Le 30 avril 1961 paraît le décret de dissolution du 1er régiment étranger de parachutistes.

 
 
 

Comment une unité d’élite fut le fer de lance d’un putsch de généraux. “Adieu vieille Europe […] pour le ciel si brûlant de l’Algérie. Adieu souvenirs, notre vie va finir”, dit un chant de marche de la Légion.


Treillis camouflé, béret vert orné de l’insigne des troupes aéroportées : le 1er régiment étranger de parachutistes fut l’une des plus belles unités de l’armée française. L’Indochine futson berceau, l’Algérie son tombeau. Issu des bataillons étrangers de paras, il connut des moments de gloire avant sa participation au putsch des généraux d’Alger.

     
 

C’est un ancien légionnaire qui allait signer, le 30 avril 1961, jour anniversaire de Camerone, le décret de dissolution de ce régiment de Légion : Pierre Messmer, combattant de Bir-Hakeim devenu ministre des Armées du général de Gaulle.

Le Rep était né en 1948 en Algérie. Ce n’était pas encore le Rep mais le 1er bataillon étranger de parachutistes. Le 12 novembre 1948, le 1er Bep, que commande son fondateur, le capitaine Segrétain, rejoint l’Indochine et débarque à Haiphong. Le 9 février 1949, le 2e Bep, constitué au Maroc et dans le Constantinois, arrive à Saigon.
Le 1er Bep va connaître en Indochine ses pires moments de souffrance. Première épreuve : la RC4 – la route coloniale 4. Elle serpente au Tonkin, le long de la frontière avec la Chine, dans un décor dément de collines calcaires aux pentes abruptes couronnées d’une jungle épaisse.

Des postes de l’armée française la jalonnent.

Mais en 1949, avec la prise de pouvoir des communistes en Chine, le Viêt-minh dispose d’une puissante base arrière de laquelle peu vent lui parvenir des armes et des approvisionnements.
D’où la décision du commandement français, en septembre 1950, d’évacuer Cao Bang et les postes situés sur la RC4 au nord de Lang Son, considérés comme indéfendables.
Le plan prévoit qu’une colonne partie de Lang Son, aux ordres du lieutenant-colonel Lepage, un artilleur, ira à la rencontre de la garnison de Cao Bang évacuée sous les ordres du lieutenant colonel Charton, officier de Légion expérimenté. Puis les deux colonnes, ayant fait leur jonction, se replieront ensemble sur Lang Son, à 130 kilo mètres au sud-est de Cao Bang.

La manoeuvre se transforme en calvaire, dans la jungle où grouille l’ennemi. Le bataillon, “suprême pensée et suprême espoir” comme la Garde impériale à Waterloo, ne peut empêcher le désastre face à un adversaire très supérieur en nombre et bien armé. Les blessés français sont achevés à la baïonnette. Le lieutenant-colonel Charton échappe à la mort grâce à ses galons, mais connaîtra de longues années de captivité dont il sortira brisé à jamais.

Le bataillon perd tous ses commandants de compagnie et plus de la moitié des chefs de  section ; il ne compte que 9 officiers et 121 légionnaires rescapés. Son chef, Segrétain, a été tué.
Le général Giap, qui commande l’armée du Viêt-minh, lui fera rendre les honneurs militaires.
À la fin de 1952, le 1er Bep reconstitué tient à sa revanche à Na San, toujours au Tonkin.
Sur ordre du général Salan, qui commande le corps expéditionnaire, un camp retranché a été aménagé dans cette cuvette située à 190 kilomètres au sud-ouest de Hanoi. La Légion, notamment ses deux bataillons paras, constitue la moitié des effectifs. L’objectif, attirer l’ennemi dans une nasse pour l’abattre, est atteint : les divisions de Giap se brisent sur la position.
Par malheur, on voudra refaire Na San. Ce sera Diên Biên Phù. Le 1er Bep du commandant Guiraud, première unité de Légion à poser le pied dans le camp retranché, y est parachuté le 21 novembre 1953. Il compte 654 hommes, dont 19 officiers. Le 13 mars 1954, Giap attaque.

