Comme ses huit frères et soeurs, il a grandi avec cette douleur mémorielle, mais l'a surmontée pour créer, fin 2010, l’Association nationale des enfants de harkis (Aneh). A ses côtés, des policiers, des magistrats, des fonctionnaires, sans distinction de rang ou d'opinion, soucieux de rappeler leur parcours. Si l'initiative est soutenue par des personnalités, dont l'ex-ministre RPR Jacques Godfrain, Abdelkader Haroune se méfie de toute récupération, et s'étonne de la gêne de certains politiques face à ce sujet.
« L'idée n'est pas de remuer le passé, dit-il, mais de mettre en valeur notre intégration. Quand nos parents sont arrivés ici, c'était l'an zéro, la pauvreté extrême. Ils se sont sacrifiés pour nous. Notre but est de leur rendre hommage et de montrer que l'on peut s'en sortir à force de volonté. Nous voulons transmettre cette histoire et ce qu'elle a de positif, y compris pour les jeunes issus de l'immigration. Nous ne réclamons pas d'argent, juste une forme de reconnaissance de la République. »
Son père choisit la France, et son oncle, le FLN
A chacun son destin, au sein de l'association. Mais celui du commissaire renvoie à un village de Kabylie, à l'époque où son père choisit la France, et son oncle, le FLN. L'indépendance, en 1962, sonne l'exode des vaincus. Comme des dizaines de milliers d'autres personnes, les époux Haroune et leurs enfants débarquent à Marseille. Vient le temps de la précarité, des jours de froid et de faim, doublés d'une errance identitaire : les voici « harkis », traîtres pour
les uns, parias pour les autres, coincés dans cet « entre-deux » humiliant, mais toujours français.
En 1964, ils filent plein nord, à Tourcoing. Le père puis les aînés seront ouvriers chez la Redoute. « C'est grâce à eux, insiste le commissaire, que nous avons pu étudier. » Un à un, les enfants tracent leur voie : Moussa, gendarme ; Saïd, commandant de police ; Maxime, capitaine de CRS ; Ali, vice-président de la cour d'appel de Douai... Et le commissaire, donc, vite repéré par sa hiérarchie. Les insultes taguées sur les murs de Roubaix quand il dirige le commissariat local ne l'empêchent pas de s'imposer.
En 2006, il découvre l’Algérie en animant un stage pour les policiers locaux. « A leurs côtés, j'ai vécu des moments très forts, se souvient-il. Eux, les fils de fellaghas, m'ont adopté de suite. J'ai assisté à des mariages, à des repas de famille. L'un d'eux a même pris le risque de m'emmener, en civil, dans le village paternel, au coeur d'une zone dangereuse. Mon père, qui n'a pas remis les pieds là-bas, m'a engueulé en l'apprenant, mais je crois qu'au fond il était heureux. Jamais je n'oublierai cette visite. Ma vision du peuple algérien a changé. »
Au village, il rencontre son oncle, l'homme de la rupture de 1962. Ensemble, ils vont sur les tombes des anciens. Quand un vieillard demande qui donc est cet inconnu, l'oncle lui lance : « C'est un jeune qui a de l'argent mais auquel il manque l'essentiel : ses racines. »
Source : • PHILIPPE BROUSSARD -
26 JANVIER 2011 - WWW.LEXPRESS.FR |