Pieds Noirs : la colère
Contre la gauche
Municipales 2014

 

PIEDS-NOIRS  - La colère contre la gauche .

Vent debout contre le pouvoir qui multiplie les provocations à leur encontre - jusqu'à reconnaître officiellement le 19 mars comme Journée nationale du souvenir , les rapatriés s'apprêtent à sanctionner la gauche aux municipales.

Enquête.

Plus de deux mois après, Christiane Taubira n'a toujours pas répondu. La lettre est datée du 10 janvier. «Madame le Ministre , le Cercle algérianiste, première association nationale de Français d'Algérie, souhaite appeler votre attention sur la recrudescence de propos stigmatisants et discriminatoires dont font l'objet les pieds noirs [...] C'est ainsi que le Cercle algérianiste a officiellement déposé plainte le 10 décembre dernier auprès du procureur de la République de Paris, pour "provocation à la discrimination, à la haine ou la violence à l'égard d'un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance aune ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée" contre le politologue Thomas Guénolé.

Celui-ci a tenu, en effet, le 8 juillet dernier, lors du journal de 13 heures de France Inter, des propos insupportables imputant aux pieds noirs un racisme entretenu culturellement : "C'est un fait que, culturellement, le racisme est quand même plus développé dans le sud de la France.

Cela s'explique en partie, il faut dire les choses, par le fait qu'il y a une très forte communauté pied-noire dans le sud de la France", a-t-il affirmé. Nous déplorons que, contrairement à d'autres cas de stigmatisation avérée, concernant d'autres communautés, aucun responsable public ne se soit exprimé pour condamner ces propos inacceptables qui visent à jeter l'opprobre sur une communauté. Les Français d'Algérie ne sauraient accepter d'être traités comme une catégorie à part qui pourrait être insultée à loisir par des responsables publics, médiatiques ou du monde artistique... »

Suit une double requête : celle de « connaître [la] position » de la ministre, ainsi qu'une demande de rendez-vous. Résultat : «Nous n'avons même pas reçu un accusé de réception », regrette Thierry Rolando, le président du Cercle algérianiste. Un temps, puis : « Il est vrai que nous ne nous faisions guère d'illusions. » Le propos est grave, pourtant: « Imaginez que ce même politologue ait expliqué que la délinquance est plus développée en Seine-Saint-Denis en raison de sa très forte communauté immigrée ».

Cela aurait constitué une infraction pénale, et nul doute que toute la gauche, Christiane Taubira en tête, se serait mobilisée», affirme Me David Dassa-Le Deist, son avocat.

Et si ce n'était qu'un cas isolé... «Depuis l'élection de François Hollande jamais nous n'avons eu le sentiment d'être niés et piétines à ce point», constate Bernard Coll, le président de Jeunes Pieds Noirs, rappelant aussi que le chef de l'État n'avait pas hésité, durant sa campagne présidentielle, à publiquement rencontrer « l'héroïne du FLN » Zohra Drif, l'une des poseuses de bombes du Milk Bar, à Alger, en 1956 (4 morts, 52 blessés dont de nombreux enfants).

Pas un jour ou presque, depuis deux ans, où les rapatriés d'Algérie ne se sentent
« traînés dans la boue »


« Pas d'interlocuteurs, pas de financement, pas de prise en compte de nos douleurs »


Mais c'est le 6 décembre 2012 qu'a eu lieu la « provocation ultime » de Hollande, celle qui ne passera jamais : la reconnaissance officielle du 19 mars 1962 comme Journée nationale du souvenir des morts en Algérie. Une date (tombant cette année à quatre jours du premier tour des municipales !) contre laquelle se sont toujours battues les associations de rapatriés, au nom de tous les leurs, parents, enfants, amis tombés après l'armistice - en plus grand nombre qu'avant !

« Pas d'interlocuteurs, pas de financement, pas de prise en compte de nos douleurs, des insultes permanentes : c'est un sentiment de colère sans précédent depuis cinquante ans que ressentent aujourd'hui les pieds noirs », assure Thierry Rolando, qui prédit « une très forte mobilisation contre la gauche aux élections municipales ». Celle-ci aurait tort d'ignorer le phénomène.

