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Avoir brutalement retiré aux harkis la nationalité française, puis les avoir livrés aux massacres, n'est-ce pas un crime contre l'humanité?
 
       
     
 

Hors Série tout à fait remarquable de la
Nouvelle Revue d'Histoire sur l'Algérie.


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Par le Général Maurice Faivre.


Quand éclate le soulèvement de la Toussaint 1954, la plupart des unités nord-africaines se trouvent encore en Indochine, et le recours aux supplétifs, destinés à renforcer les troupes régulières d'appelés ou d'engagés(1), s'impose aussitôt. Dans les Aurès, à la suite de l'assassinat de l'instituteur Monnerot et du caïd Sadok, l'ethnologue Jean Servier confie à l'agha Merchi, de la tribu des Touabas, la défense d'Arris.

Cette initiative sera suivie de la formation d'autres catégories de supplétifs: Groupes mobiles de protection rurale, Maghzens, Harkas et Groupes d'autodéfense (GAD).

L'engagement de supplétifs est proposé dès novembre par le préfet de Constantine et par M. Vaujour, directeur de la Sûreté générale. François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur, signe en janvier 1955 l'Instruction de création de trente goums de cent hommes: ce sont les Groupes mobiles de protection rurale (GMPR), qui deviendront ensuite Groupes mobiles de sécurité. Il y aura 114 GMS en 1962.

Le 5 septembre 1955, le gouverneur Jacques Soustelle crée les Sections administratives spécialisées (SAS), chargées d'encadrer les zones rurales. Protégées par un maghzen de 25 à 50 moghaznis, 700 SAS seront peu à peu créées sous le commandements de jeunes officiers. Elles seront complétées par 30 Sections urbaines (SAU). Elles contribueront à l'armement de 2 000 villages en autodéfense.

Une nouvelle étape est franchie le 8 février 1956 quand le général Lorillot prescrit de former des harkas (troupes mobiles) dans chaque « quartier » d'Algérie, à l'imitation de ce qui a été fait par le général Parlange dans l'Aurès et par le bachaga Boualem dans les Beni Boudouane. La montée en puissance des harkas est relativement lente en 1956-1957, en raison de l'action du FLN qui s'impose dans les villages par la propagande et la terreur. Les succès militaires de 1958 permettent d'augmenter les effectifs et, en décembre 1958 le général Challe obtient du général de Gaulle de passer de 28 000 à 60000 harkis. En 1959,6000 d'entre eux seront affectés dans les commandos de chasse créés pour éliminer les rebelles qui ont échappé aux opérations du plan Challe.

C'est en 1961, sous de Gaulle que le recrutement des harkis atteint le maximum quatre plus que dans l'ALN

C'est au début de 1961 que le recrutement des musulmans atteint son maximum. Il y aura davantage de supplétifs que de soldats réguliers, et trois à quatre fois plus de musulmans dans l'armée française que dans l'ALN. On peut encore préciser que 3 200 supplétifs et 1350 réguliers seront tués au combat ou par attentat.

Alors que GMS et moghaznis étaient engagés sous contrat de six mois, les harkis avaient jusqu'en 1961 un statut de journaliers, bien qu'ils restent en service plusieurs mois et qu'ils soient payés mensuellement (225 francs). Environ 3 000 d'entre eux étaient des rebelles ralliés. Les harkas amalgamées avaient le même armement que les unités régulières. Quant aux unités d'autodéfense, elles étaient armées à 50 % de fusils de chasse et à 50 % de vieux fusils Lebel calibre 8 mm, et en principe n'étaient pas rémunérées.

S'étant engagés davantage pour la défense de leurs familles que pour la solde, les supplétifs étaient opposés à la conception totalitaire du FLN. Ils faisaient confiance à l'armée pour faire évoluer l'Algérie dans un sens démocratique et égalitaire. Le général Challe avait conçu le projet d'une Fédération des Unités territoriales à recrutement européen et des autodéfenses, qui aurait constitué un parti français armé opposé au FLN. Son rappel en mars 1960 annulera ce projet qui pouvait changer bien des choses.

