L'Ifop confirme « une orientation assez droitière » de cet électorat.
Permanence, spécificité et poids du vote. Ce sont les trois axes ayant guidé le travail du département Opinion et Stratégies de l'Ifop consacré au vote pied-noir et dont les résultats sont dévoilés à quelques jours du premier tour des élections municipales.
En s'appuyant sur un échantillon de 33.400 personnes, sur les sondages réalisés en continu entre janvier et mai 2012 et sur une étude réalisée pour le Cevipof en janvier 2012, la nouvelle analyse estime que le vote pied-noir représente 1,8 % de la population française inscrite sur les listes électorales, soit environ 800.000 personnes. Lorsque la mesure s'élargit à l'échelle de la communauté (parents, grands-parents), le chiffre atteint 7 %. « Elle constitue dès lors un électorat important et dont les préoccupations peuvent devenir des enjeux significatifs dans la campagne…», souligne le texte en pointant notamment le pourtour méditerranéen.
L'Ifop évalue la force de cet électorat dans quatre régions du sud de la France: 12 % en Languedoc-Roussillon, 15 % en Paca, 12 % en Midi-Pyrénées et 11 % en Aquitaine.
Tout en précisant qu'on ne peut pas parler d'un vote homogène concernant les orientations politiques de cette communauté, l'institut souligne «une orientation assez droitière » de la part d'un électorat dont 31 % ont voté pour Nicolas Sarkozy et 18 % pour Jean-Marie Le Pen en 2007.
En octobre 2011, juste avant la présidentielle, Marine Le Pen arrivait en tête dans cet électorat avec 28 % des intentions de vote, devant Nicolas Sarkozy (26 %) et François Hollande (26 %).
Traditionnellement méfiants à l’égard de la gauche, hostiles à De Gaulle et plus globalement aux gaullistes, les pieds-noirs seraient marqués par un tropisme massif et récurrent vers l’extrême-droite, de Tixier-Vignancour au Front National d’aujourd’hui. Le poids de cet électorat dans certaines régions revêtirait de surcroît une importance stratégique, pouvant fortement influencer l’orientation politique de territoires entiers, notamment sur le littoral méditerranéen. Mais parler de ce vote a-t-il encore un sens aujourd’hui ?
- S’est-il transmis d’une génération à une autre ?
- Et pour finir quelles sont les éventuelles influences qu’il pourrait avoir dans différentes régions aux prochaines municipales ?
Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous nous sommes appuyés sur un cumul effectué sur l’ensemble des vagues du rolling poll (sondage en continu) que l’Ifop a réalisé entre janvier et mai 2012. L’échantillon, ainsi obtenu, comprend pas moins de 33.400 personnes, ce qui a permis une analyse assez fine du comportement électoral de cette cible très spécifique.
Ces données sont venues compléter une note que nous avions rédigée en janvier 2012 pour le Cevipof :
- "Le vote pied-noir, 50 ans après les accords d’Evian".
Que pèse l’électorat pied-noir aujourd’hui ?
D’après notre cumul d’enquêtes, parmi la population française inscrite sur les listes électorales, on recenserait actuellement 1,8% de personnes se définissant comme pied-noir. Elles représentent 800.000 électeurs potentiels[1], soit un effectif assez limité. Mais élargie aux personnes revendiquant une ascendance pied-noire, c’est-à-dire déclarant avoir au moins un parent ou un grand-parent pied-noir, la "communauté" représente cette fois 7% de la population française figurant sur les listes électorales, soit 3,1 millions de votants potentiels aux élections municipales. Elle constitue dès lors un électorat important et dont les préoccupations peuvent devenir des enjeux significatifs dans la campagne, notamment sur le pourtour méditerranéen.
En effet, les régions du sud de la France, qui ont accueilli de nombreux rapatriés, concentrent encore aujourd’hui les contingents les plus importants. La communauté pied-noire au sens large pèse ainsi 12% du corps électoral en Languedoc-Roussillon, 15% en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 12% en Midi-Pyrénées et 11% en Aquitaine. A l’inverse, elle est très sous-représentée en Picardie (3%) ou en Lorraine (4%) par exemple.
[1] Sur la base d’environ 43 millions d’inscrits sur les listes électorales en métropole, données INSEE, septembre 2011.
Les orientations politiques des pieds-noirs : un tropisme pour l’extrême-droite que Nicolas Sarkozy a su partiellement capter
L’analyse du vote à l’élection présidentielle en 2007 indique une orientation assez droitière de la part de la communauté pied-noire – même si les chiffres montrent qu’on ne peut pas parler d’un vote homogène. A l’instar des résultats obtenus au niveau national, 31% de ses membres votèrent pour Nicolas Sarkozy.