D'abord, parce que selon une étude réalisée par l’IFOP pour la dernière présidentielle, le nombre d'électeurs « se définissant comme pieds noirs », ajouté à ceux qui « revendiquent une ascendance » ( parents ou grands-parents ), atteint 3,2 millions, soit 7,3 % des personnes inscrites sur les listes électorales. Et bien plus encore dans de nombreuses villes des trois régions abritant le plus de rapatriés : Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur


À travers les provocations du pouvoir, c'est la mémoire de nos morts qu'on insulte


Ensuite parce que, selon cette même étude, 26 % des pieds noirs et 31 % de leurs descendants auraient voté pour François Hollande au premier tour de la présidentielle, soit un chiffre proche de son score national (28,6 %). Même si les pieds noirs ont toujours, historiquement, voté très majoritairement à droite, la gauche risque fort, les 23 et 30 mars, d'être privée de l'apport non négligeable de cet électorat qui, dans certaines villes telles que Perpignan et Béziers, peut à lui seul faire basculer le scrutin. Ajoutant encore, localement, au climat délétère contre l'exécutif au niveau national car c'est bien un impressionnant vote-sanction qui s'apprête à déferler de la part des rapatriés contre les listes de gauche lors des élections municipales.

Certes, la plupart des plus de 500 associations pieds-noires n'ont pas donné de consignes de vote pour le scrutin des 23 et 30 mars. Mais en est-il besoin ? « Le sentiment de colère de nos compatriotes contre le pouvoir se reporte naturellement contre les candidats qui le soutiennent, affirme Thierry-Rolando.
Je n'ai jamais reçu autant d'e-mails d'adhérents furieux. À travers les provocations du pouvoir à notre égard, c'est notre mémoire, celle de nos aïeux et celle de nos morts qui se retrouvent insultées.»  « Colonies : s'affliger quand on en parle », écrivait Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues. Loin, très loin de celles-ci, les pieds-noirs le rappellent en vain depuis cinquante ans : non, ils ne furent pas les « exploiteurs » qu'on a dit : leur niveau de vie, en Algérie, était inférieur de 20 % à la moyenne nationale, les exploitations ne produisaient que 7 à 10 quintaux de blé par hectare et par an, contre 40 à 50 dans les plaines de la Beauce...


Du vote des pieds noirs dépendra largement l'ordre d'arrivée entre l'UMP et le FN dans de nombreuses villes.


Mais, en plus de continuer à se battre contre les clichés et les caricatures, toujours les mêmes, c'est aujourd'hui contre un pouvoir ressenti comme « violemment hostile » que les pieds noirs entendent se défendre. La gauche et ses candidats vont en faire les frais.

Reste une inconnue : qui, de l'UMP ou du Front national, en profitera le plus ?

Lors de l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy aurait obtenu au sein de l'électorat pied-noir, selon Ifop, 26 % de voix chez les rapatriés et 15 % chez leurs descendants, soit moins que son score national (27,2 %). Marine Le Pen, elle, aurait atteint parmi ces mêmes électeurs 28 et 24 % des suffrages, soit nettement plus que son résultat global (17,9 %).

Localement, pourtant, nombre de maires sortants UMP, dont une partie des électeurs votent FN aux élections nationales, peuvent se vanter d'initiatives (déclarations, monuments, stèles, noms de rues...) pouvant faire pencher la balance en leur faveur.

Du choix des électeurs pieds noirs dépendra donc, outre la lourdeur de la défaite de la gauche, l'ordre d'arrivée entre l'UMP et le FN au premier tour dans plusieurs dizaines de communes du sud de la France. Compte tenu des nouveaux rapports de force à droite, ils n'auront, cinquante ans après, jamais été aussi influents. Une juste revanche. •  Arnaud Folch



Ces villes que les pieds noirs peuvent faire basculer
Enjeu


C'est à droite essentiellement, entre l'UMP et le FN, que va se jouer le sort de la plupart des villes comportant une forte communauté rapatriée.

Tour d'horizon.

Dans ces quatorze villes, toutes situées en région Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Paca, le vote rapatrié pèse plus qu'ailleurs sur le scrutin, pouvant même se révéler décisif.
D'où le survote à droite. Nous aurions pu en ajouter plusieurs autres : Antibes, Arles, Carcassonne, Le Cannet, Montauban, Narbonne, Sète ou Valence, en Rhône-Alpes...