Crépin, le successeur de Challe, avait promis en janvier 1961 que les harkis, considérés comme vainqueurs de l'ALN, auraient la première place dans l'Algérie future, et qu'ils resteraient groupés et armés pendant un an après le cessez-le-feu. Mais, dès l'été 1961, le gouvernement décida d'amorcer la réduction des effectifs des harkas et des autodéfenses, et de « civiliser» les SAS, ce qui revenait à supprimer les maghzens, alors que Challe leur avait confié la responsabilité opérationnelle des «quartiers de pacification».

Les propositions du général Crépin en janvier 1961 étaient assorties de conditions militaires, à savoir le regroupement des harkis en armes pendant un an après le cessez-le-feu. Et surtout, il se situait comme le général Challe dans la perspective d'une victoire militaire de la France et d'une négociation avec les seules wilayas, rendue possible si les contacts avec Si Salah avaient été pris au sérieux par le gouvernement.

Sondés en novembre 1961, les préfets d'Algérie estiment que la seule protection efficace serait le transfert des musulmans fidèles en métropole. En décembre, cette option ne s'applique qu'aux seules personnes nommément menacées. La présence de l'armée, reconnue nécessaire par le général de Gaulle en mars 1961 est abandonnée après Évian. L'armée est regroupée et abandonne le bled au FLN. Dès juillet, les interventions de l'armée pour la protection des populations sont interdites. Le 24 août 1962, alors que les massacres battent leur plein, une instruction de l'état-major d'Alger ordonne : « Ne procéder en aucun cas à des opérations de recherche dans les douars de harkis et de leurs familles. »

Le désarmement des harkis ayant été décidé par la France, il fut ensuite réalisé par d'ignobles tromperies

Les promesses de Challe et de Crépin n'ont pas été tenues. Sur le papier, les négociateurs d'Évian se sont préoccupés de l'avenir des « musulmans fidèles à la France ». En novembre 1961, ils ont obtenu du FLN à Bâle la promesse verbale qu'il n'y aurait pas de représailles. Croyant à cette promesse ou faisant semblant d'y croire, Louis Joxe a adopté une politique de maintien forcé de la plupart des supplétifs en Algérie.
Huit jours avant le cessez-le-feu, Pierre Messmer leur fait proposer le choix entre trois solutions :
l'engagement dans l'armée pour les plus aptes, le retour au village avec une prime (un mois et demi de solde par année de service), un contrat civil d'attente de six mois.

Mais comment les malheureux pouvaient-ils interpréter ces propositions ?

Ceux qui se sentaient menacés avaient théoriquement la possibilité de demander leur transfert en France, mais, le 15 mai 1962, il n'y avait que 5 000 demandes, familles comprises.
Les « rapatriés » (« réfugiés » serait plus juste) devaient conserver la nationalité française, à condition d'en faire la demande au juge d'instance (!), condition contraire aux accords d'Évian.
L'indécision française et l'information aussi tardive qu'obscure sur les rapatriements ont incité les supplétifs à regagner leurs villages, où ils ont été immédiatement la proie du FLN. La responsabilité du gouvernement français est donc entière.

Les appelés musulmans, les GMS et les auxiliaires de la gendarmerie étaient transférés en bloc dans la Force d'ordre locale prévue par les accords d'Évian. Avant et aussitôt après l'indépendance, les appelés désertèrent en masse : 26 000 armes passent ainsi au FLN. La plupart des engagés résilièrent leur contrat, ils furent moins menacés que les supplétifs.

Le désarmement des harkis ayant été décidé par les autorités françaises a parfois été opéré par tromperie de la part de certains cadres. Abusés de toute part, 90 % des supplétifs ont choisi le retour à la vie civile, trompés par la promesse du FLN qu'ils seraient pardonnés et considérés comme des frères.

Ces promesses étaient naturellement mensongères, comme le prouvent les directives des wilayas. Les tueries ont commencé entre le 19 mars et le 1er juillet 1962, dans les villages évacués par l'armée française, où celle-ci n'était plus là pour voir ce qui se passait.

À partir du 5 juillet, les massacres ont été massifs et accompagnés de supplices inimaginables. Il s'agissait de faire mourir les malheureux deux fois. Même les ralliés de la onzième heure n'y ont pas échappé.

