Ce fut d’abord une appellation qui rappelait l’époque de la Résistance
dont plusieurs de ses futurs inspirateurs avaient gardé la nostalgie : “Organisation Armée
Secrète”.
Une appellation fort peu politique et dépourvue de signification idéologique.
Elle
correspond assez bien à ce que fut cette “organisation” assez peu organisée, dont on peut retenir trois composantes et plusieurs significations.
L’OAS fut d’abord le mouvement de résistance des Européens d’Algérie (à l’époque, on ne
disait pas “pieds noirs”) après l’échec du putsch des généraux du 22 avril 1961. Ces Français
se sentaient trompés et abandonnés, menacés dans leur existence. Ils pressentaient qu’ils
seraient contraints de fuir leur pays sous le coup d’une épuration ethnique voulue par le FLN
algérien avec la complicité de l’Etat français. Celui-ci déchaina en effet toutes ses forces
contre les victimes de sa politique avant et après les “accords” d’Évian (18 mars 1962). Il
brisa par la force la révolte de Bab el-Oued (quartier européen et populaire d’Alger) comme
l’armée soviétique à Budapest en 1956. Il fit tirer sur la foule désarmée devant la Poste
d’Alger, le 26 mars 1962 (63 morts). Il assista passivement aux enlèvements et égorgements
d’Européens par le FLN et aux massacres d’Oran (5 juillet 1962). Il ne fit rien pour aider et
accueillir le flot des rapatriés qui cherchèrent refuge en France à partir de juillet 1962. Il laissa
massacrer les harkis en leur retirant la nationalité française, tout en interdisant à l’armée de les
secourir. Dans son livre “Un Silence d’État”, s’appuyant sur les archives officielles,
l’historien Jean-Jacques Jordi (Editions Soteca, 2011) a apporté la preuve que les violences de
l’OAS ont été des ripostes désespérées aux violences visant les Européens, et ne peuvent en
aucun cas justifier celles de l’État français ou du FLN.
L’historien Jean Monneret a apporté
des preuves identiques concernant les massacres d’Oran (“La tragédie dissimulée, Oran, 5
juillet 1962”, Michalon, 2012).
En ce temps-là, il y avait en Algérie un peu plus d’un million de Français ou assimilés,
présents depuis plusieurs générations. Ils n’étaient en rien responsables du sort cruel qui
s’abattait sur eux. Dans leur révolte désespérée, concentrée principalement à Alger et Oran, ils
trouvèrent le soutien d’un nombre important d’officiers, parmi lesquels le général Salan et le
fameux lieutenant Roger Degueldre (fusillé le 6 juillet 1962), organisateur à Alger des “commandos Delta”. Cela introduit à la deuxième composante de l’OAS qui était militaire.
Avant, pendant et après le putsch des généraux, de nombreux officiers (Godard, Gardes,
Argoud) acceptèrent de tout sacrifier (carrière, confort, liberté), par sens de l’honneur et leur
idée du devoir. L’histoire de la France, n’a connu aucune révolte militaire d’une telle ampleur
impliquant nombre de généraux (Salan, Jouhaud, Gardy, Vannuxem, Faure) sans compter
ceux du putsch (Challe et Zeller). Au total, les juridictions spéciales mises en place par de
Gaulle ont prononcé contre des militaires trois condamnations à mort suivies d’exécutions,
170 condamnations à des peines criminelles et 324 condamnations à la prison pour “activités
subversives”. Par ailleurs, dans la seule année 1961, 1300 officiers démissionnèrent. En tout,
de 1963 à 1967, 7172 officiers choisirent de quitter l’armée. On n’avait jamais vu cela ! Cette
révolte est d’autant plus surprenante qu’elle fut dirigée contre un officier célèbre (il est vrai
plus politique que militaire), porté au pouvoir en mai 1958 par les siens dans le but de sauver
l’Algérie française.