Aix-en-Provence


Maryse Joissains Masini (UMP ) et le pied - noir falampo Edouard Baldo (PS)


Dans une ville qui possède l'une des plus importantes Maisons des rapatriés, l'UMP Maryse Joissains-Masini brigue un troisième mandat. Proche des milieux Algérie française, elle avait créé la polémique en ne se disant «pas opposée» à une rue Bastien-Thiry.

Elle a, de même, promu citoyen d'honneur de sa ville le journaliste, écrivain et chanteur engagé Jean-Pax Méfret.

Sa réélection face au candidat PS Edouard Baldo, un pied-noir, est loin d'être acquise en raison notamment d'une liste FN, absente en 2008, et d'une liste UDI soutenue par son ex-premier adjoint, Jean Chorro, autre rapatrié d'Algérie.


Avignon


La gauche est en mesure de faire basculer la ville, à droite depuis dix-neuf ans. Alors que la maire sortante Marie-Josée Roig ne se représente pas, la liste UMP-UDI, menée par Bernard Chaussegros, n'arriverait qu'en troisième position, derrière celles du PS et du Front national, conduite par Philippe Lottiaux.


Cannes


Dans ce bastion de droite, aucune des deux listes UMP qui s'affrontent n'a reçu l'investiture du parti, qui soutiendra officiellement le candidat arrivé en tête au premier tour. Face à face : le filloniste David Lisnard, soutenu par le maire sortant Bernard Brochand, et le copéiste Philippe Tabarot, frère de la numéro deux de l'UMP Michèle Tabarot.

Ce dernier, fils de l'ancien haut responsable de l'OAS Robert Tabarot, compte sur son nom pour rallier le vote pied-noir.


Carpentras


Après y avoir conquis un siège de député avec Marion Maréchal-Le Pen, le Front national est favori pour remporter la ville, aujourd'hui dirigée par le PS, et qui compte une Maison des rapatriés. À la tête de la liste Rassemblement bleu marine, le propre suppléant de la députée FN : Hervé de Lépinau. Sa liste, comme celle de l'UMP conduite par Julien Aubert (concurrencée par une liste divers droite), comporte plusieurs pieds noirs.


Fréjus


Cette ville symbole, où a eu lieu le débarquement des armées d'Afrique, et où la tenue du général Salan est exposée au musée des Troupes de marine, pourrait, selon les sondages, porter le candidat FN David Rachline à sa tête. Condamné dans une affaire de prise illégale d'intérêt, le maire sortant, Élie Brun, se présente en dissident face à la liste officielle de l'UMP conduite par son ex-adjoint Philippe Mougin. Ultraminoritaire, la gauche ne peut pas l'emporter.


La Seyne-sur-Mer


Face à une liste centriste et... trois listes divers droite, mais aussi une gauche divisée en interne, le candidat FN Damien Guttierez, passé par l'UMP et le MoDem, est en mesure de l'emporter. Plusieurs représentants de la communauté rapatriée lui ont apporté leur soutien.


Marignane


Ancien maire FN puis UMP de cette commune où le nombre de pieds noirs par habitant est parmi les plus importants, Daniel Simonpieri avait fait ériger en 2005 une stèle en l'honneur des fusillés de l’OAS, qui avait été retirée par décision de justice. Élu en 2008, son successeur Éric Le Disses, investi par l'UMP, devra affronter une double concurrence à droite : celle de la liste FN, conduite par René Amodru, et celle d'une liste divers droite.


Marseille


Favori des sondages face à la gauche pour un quatrième mandat à la tête de la plus grande ville pied-noire de France, Jean-Claude Gaudin s'est vu reprocher par une partie de la communauté rapatriée la suppression du poste d'adjoint aux rapatriés (créé par Defferre) et l'échec du Mémorial national de la France d'outre-mer - promis aux rapatriés depuis trente ans !
La tête de liste FN Stéphane Ravier est proche de cet électorat, tout comme l'ancien militant pro-Algérie française et sénateur UMP, Guy Teissier, qui a finalement fait liste commune avec Gaudin.