Retenant la leçon de sa défaite à Na San, il a installé, en secret, de l’artillerie acheminée à dos d’homme sur les collines couvertes de jungle entourant le camp. Les points d’appui sont pilonnés ; les assauts se succèdent. En avril, les Français comptent 4 000 combattants contre l’équivalent de deux divisions viêt-minh, soit 40 000 hommes.

Des moments pour la gloire, d’autres pour l’amertume

Le camp reçoit des renforts ; parmi eux, le 2e Bep. Cela ne suffit pas à combler les pertes.
Le 25 avril 1954, le commandant Guiraud prend le commandement du “bataillon de marche des Bep”. Subsiste alors l’effectif d’une compagnie pour le 1er Bep, de deux compagnies pour son frère jumeau. Le 7 mai, les troupes de Giap submergent le camp retranché. Après Cao
Bang, le bataillon connaît sa deuxième mort.

Il renaît à la fin de l’année 1954 avec, à sa tête, le commandant Jeanpierre, et quitte l’Indochine en février 1955 pour l’Algérie. D’abord envoyé dans l’Aurès, bastion de la rébellion, et le massif des Nementchas, le bataillon de vient un régiment. Ainsi naît le 1er Rep, basé à Zéralda, à l’ouest d’Alger. Il sera de tous les coups durs.

En 1956, Nasser nationalise le canal de Suez. Français et Britanniques montent une formidable opération pour en reprendre le contrôle. C’est ainsi que le 1er Rep débarque à Port-Fouad le 6 novembre. Mais il n’ira pas plus loin. Les pressions conjointes de Washington
et de Moscou font reculer Londres et Paris.

Quelques mois plus tard, le général Jacques Massu, commandant de la 10e division parachutiste à laquelle appartient le 1er Rep, reçoit pour mission de liquider les groupes terroristes qui ensanglantent Alger.
Un “boulot de flic” accompli sans plaisir, mais qui vaudra néanmoins aux officiers chargés de l’accomplir d’être désignés comme tortionnaires. Plus tard viendra le “plan Challe” consistant à casser, par de grandes opérations regroupant les unités de choc, l’appareil militaire du FLN. Là encore s’illustreront les légionnaires parachutistes.

Deux hommes d’exception vont attacher leur nom à l’histoire du 1er Rep : Pierre Jeanpierre et Hélie Denoix de Saint Marc. Pupille de la Nation – son père, capitaine d’infanterie, a été tué en 1916 –, Jeanpierre rejoint la Légion dès 1937, après avoir fait ses classes à Saint-Maixent.

La guerre lui vaut ses premières décorations, et la résistance une déportation à Mauthausen-Dora.
En 1948, capitaine, il est affecté à Philippeville au 1erBep. En 1950, c’est la tragédie de la RC4 : devant l’épuisement du commandant Segrétain, il prend la tête du bataillon. Absent de Diên Biên Phù (il était déjà affecté en Algérie), il reçoit en octobre 1954 le commandement du 1erBep reconstitué. Un an plus tard, le voici commandant provisoire du bataillon transformé en régiment, dont le chef titulaire est le lieutenant-colonel Brothier. En mars 1957, en pleine bataille d’Alger, il prend officiellement le commandement du 1er Rep ; il sera blessé en octobre lors de la capture de Yacef Saadi, opération qu’il dirige personnellement.
La prise de risque personnelle, telle est la constante de la “méthode Jeanpierre”. Au début de 1958, lors de la “bataille des frontières”, son régiment se trouve en gagé dans le nord du Constantinois. Dédaignant tout armement lourd, inadapté à une forme de guerre qui réclame avant tout souplesse et rapidité, les paras légionnaires remportent d’impressionnants succès contre les unités de l’ALN. Ces combats, Jeanpierre les dirige à par tir de son Alouette, hélicoptère léger extrêmement maniable, survolant au plus près les zones d’affrontement pour diriger les manoeuvres.

“Si ça tourne mal, je prends tout sur moi”

C’est ainsi qu’il trouve la mort au djebel Mermera, dans la région de Guelma, le 29 mai 1958.

