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Des harkis campent
devant le Sénat et réclament justice depuis le 7 octobre
2004, sur la placette qui fait face à l'entrée du
Sénat à Paris, les passants pressés se retournent
à peine sur la banderole trempée qui réclame
"Justice pour les harkis". Abdelkrim
Klech est habitué à l'indifférence. En 1997,
puis en 2000, il a observé d'interminables grèves
de la faim pour réclamer la reconnaissance par l'Etat du
préjudice subi par la génération de ses parents
et par la sienne.
A 54 ans, il est l'un de ces fils de harkis qu'une enfance parquée
derrière les barbelés des "hameaux forestiers",
puis une jeunesse ballottée entre école paramilitaire
et emploi vaguement octroyé par l'Etat ont lourdement abîmés
sans jamais émousser le sens de la révolte.
Depuis le 7 octobre, relayé par des militants d'un "collectif
national" venus de toute la France, il stationne devant le
Sénat où le projet de loi "portant reconnaissance
de la nation et contribution nationale en faveur des Français
rapatriés" doit être discuté. Le texte
ne figure apparemment pas parmi les priorités : adopté
en mars au conseil des ministres, voté en juin par les députés,
il ne devrait venir devant le Sénat que le 16 décembre,
alors que le coup de pouce financier qu'il accorde aux harkis (mais
pas à leurs enfants) était censé démarrer
en janvier 2005, quarante-trois ans après le rapatriement.
"Nous avons cinq décès par mois, tonne M. Klech.
Ils cherchent à gagner du temps pour faire des économies
sur notre dos." Surtout, le fils de harki ne supporte pas que
le texte soit destiné à solder une fois pour toutes
la dette de la République à l'égard des rapatriés,
pieds-noirs et harkis mêlés, à "balayer
notre histoire".
De fait, la détresse financière des "Français
musulmans" a ému beaucoup plus tardivement et plus parcimonieusement
que celle des Européens d'Algérie et a souvent été
traitée avec une condescendance pleurnicharde par les "grandes"
associations de rapatriés. "Ils ont des égards
pour les Européens, du mépris pour les musulmans",
traduit M. Klech, en rappelant le gigantesque taux de chômage
et la fréquence des suicides dans les familles d'anciens
harkis. Les phrases ronflantes sur la "reconnaissance de la
France" ne lui suffisent plus. Lui et ses amis veulent voir
compensés, par des mesures financières et sociales,
les dégâts causés jusqu'à aujourd'hui
par la politique de ghettoïsation menée de fait dans
la France de l'après-guerre d'Algérie : le deuxième
abandon des harkis. |