Menton


Dans cette ville qui compte elle aussi une Maison des rapatriés, le député maire sortant UMP, Jean-Claude Guibal, se représente pour un cinquième mandat. La bataille risque d'être serrée : celui-ci devra en effet affronter un FN très implanté (42 % pour sa candidate Lydia Schénardi aux législatives) et une liste dissidente de l'UDI Patrice Novelli. La gauche et l'extrême gauche sont cantonnées à faire de la figuration.


Montpellier


Alors que Georges Frêche, maire PS de la ville de 1977 à 2004, avait multiplié les gestes envers les rapatriés, s’opposant notamment à toute célébration du 19 mars contre sa propre majorité, le candidat socialiste Jean-Pierre Moure, investi à l'issue d'une primaire mouvementée, ne cache pas son hostilité à la mémoire des Français d'Algérie. D'où la polémique, durant cette campagne, sur le devenir du projet de musée de l'Histoire de la France en Algérie voulu par Frêche, que la gauche est accusée par les associations pieds-noires de vouloir transformer en « musée de la repentance ». Une volte-face à laquelle s'opposent le candidat UMP-UDI Jacques Domergue et la FN France Jamet, fille de l'ancien OAS Alain Jamet.


Nice


Les sondages prédisent une possible victoire du maire sortant UMP Christian Estrosi au premier tour, dans une ville où deux de ses prédécesseurs, Jacques Médecin et Jacques Peyrat (qui est candidat divers droite), ont été des militants pro-Algérie française. Victime de divisions internes, la tête de liste FN Marie-Christine Arnautu ne semble pas en mesure de retrouver les scores frontistes d'autrefois, malgré le jugement mitigé des très influentes associations pieds-noires sur Estrosi : la plaque en hommage aux Français d'Algérie n'ayant pas fait oublier, chez certaines, la statue en l'honneur du général de Gaulle. De même, sa fête Au soleil des deux rives est-elle contestée par une partie de la communauté rapatriée.


Nîmes


Dans cette ville symbole accueillant chaque année 20 000 pieds noirs pour le pèlerinage de Notre-Dame-de-Santa-Cruz, mais aussi théâtre de nombreuses manifestations de rapatriés contre des colloques pro-FLN, le maire sortant UMP Jean-Paul Fournier affrontera notamment la PS Françoise Dumas et le jeune candidat frontiste Yoann Gillet. Une bataille indécise.


Orange


La réélection de l'ancien OAS Jacques Bompard, ex-FN et actuel patron de la Ligue du Sud, qui dirige la ville depuis 1995, paraît assurée. Lors des dernières municipales, en 2008, il avait obtenu 61 % des voix dès le premier tour.


Toulon


La ville emblématique de l'armée d'Afrique, où le monument en hommage aux anciens combattants d'Algérie a été l'objet de plusieurs plastiquages dans les années soixante-dix, et dont un carrefour porte le nom du "colonel Salan" (avant l'OAS, donc), devrait réélire son maire, l'ancien secrétaire d'État aux Anciens Combattants Hubert Falco. Bien que crédité de bons scores dans les sondages, le candidat FN Jean-Yves Vaquet ne devrait pas pouvoir rééditer l'exploit de son parti en 1995.
Plus divisée que jamais, la gauche n'a aucune chance de l'emporter. Pierre Dumazeau


Deux pieds-noirs pour un fauteuil
Perpignan


Dans la capitale des rapatriés, le maire sortant UMP Jean-Marc Pujol est talonné par le vice-président du FN Louis Aliot, tous deux d'origine pied-noire. Une campagne sur fond d'histoire et de mémoire.

Reportage.