Appliquant les ordres du général De Gaulle après Evian Louis Joxe interdit de secourir les musulmans menacés

Les historiens ne sont pas d'accord sur le nombre des harkis massacrés. Jean Lacouture ayant annoncé 10000 victimes, dans Le Monde du 13 novembre 1962, ce chiffre a été retenu par l'ambassadeur français de l'époque.

Le contrôleur général de Saint-Salvy a évalué leur nombre à 150 000, à partir d'une péréquation basée sur l'arrondissement d'Akbou. Le Service historique n'a fait aucune estimation et s'est contenté de citer celle de Saint-Salvy. L'historien algérois Xavier Yacono, ayant calculé que les pertes totales dues à la guerre étaient inférieures à 300 000 personnes, a contesté le chiffre de 150 000. Nicolas d'Andoque, ancien SAS, a retenu 60 000, ce qui paraît être une limite courte.

La méthode de calcul par différence entre le total des pertes et le nombre des victimes dues à des actions de guerre aboutit à une fourchette de 60 000 à 80 000 harkis tués en 1962-1963. «Il semble, écrit J.-C. Jauffret dans Historiens et Géographes, qu'un consensus rassemble peu à peu les historiens français, et qu’une évaluation de 60000 à 80000 victimes soit retenue. »
Mais on ne connaîtra jamais la vérité car une évaluation précise est aujourd'hui impossible.

Les archives des négociations, de Melun à Évian, illustrent de façon tragique l'évolution de la politique française concernant l'avenir des Français musulmans. La contradiction est flagrante entre les déclarations successives du chef de l'État, de 1959 à 1962.

Le 23 octobre 1959, le général de Gaulle s'écriait: «À quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays si nous étions assez stupides et lâches pour l'abandonner ! »

Les hécatombes annoncées en octobre 1959 ne sont apparemment plus redoutées le 21 juin 1962, lorsque le Comité des affaires algériennes et Louis Joxe interdisent de secourir les personnes menacées. .. Deux mois plus tôt, le 3 avril 1962, Le Général avait ordonné d'« en finir avec les auxiliaires, ce magma qui na servi à rien ».

Dès le départ, les négociateurs français ont adopté des positions qu'ils savaient irréalistes  pour l'avenir des « amis de la France ». La promesse de non-représailles a été accordée sans difficulté par le FLN en novembre 1961. Mais que valait une telle promesse sans la force pour la faire respecter? Le maintien de la nationalité française était parfaitement illusoire. Comment imaginer que le harki, rentré dans son village au milieu de populations hostiles, serait protégé par une carte d'identité(2) ?

Maurice Faivre

Après l'École militaire de Saint-Cyr (où il fut major de sa promotion), le général Maurice Faivre a effectué plusieurs séjours en Algérie de 1955 à 1961.
En 1963, après l'indépendance, ignorant l'interdiction du ministre de l'Intérieur, Roger Frey, de venir en aide aux harkis et à leurs familles, le général Faivre organise le rapatriement de cinquante de leurs familles en France.
Décoré de la croix de la valeur militaire, le général Faivre est titulaire d'un doctorat de Sciences politiques.

Historien, spécialiste de la guerre d'Algérie, on peut citer parmi ses ouvrages, Les Combattants musulmans de la guerre d'Algérie.
Des soldats sacrifiés (1995)A Un Village de harkis.
Des babors au pays drouais (1995), Les Archives inédites de la politique algérienne, 1958-1962 (2000),
Conflits d'autorités durant la guerre d'Algérie (2004), L'Action sociale de l'armée en faveur des musulmans, 1830-2006 (2007).
Tous ces livres ont été édités chez L'Harmattan.

1. On a pris l'habitude d'appeler « harkis » tous les combattants musulmans. Ainsi le secrétaire d'État Hamlaoui Mekachera, ancien tirailleur, a été baptisé « officier harki ».
2. Jean Lacouture, pourtant favorable à la politique de décolonisation, dénonce « la honteuse carence du gouvernement» et estime injurieuse l'accusation de «collabos» lancée par le président Bouteflika et reprise par Marcel Péju (condamné en 2003 pour ce fait).