Mais loin d’être pénalisé par ce score, Jean-Marie Le Pen, obtint de son côté 18% de leurs suffrages, soit un sur-vote d’environ 8 points par rapport à la moyenne au détriment de Ségolène Royal (20,5% contre 25,8% à l’échelon national) et surtout de François Bayrou (7% contre 18,6%[2]). En 2002, une enquête IFOP "sortie des urnes" amenait aux mêmes conclusions et révélait que 30% des pieds-noirs avaient voté pour Jean-Marie Le Pen ou Bruno Mégret au premier tour de l’élection présidentielle, soit un sur-vote de l’ordre de 10 points en faveur de l’extrême-droite. L’électorat pied-noir marquait ainsi sa singularité par rapport aux autres électorats avec un penchant affirmé pour l’extrême-droite même si ce courant de pensée était loin d’être majoritaire dans cette population.
En octobre 2011, au tout début de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012, les rapports de force électoraux mesurés s’inscrivaient dans la lignée des votes de 2002 et de 2007. Marine Le Pen arrivait alors en tête dans cet électorat et obtenait 28% des intentions de vote, juste devant Nicolas Sarkozy et François Hollande qui en totalisaient chacun 26%. Fait majeur, le score de la candidate du Front National était supérieur de 8,5 points à celui observé à l’échelon national à l’époque, celui du candidat de l’UMP étant majoré de 3,5 points seulement. On retrouvait ici la prime donnée à la droite de manière générale par les pieds-noirs, bien que Nicolas Sarkozy ne soit pas aussi haut qu’en 2007 en ce début de campagne.
Le score du candidat du Parti Socialiste était quant à lui minoré de 3 points et les candidats centristes[1] étaient en retrait et ne recueillaient que 9% des intentions de vote (contre 15,5% à l’échelon national).
Lorsque l’on compare cette photo instantanée prise au tout début de la campagne avec les résultats obtenus sur la base du rolling poll (qui couvre la période courant de janvier à mai 2012), on constate que les lignes ont bougé sous l’effet de la campagne et des stratégies adoptées par les différents candidats. On observe ainsi un tassement de la gauche dans l’électorat pied-noir et une nette remontée du candidat Sarkozy qui, grâce à une campagne droitière et sans doute aussi grâce à des signaux envoyés à cette population, a su y reprendre du terrain notamment au détriment de Marine Le Pen, qui disposait d’une assise importante dans ce milieu en début de campagne.
Comme le montre le graphique suivant, le sur-vote à droite de l’électorat pied-noir est aussi spectaculaire au second tour puisque Nicolas Sarkozy y a obtenu 64% des voix contre 48% dans le reste de la population
Mais, compte-tenu de la structure d’âge très particulière de cette population (née avant 1962 et donc âgée au minimum de 50 ans au moment de la dernière élection présidentielle), on peut s’interroger sur l’origine du sur-vote à droite de ce groupe. S’explique-t-il par son vécu historique et le traumatisme du départ et des difficultés de l’arrivée en France ? Ou la cause de ce sur-vote à droite constaté n’est-il pas tout simplement à rechercher dans un effet d’âge (les seniors, d’une manière générale, votant davantage à droite) ? Pour neutraliser l’effet d’âge, on peut alors comparer le vote des pieds-noirs et des non-pieds-noirs du même âge, c’est-à-dire de 50 ans et plus.
Les chiffres du tableau sont particulièrement éloquents, à âge égal les électeurs pieds-noirs ont nettement plus voté à droite (+14,5 points au second tour) que les autres électeurs. Il y a donc bien une spécificité du vote pied-noir, héritée de l’histoire, et qui conduit ces personnes à davantage voter à la fois pour la droite mais aussi pour le FN.
A ce propos, il est intéressant de constater que le sur-vote en faveur de Marine Le Pen, qui n’était guère visible quand on comparait le vote des pieds-noirs à celui du reste de la population, toutes tranches d’âges confondues, réapparaît ici avec force.
Ceci s’explique par le fait que dans la population non-pied-noir qui nous a servi de première base de comparaison, on comptait notamment les 25-34 ans et les 35-49 ans, tranches d’âge votant assez fortement pour le FN. Mais quand ce biais est éliminé, on constate alors que les pieds-noirs sont nettement plus favorables au FN que la moyenne des seniors, plutôt réfractaires à ce vote.
La spécificité du vote pied-noir s’estompe très fortement dans les générations suivantes
Si le vote pied-noir présente donc encore de fortes spécificités, la transmission générationnelle n’est pas établie. Comme le montre le tableau suivant, le vote des personnes ayant une ascendance pied-noire (parent ou grand-parent) est très proche de celui des électeurs sans aucune ascendance pied-noir.