Les généraux et officiers qui rejoignirent l’OAS en 1961 considéraient le
général de Gaulle comme un traître à la promesse de Mai 58 et aux engagements solennels
pris à l’égard des populations d’Algérie (notamment les Musulmans). Ils voyaient en lui un
traître à l’idée qu’ils se faisaient de la France, et un traître également à l’image idéale du
général rebelle de Juin 1940. Je renvoie sur ces différents points à mon essai détaillé, “De
Gaulle, la grande et le néant” (Le Rocher, 2008).
La troisième composante de la grande révolte fut plus idéologique. Elle a concerné
principalement la France métropolitaine. L’OAS y reçut le soutien d’une fraction de la droite
nationale issue parfois du gaullisme et de la Résistance (Soustelle, Bidault) et d’intellectuels
brillants (Raoul Girardet, Roger Nimier, Jacques Laurent, Philippe Héduy ou Jules
Monnerot). Elle mobilisa des militants idéalistes, souvent très jeunes, assez fous pour se
lancer dans une aventure où jamais un esprit censé ne se serait embarqué. C’est aussi en
métropole que naquit le seul projet stratégique cohérent, conçu par le lieutenant-colonel
Bastien Thiry (fusillé le 11 mars 1963). Pour combattre la politique algérienne du général de
Gaulle, il pensait logiquement qu’il fallait frapper à la tête. Tel fut le but de divers attentats
manqués, notamment celui du Petit-Clamart, le 22 août 1962. En raison de sa date
(postérieure à l’indépendance de l’Algérie), cet ultime attentat se voulait plus un geste de
vengeance ou de justice qu’un acte politique.
Résistance sans idéologie, sans buts politiques ni stratégie bien définie, sans véritable chef (le
général Salan n’était qu’un chef nominal), l’OAS ne pouvait qu’échouer alors que se liguait
contre elle le mouvement universel de la décolonisation, le recul historique d’une Europe
culpabilisée, la lassitude ou l’hostilité de l’opinion française, la volonté implacable et
méprisante du général de Gaulle devant qui les amateurs naïfs et désespérés de la révolte
n’étaient pas de taille.
Certainement, il fallait trouver des solutions au drame algérien, mais
concernant l’abandon pur et simple adopté en catastrophe par le général de Gaulle, il n’était
pas possible d’agir de façon plus désastreuse pour l’avenir, indigne et cruelle à l’encontre de
nos compatriotes. Comme tant d’autres mouvements clandestins, l’OAS ne fut pas à l’abri de
querelles internes qui prirent un tour tragique quand furent exécutés à Alger les deux
dirigeants du “Front nationaliste”, Michel Leroy et René Villard (19 janvier 1962) qui
reprochaient à l’Organisation son absence de stratégie politique. Il reste qu’en dépit de
l’échec, subsiste le souvenir d’hommes de droiture et de courage que la postérité, parfois
honore, comme cela fut le cas récemment pour le commandant Denoix de Saint-Marc ou pour
le commandant Guillaume, dont le souvenir altier imprègne Le Crabe-Tambour, film
unanimement admiré de Pierre Schoendoerffer.
Au regard de l’histoire, cette révolte de la population européenne d’Algérie (et d’une partie de
l’Armée) contre les forces d’un État trahissant sa fonction protectrice, peut être regardée
comme une anticipation. Oui, une sorte d’anticipation extrême et inaboutie des “populismes”
qui naîtront ultérieurement dans une Europe soumise par les oligarchies dirigeantes à de
catastrophiques invasions migratoires de peuples inassimilables porteurs d’une religion
politique conquérante. Inversement, au plan des idées, il faut bien voir que cette révolte n’a
apporté que confusion, hormis la "critique positive" qui en fut faite."
Dominique Venner, né le 16 avril 1935 à Paris, est un historien français, auteur de plusieurs ouvrages Ancien dirigeant de la revue Enquête sur l'histoire, il dirige La Nouvelle Revue d'Histoire depuis sa création en 2002.
De Gaulle : la grandeur et le néant : essai, Éd. du Rocher, Monaco et Paris, 2004, 304 p. (ISBN 2-268-05202-8) -
|