Une balle coupe l’arrivée d’essence de son hélicoptère, qui s’écrase au sol. Le général de Gaulle, revenu au pouvoir depuis peu, viendra s’incliner le 6 juin sur sa tombe provisoire à El-Alia.
En juillet 1961, la 146e promotion des officiers de Saint-Cyr-Coëtquidan sera baptisée “Colonel Jeanpierre”.

À ce moment, cependant, le 1er Rep n’existe plus. Sa descente aux enfers s’est amorcée à mesure que se précisait la volonté du chef de l’État de conduire l’Algérie à l’indépendance.

De nombreux officiers ont vécu avec douleur la fin de l’Indochine française et l’abandon de populations restées fidèles à la France. Ils ont connu l’humiliation de l’expédition manquée de Suez.
Ce qui leur est annoncé, c’est, à leurs yeux, une nouvelle défaite alors même que, sur le terrain, la guerre est gagnée. Et une fois de plus, l’abandon des populations fidèles.

Une défaite et un abandon de trop.

Un homme incarne ce refus : Hélie de Saint Marc. À bien des égards, le destin de cet officier d’une parfaite droiture s’identifie à celui du lieutenant-colonel Jeanpierre. Entré comme lui dans la Résistance, il a lui aussi connu la déportation. Il a servi sous ses ordres dans les légionnaires parachutistes. Il a, avec lui, participé à l’expédition de Suez.
Directeur de cabinet du général Massu en 1957-1958, il a vécu les deux batailles d’Alger. Et s’il n’était pas dans le Constantinois lorsque Jeanpierre s’y est fait tuer, il a retrouvé le 1er Rep en 1961, comme adjoint du colonel Guiraud, l’ancien de Diên Biên Phù.

Au début de 1961 se produit un événement inouï dans les annales de la Légion étrangère, où discipline et obéissance constituent des principes fondamentaux : trois officiers du 1er Rep, parmi lesquels le commandant de la 1re compagnie, le capitaine Pierre Sergent, refusent de partir en opération.
Pour eux, le combat n’a plus de sens, ajouter des morts à d’autres morts leur paraît criminel et stupide. Évitant le conseil de guerre, les trois rebelles sont mutés.

Ces troubles de conscience n’épargnent pas Saint Marc. Déchiré entre son devoir de soldat, son sens de l’honneur et le pressentiment de la tragédie, il va se rallier à la personne du général Challe, ancien commandant en chef en Algérie, qui, le 22 avril 1961, choisit de se dresser contre le pouvoir légal, non pas pour le renverser mais pour lui prouver qu’il a tort. Et Saint Marc s’embarque dans l’aventure. « Si ça tourne mal, dit-il à ses capitaines de compagnie,  je prends tout sur moi. »
L’aventure tourne court. Le 1er Rep a constitué le fer de lance de la prise d’Alger au bénéfice des généraux rebelles, Challe, Jouhaud, Zeller et Salan. En état d’arrestation, les légionnaires quittent leur camp de base de Zéralda en reprenant les paroles de la chanson d’Édith Piaf dont ils vont faire aussi la célébrité : « Non, rien de rien, non, je ne regrette rien… »

Une page de l’histoire de la Légion se tourne. Cinquante ans plus tard, les capitaines, qui ont 80 ans, en gardent, intacte, la nostalgie.

Claude Jacquemart
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Hélie de Saint-Marc, les combats d'une vie, par Frédéric Pons
1958, les pleins pouvoirs à De Gaulle, par Valentin Goux

À lire

Les Parachutistes de la Légion, de Pierre Montagnon, Pygmalion, 358 pages, 21,50 €; Lieutenant-colonel
Jeanpierre, soldat de légende, de Raymond Muelle, L’Esprit du livre, 254 pages, 22 € ; Hélie de Saint Marc,
de Laurent Beccaria, Perrin, coll. “Tempus”, 316 pages, 9 €.







Source : http://www.valeursactuelles.com/histoire/actualités/1er-rep-”adieu-aux-souvenirs”20110526.html