On constate juste une inclinaison un peu plus faible pour la gauche au premier tour au profit du FN, mais l’écart est très faible. Au second tour, les personnes ayant au moins un parent ou un grand-parent rapatrié, ont certes placé Nicolas Sarkozy en tête avec 52 % soit 4 points de plus que pour les non-pieds-noirs.
Mais cette avance du candidat de droite y est incomparablement moins grande que chez les pieds-noirs eux-mêmes, qui lui ont accordé 64 % de leurs suffrages soit 12 points de plus que leurs enfants et petits-enfants.
Ce processus d’alignement électoral de la descendance des pieds-noirs sur le reste de la population s’est effectué pour l’essentiel dès la seconde génération[1]. Au second tour, les enfants de pieds-noirs ont voté à 52,5 % pour Nicolas Sarkozy contre 64 % pour leurs parents. Ce mouvement de réalignement, déjà quasiment effectué, s’est poursuivi dans la troisième génération, les petits-enfants de pieds-noirs ayant voté à 50,5 % pour Nicolas Sarkozy.
- Le poids du vote « rapatrié » sur le littoral méditerranéen
Le sur-vote en faveur de l’extrême-droite dans le sud-est de la France est souvent associé voire expliqué par la surreprésentation de la communauté pied-noire dans ces régions. Qu’en est-il ? La présence plus importante de la communauté rapatriée en Languedoc-Roussillon et en Provence-Alpes-Côte d’Azur est, nous l’avons vu, assez manifeste. D’après une analyse de l’Ifop réalisée à partir de l’étude des listes électorales (où figure le lieu de naissance des électeurs), nous avons pu évaluer le poids des seuls rapatriés (sans prendre en compte leur descendance) à 5,5% à Perpignan, 4,8% à Béziers ou 4,7% à Aix-en-Provence.
Mais, si les données du rolling indiquent un niveau de vote pour Marine Le Pen impressionnant (29,5%) dans la communauté pied-noire de Provence-Alpes-Côte d’Azur et du Languedoc-Roussillon, le niveau est également élevé parmi les 85% d’électeurs non-pieds-noirs de ces deux régions : 22,5% contre 17% dans les autres régions. Même sans les pieds-noirs, ces deux régions voteraient davantage pour le Front National que les autres régions, la présence pied-noire amplifiant ce tropisme local.
Si la forte présence « rapatriée » contribue donc à accentuer la prégnance du vote frontiste sur le littoral méditerranéen, on constate symétriquement que le sur-vote FN des pieds-noirs est spécifique à la Provence-Alpes-Côte d’Azur et au Languedoc-Roussillon. Dans les autres régions, les pieds-noirs et leurs descendants votent FN dans les mêmes proportions que les personnes sans ascendance pied-noire (17%) et beaucoup moins que leurs homologues de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Languedoc-Roussillon (29,5% soit 12,5 points de plus dans ces deux régions). Tout se passe comme si le contexte local propre à ces régions et le fait de vivre à proximité de nombreux autres pieds-noirs renforçaient ce sentiment communautaire et nourrissait davantage qu’ailleurs ce vote très droitier. Le cas de Carnoux-en-Provence, commune des Bouches du Rhône, créée en 1957 par des Français rapatriés du Maroc rejoints en 1962 par de nombreux pieds-noirs d’Algérie, est assez symptomatique de ce phénomène d’un vote communautaire entretenu par une forte concentration pied-noire sur un même territoire. Marine Le Pen y a ainsi recueilli 28,4% des voix (5 points de plus que la moyenne départementale) et Nicolas Sarkozy 35,6% (8 points de plus) au premier tour de la présidentielle.
A Béziers, on constate également un sur-vote pour Marine Le Pen dans les bureaux de vote présentant la plus forte proportion de pieds-noirs comme l’indique le tableau suivant :
Mais l’analyse du cas de Perpignan montre qu’il est aujourd’hui difficile de territorialiser le "vote pied-noir" en milieu urbain. En effet, si les rapatriés se sont installés à leur arrivée dans certains quartiers spécifiques, la proportion de pieds-noirs y a beaucoup diminué avec le temps et leur présence s’est progressivement diluée. Ainsi, dans le quartier du Moulin à Vent, historiquement réputé comme le "quartier pied-noir de Perpignan", les rapatriés (au sens strict, c’est-à-dire sans prise en compte de leurs descendants) représentent aujourd’hui moins de 15% de la population du quartier inscrire sur les listes électorales, ce qui est certes significatif mais on est loin de la majorité.
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