Attablé devant un poulpe à la plancha gros comme un ballon de rugby, Louis Aliot arbore une mine gourmande. Pas seulement pour son assiette et l'aïoli qui l'accompagne. Pour sa troisième tentative, le candidat FN y croit. «Il se passe quelque chose, dit-il. Je le sens à la manière dont les gens viennent me parler. » À cet instant, le président d'une association contre le cancer, déjeunant à une table à côté, vient le saluer et lui tendre une invitation pour une prochaine soirée caritative en présence d'une kyrielle de meilleurs ouvriers de France. « Je compte sur vous, monsieur Aliot», lui lance ce dernier au moment de partir. «Au revoir, monsieur le maire », lui glisse en souriant, pouce levé, un autre client.
C'est peu dire, pourtant, que les jeux sont loin d'être faits. Aliot en convient :
«Si ça passe, ce sera de très peu. » Et à deux conditions : « dépasser les 30 % et être en tête au premier tour. » Pour l'heure, les sondages lui prédisent 28 à 29 % et la deuxième place. Très au-dessus de son score de 2009 (9,4 %), mais insuffisant, encore, pour succéder au maire sortant UMP Jean-Marc Pujol. C'est entre ces deux pieds noirs que va se jouer l'élection dans ce qui est "la" capitale de la communauté rapatriée, dont le poids est estimé à 10 000 personnes, descendants inclus, sur 71000 électeurs (et 120 000 habitants). Troisième prétendant de poids, et troisième pied-noir, Jacques Cresta, le candidat PS, allié au PC mais aux prises avec une liste dissidente menée par l'ex-candidat de 2009 Jean Codognès, ne semble pas en mesure de l'emporter. « Ce sera Aliot ou moi», confirme Pujol.
Hors leur origine et leur formation d'avocat, tout ou presque les oppose. À 64 ans, le maire de Perpignan, natif de Mostaganem, affiche un profil de sage. Ancien adjoint chargé des... rapatriés de Jean-Paul Alduy, c'est à ce dernier, lui-même successeur de son père Paul - élu en 1959 ! -, qu'il doit d'avoir été nommé à la tête de la ville, sans passer par la case élection, en 2009. Discret, allure rassurante de notable avec son épaisse chevelure blanche, cet amateur de plongée sous-marine « est un calme, un grand paisible et un juste », dit de lui son actuelle adjointe aux rapatriés, Suzy Simon-Nicaise, inlassable militante de la «mémoire pied-noire».
De vingt années plus jeune que lui, Aliot, fils d'une Algéroise de Bab el-Oued et compagnon de Marine Le Pen, avec laquelle il a acheté une maison dans la banlieue de Perpignan, a conservé de ses années de rugby dans l'Ariège, où il était un troisième ligne redouté, le goût des mêlées et du ratissage de terrain, désormais électoraux. Épicurien, avec l'accent du Sud-Ouest, « c'est d'abord un fidèle et un passionné», le décrit Mohamed Bellebou, secrétaire général de la Coordination des associations de rapatriés harkis, qui figure sur sa liste.
Concurrents, mais pas ennemis, les deux hommes, à défaut de s'apprécier, se respectent. Rien à voir, lorsqu'ils parlent l'un de l'autre, avec les propos qu'ils tiennent contre leurs adversaires de gauche et d'extrême gauche. «Aliot est aimable», dit de lui Pujol, selon lequel « le FN se situe dans l'espace républicain», ajoutant : «Ce sont des adversaires, rien d'autre, ni plus ni moins que d'autres. » Le candidat frontiste reconnaissant, de son côté, que le maire de Perpignan n'est « pas antipathique» et qu'il entretient avec lui, lorsqu'il le croise, des relations «courtoises». Mais pas question, chez aucun des deux, d'aller plus loin. Notamment lorsqu'on aborde la question, si centrale dans ce scrutin, de la communauté rapatriée.
C'est sur son bilan que s'appuie Pujol pour convaincre les pieds noirs de le soutenir. « Perpignan est la ville de France qui a fait le plus pour la reconnaissance et l'hommage aux pieds noirs», affirme-t-il. Et de dresser la liste des réalisations de l'époque Alduy à aujourd'hui : les trois stèles du cimetière du Haut-Vernet dédiées aux Français d'Algérie, aux harkis et aux défenseurs de l'Algérie française, l'avenue Bachaga-Saïd-Boualam, le rond-point des Harkis, le Mur des disparus et le Centre de documentation des Français d'Algérie, sans oublier, devant le palais des congrès, l'olivier planté à la mémoire des disparus, dont la liste a été enterrée au pied de l'arbre.


Passe d'armes autour du projet de création d'une rue Pierre-Sergent.


