniers, Eliahou Khalifa aurait également uriné sur le mur de la mosquée. Entre les musulmans et les locataires de l’immeuble du zouave commence alors une bataille et des coups de feu retentissent.
La police et les soldats interviennent et vers trois heures du matin on compte 15 blessés dont 3 agents de police. Un musulman blessé par balle décèdera un peu plus tard. 6 magasins juifs sont saccagés et plusieurs voitures abimées. Le lendemain, les notables des deux communautés sont convoqués par le préfet.
La mort d’un musulman au cours de la répression enflamme les passions et ni les prêches des grandes personnalités juives et musulmanes de Constantine, ni les injonctions des autorités ne permettent d’endiguer la fureur croissante des masses populaires. Le 5 août, des bandes armées investissent le quartier du Marché. Des coups de feu sont tirés et des rixes éclatent en pleine rue. Des émeutiers, qui ont investi des maisons juives, égorgent leurs occupants alors que les soldats et officiers présents sur les lieux restent inactifs, suivant les consignes de non-interventions édictées par leurs supérieurs.
Le lendemain, on voit des personnages marquants juifs et musulmans s’activer à prêcher la modération à leurs coreligionnaires – d’un côté, M. Lellouche, président du Consistoire et conseiller général, et le Grand Rabbin Halimi; de l’autre côté, le Grand Mufti de Constantine, le Cheikh Ben Badis, grand réformiste religieux, et le Docteur Bendjelloul, conseiller général et un des chefs du mouvement nationaliste du Constantinois.
L’afflux important aussi bien d’habitants de la région environnante que de Constantine elle-même vers le quartier du Marché et en particulier vers la Place des Galettes n’avait rien d’inhabituel en soi. Néanmoins, comme pour distinguer le dimanche 5 août des jours de marché normaux, de nombreux hommes jeunes sont armés, le plus souvent de couteaux, de rasoirs ou de matraques; certains portent même des armes à feu, malgré l’interdiction légale qui vise les indigènes musulmans.
Le dimanche matin, une réunion d’indigène se tient sous les pins, hors de la ville, M. Ben Djelloul, conseiller général et l’un des politiciens les plus turbulents, doit y prendre la parole. On l’attend. Soudain, la fausse rumeur qu’il vient d’être assassiné se répand. Aussitôt c’est la ruée vers la ville…. les rues sont gardées par d’importants détachements, la foule indigène se jette dans les ruelles du quartier arabe et vient déboucher dans la rue Nationale où se trouvent nombre de magasins juifs.
Des rixes judéo-musulmanes qui éclatent au quartier du Marché ne tardent pas à prendre de l’ampleur. Au cours de la première phase des troubles du 5 août, deux groupes de Juifs tirent de nombreux coups de feu par les fenêtres de leurs appartements – actes d’auto-défense ne manquant pas ainsi d’enflammer les passions des émeutiers.
Les magasins juifs sont incendiés et des familles juives égorgées dans leurs maisons.
On guette les véhicules qui circulent sur les artères principales de la ville, ainsi que par ses issues, afin d’attraper des Juifs qui tentent d’échapper au carnage.
Suivant des consignes de non-intervention, soldats et officiers (à de rares exceptions près) ne font que jouer le rôle de spectateurs, ne disposant d’ailleurs que d’armes dépourvues de cartouches.
Vers 16 heures, un bataillon de tirailleurs reçoit enfin des cartouches après disposition du général de division Kieffer et du député-maire Morinaud rentré précipitamment en ville. Ordre est alors donné de faire usage des armes après sommations traduites en arabe.
Au bout de deux heures d’efforts, les militaires mettent fin au pogrom et rétablissent le calme. Mais la police et l’armée seront intervenues trop tardivement pour arrêter le carnage qui se solde par 27 morts : 25 juifs, dont 14 hommes, 6 femmes et 5 enfants ; 2 arabes ; près de 50 blessés et 200 boutiques et magasins juifs saccagés ou incendiés.
L’émeute ne se produit pas exclusivement à Constantine mais aussi dans tous les villages ou petites villes aux alentours (pourtant parfois à plus de cent kilomètres de là) où des Juifs résident : Aïn Baïda, Bizot, Mamma-Plaisance, Jemmapes, Kroubs, Kenchala et même Bougie. La vieille maison mauresque des Tenoudji-Cohen installés à Aïn Baïda est saccagée durant les émeutes, durant lesquelles une dizaine de blessés sont à déplorer et plusieurs dizaines de magasins sont pillés.
Il est essentiel d’évoquer les nombreux témoignages ou actes de fraternité, de solidarité, voire de sauvetage, provenant tant des populations européennes que musulmanes. Des voisins ou des inconnus arabes ont sauvé de nombreux Juifs lors des émeutes ; des voisins européens aussi. L’historien Robert Attal doit sa propre survie à un fellah de Bizot, un certain Serradj Abdallah. Un médecin arabe a également alerté tôt le matin du 5 août Benjamin et Mardochée Cohen-Tannoudji de l’imminence du danger.
Après l’événement, des organisations comme la L.I.C.A. (Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme, fondée à l’origine pour dénoncer les pogroms en Russie et venir en aide aux populations victimes) militeront pour que soient établies clairement les responsabilités du drame.
L’organisation humaniste proposera aussi que le décret Crémieux soit appliqué également aux musulmans.
Sources :
- http://www.israelactu.com/11575/le-pogrom-de-constantine-daout-1934/
-http://archituto.forums.fm/t3-topic
- http://lesjuifsdeconstantine.com
- http://www.morial.fr/pages/le-pogrom-de-constantine.html
|