«Le 19 mars 2013, rappelle Pujol, j'ai mis en berne le drapeau de la mairie avec un crêpe de deuil pour protester contre la décision scélérate du gouvernement d'en faire la date de commémoration officielle des morts de la guerre d'Algérie. Cela m'a valu de très violentes attaques de la part de la gauche, dont un journal communiste local, le Travailleur catalan, qui m'a présenté avec une croix nazie dessinée sur la tête. » Affirmant «ne rien regretter», il annonce qu'il s'apprête à récidiver ce 19 mars. Ajoutant même qu'il envisage, s'il est réélu, de proposer la création d'une « rue Pierre-Sergent», du nom de l'ancien chef de l'OAS condamné à mort par contumace, qui fut ensuite député et candidat à la Mairie de Perpignan du... Front national.
« Mensonges et récupération », répond Aliot, dont la permanence électorale s'orne de plusieurs photos du même Pierre Sergent ; la veuve de celui-ci, Shouki, faisant partie de son comité de soutien. «Lorsque j’ai fait moi-même, pour la première fois, cette proposition en2008au conseil municipal, le PS avait accepté, mais le maire s'y était opposé », affirme-t-il. Selon le candidat FN, «Pujol n'est pour rien dans la plupart des réalisations dont il se vante. Non seulement elles sont antérieures à sa nomination comme maire, mais elles sont dues, pour l'essentiel, à des initiatives privées, comme la stèle en hommage aux combattants de l'Algérie française, qui a été érigée par l'association Adimad, ou celle en l'honneur des harkis, qui a été financée par le collectif Agir pour les harkis. Alors qu'un journal algérien lui reprochait cette stèle, Pujol lui a même fait adresser un droit de réponse par son avocat pour en nier toute paternité! Et que dire, aussi, du jumelage en 2012 de Perpignan avec Mostaganem, sa ville natale, dirigée par le FLN!»
Sincères, assurément, l'un et l'autre lorsqu'ils évoquent, avec les mêmes mots, leur «double culture» - le candidat UMP se souvenant de son départ d'Algérie à 10 ans, « plein de larmes » ; celui du FN, de l'immense photo d'Alger devant laquelle sa mère pleurait dans le salon familial -, les deux se retrouvent aussi pour condamner, toujours dans les mêmes termes, la « trahison » du général de Gaulle en 1962. Tout en soulignant, là encore de manière quasi identique, la nécessité déjuger l'homme «sur la totalité de son parcours» (Pujol), en «prenant l'histoire et les institutions dans leur ensemble» (Aliot).
Les deux hommes affirment surtout partager le même objectif : faire de Perpignan la « capitale de la mémoire pied-noire». Afin qu'elle ne s'éteigne pas. Marquée par l'Histoire, cette campagne pas comme les autres aura déjà permis de la ranimer. • De notre envoyé spécial Arnaud Folch


Béziers, le match Aboud-Ménard
Entretien croisé


L'UMP Élie Aboud dirige le groupe d'études parlementaire sur les rapatriés ; le candidat du Rassemblement bleu marine, Robert Ménard, est né en Algérie. Au coude à coude dans les sondages, c'est le vote des pieds noirs qui pourrait les départager.

Quel jugement portez-vous sur le bilan de la présence française en Algérie?

Élie Aboud Le rayonnement de la France et son œuvre en Algérie peuvent s'apprécier lors d'un tour d'horizon des deux grandes villes, Alger et Oran, qui révèle l'ampleur des infrastructures laissées par les Français d'Algérie ainsi que l'immense développement de la filière agricole et des écoles. Robert Ménard Le bilan de la colonisation est largement positif en termes d'infrastructures, de santé, d'agriculture ou d'éducation. Oui, la colonisation a eu ses bienfaits, quoi qu'en pense un Jacques Chirac qui a obtenu la suppression de l'article 4 de la loi du 23 février 2005, vantant les "aspects positifs" de la colonisation...

Quel regard portez-vous sur le combat de l'Algérie française et celui de l'OAS en particulier ?

Élie Aboud.  La guerre d'Algérie a été une guerre réactive d'une population française se sentant mise en danger par la tournure des événements où pointait l'abandon de l'Algérie. La rébellion a duré de 1954 à 1962 mais la réaction de l'OAS, qui s'estimait trompée, a débuté en avril 1961 et a pris fin après le 26 mars 1962.

Robert Ménard. Comme mon père, je préfère toujours quelqu'un qui s'engage à ceux qui refusent de prendre parti. Il l'a payé assez cher ! Militer à l'OAS ne vous fait pas que des amis...

La France doit-elle reconnaître sa responsabilité dans les drames (exode, massacres subis par les harkis et les pieds noirs) ?

Élie Abou. Pour que nous retrouvions une mémoire vraie et apaisée, la France doit regarder son histoire en face : j'ai déposé en 2012 une proposition de loi pour obtenir la reconnaissance du massacre du 5 juillet 1962 à Oran. Le président Sarkozy a reconnu la responsabilité de la France dans l'abandon des harkis. Ce n'était que justice pour nos frères d'armes.

Robert Ménard  C'est un devoir moral. Chaque année, le 30 août, on célèbre dans le monde la Journée internationale des personnes disparues. Mais jamais un mot, en France, sur les pieds noirs disparus - plus de 2 400 ! -, dont les familles n'ont jamais pu faire le deuil faute de sépultures.

Comment jugez-vous l'action menée par Nicolas Sarkozy, puis par François Hollande à l'égard des rapatriés?

Élie Aboud. L'action de l'ancien président est globalement positive : refus de toute repentance, opposition à une commémoration officielle du 19 mars [date du cessez-le-feu], inscription des victimes civiles et des disparus sur la colonne du quai Branly, reprise du plan cimetière, décret sur le toit familial du 23 mars 2007, création I du plan emploi harkis et lancement de la Fondation pour la  mémoire. Avec le président Hollande, le 19 mars devient la date officielle de fin de la guerre, la Mir [Mission interministérielle aux rapatriés] et l'Anifom [Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer] ont été fermées.

Robert Ménard  J'ai encore en mémoire une lettre de Nicolas Sarkozy envoyée au premier ministre turc dénonçant «les souffrances indicibles et la brutalité aveugle de la colonisation française en Algérie»... dix jours avant sa déclaration contre la repentance à Perpignan ! Quant à François Hollande, il est allé jeter des fleurs dans la Seine pour les morts algériens du 17 octobre 1961, mais il n'a pas eu la même attention pour les victimes de la rue d'Isly ni pour les Français massacrés Ie 5 juillet 1962 à 0ran...

Êtes-vous favorable à l'interdiction des célébrations du 19 mars 1962, contestées par la plupart des associations de pieds noirs ?

Élie Aboud  J'ai voté contre et je n'y assisterai pas, mais je suis légaliste et je ne les interdirai pas.

Robert Ménard  Le 19 mars n'est pas seulement la date de l'entrée en vigueur théorique des accords d'Évian (puisque seule leur violation a été effective). Il marque surtout le début des disparitions massives d'Européens et des massacres des harkis ! Maire, je mettrai les drapeaux en berne ce jour-là.

Si vous êtes élu maire de Béziers, quelles initiatives concrètes comptez-vous prendre en faveur de la communauté pied-noire ?

Élie Aboud. Je proposerai la création d'un espace muséal pour faire revivre leur savoir-faire et l'impact de leur présence depuis leur arrivée à Béziers en 1962, ainsi que le respect des lieux de mémoire.

Robert Ménard. Je souhaiterai que soit édifié un lieu de mémoire : plus de 10 000 pieds noirs ont été tués, assassinés, plus de 100 000 harkis ont connu le même sort. Il ne faut jamais l'oublier! •
Propos recueillis par Arnaud Folch


Repentance Hollande, la "souffrance" à sens unique


Depuis son élection, outre la reconnaissance officielle du 19 mars 1962, Hollande et son gouvernement ont multiplié les déclarations et mesures contre les pieds noirs.

Parmi celles-ci : dissolution de la Mission interministérielle aux rapatriés et de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'Algérie, suppression de toutes les subventions (pourtant infimes) discours à Paris et en Algérie rendant hommage au seul FLN... «Pendant cent trente-deux ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, a déclaré le chef de l'État, le 20 décembre 2013 à Alger  je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. »

Pas un mot, en revanche, sur les 100 000 harkis et les 10 000 pieds-noirs assassinés... A. F.

Valeurs Actuelles N° 4033 du 19 mars 2014