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Du nouveau sur les Français "DISPARUS" d'Algérie en 1962 avec un livre de Jean-Jacques Jordi
Un silence d’État
       
   

Guerre d’Algérie : les derniers secrets



Arnaud Folch


Dans son livre choc, Un silence d’État (Soteca-Belin), l’historien Jean-Jacques Jordi dévoile des centaines d’archives interdites d’accès.
Cinquante ans après, celles-ci remettent en question la vision à sens unique propagée jusque-là sur la guerre d’Algérie.

C’est un historien réputé, plutôt classé à gauche, qui a eu la lourde tâche de “fouiller” les archives inédites de la guerre d’Algérie.
Docteur en histoire, enseignant, notamment à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur d’une dizaine d’ouvrages et de plusieurs documentaires télévisés consacrés à ce conflit (France 2, France 3, M6), Jean-Jacques Jordi, 56 ans, n’a rien d’un “extrémiste” – d’une cause ou d’une autre. « Mon travail est scientifique, dit-il. Je ne suis ni un juge qui décide “c’est juste ou injuste” ni un religieux qui décrète “c’est bon ou mauvais”. »
Raison pour laquelle Renaud Bachy, président de la Mission interministérielle aux rapatriés, l’a exceptionnellement autorisé il y a quatre ans, au nom du gouvernement, à plonger dans ces archives, normalement interdites d’accès pour une période allant de soixante à cent ans.

Centre historique des Archives nationales, Service historique de la Défense, Service central des rapatriés, Archives nationales d’outre-mer, Centre des archives contemporaines, Centre des archives diplomatiques, Comité international de la Croix-Rouge : en tout, ce sont près de 12 000 documents administratifs classés “très secret”, “secret” et “secret confidentiel” que Jean-Jacques Jordi a pu consulter et photographier.
Rassemblés (pour partie) dans son livre, Un silence d’État, dont Valeurs actuelles publie des extraits en exclusivité, le résultat de son enquête et les documents qu’il porte aujourd’hui à la connaissance du public sont absolument stupéfiants.
Pourtant spécialiste de la question, lui-même le reconnaît : « Jamais, confie-t-il, je n’aurais imaginé découvrir de tels faits. »

Depuis près de cinquante ans, l’histoire de la guerre d’Algérie s’écrit en noir et blanc : d’un côté, les “gentils” (le FLN et les partisans de l’indépendance), de l’autre, les “méchants” (les pieds-noirs et les défenseurs de l’Algérie française). Les travaux de Jean-Jacques Jordi remettent totalement en question ce manichéisme mémoriel. Non pour réhabiliter une violence par rapport à une autre, mais pour rétablir une vérité autrement plus complexe que celle propagée depuis 1962. " Jusque-là, la thèse officielle était que l’OAS, refusant les accords d’Évian, avait plongé l’Algérie dans la terreur, légitimant la riposte du FLN, rappelle l’auteur ".


Cela n’est qu’en partie vrai.


D’abord parce que le terrorisme FLN a précédé celui de l’OAS, mais aussi parce qu’il a été beaucoup plus meurtrier. Ensuite, sous prétexte de lutte anti-OAS, le FLN et l’ALN (Armée de libération nationale) se sont essentiellement livrés à des exactions dirigées non contre les activistes, mais de manière aveugle contre l’ensemble de la population – l’instauration de ce climat de terreur ayant pour but avoué de précipiter le départ des Français, y compris après le 19 mars (cessez-le-feu) et le 5 juillet (indépendance). »

Documents parfois terribles à l’appui, Jean-Jacques Jordi révèle une “autre” guerre d’Algérie, où les “héros de l’indépendance” – tout du moins une partie d’entre eux – livrent la face obscure de leurs méthodes : enlèvements, viols, tortures, actes de barbarie… Jusqu’à ces
« quarante Européens séquestrés » jusqu’à ce que mort s’ensuive pour servir de « donneurs de sang » aux combattants FLN !
Ces faits, démontre l’ouvrage, étaient connus, et même soutenus, par les dirigeants algériens de l’époque.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, écrit-il, « il n’y eut aucune poursuite judiciaire de la part de la justice algérienne contre ceux qui s’étaient rendus coupables d’exactions ou de meurtres ».

Mais les archives secrètes  n’épargnent pas non plus les autorités françaises et le rôle des “barbouzes” envoyés sur place : oui, des Français ont torturé d’autres Français ; oui, des listes de militants supposés de l’OAS ont été transmises aux insurgés ; oui, des ordres ont été donnés afin de ne pas intervenir, condamnant à mort des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants…
Au-delà de la passivité, une véritable complicité. Comment qualifier autrement l’attitude – révélée par un rapport – de ces gendarmes mobiles rendant à ses bourreaux FLN un ressortissant français « torturé à l’électricité et battu » qui était parvenu à s’enfuir et  à se réfugier dans leur cantonnement ?

« Que la raison d’État – des deux côtés de la Méditerranée – l’ait emporté sur quelques milliers de vie, cela n’est pas propre à la guerre d’Algérie, au moins faut-il le reconnaître », écrit Jean-Jacques Jordi. Pas plus que les événements ne le furent, la repentance ne peut pas, et ne doit pas, être à sens unique. Cinquante ans après, le moment est sans doute venu pour l’Algérie, comme pour la France, de reconnaître ce que fut – aussi – ce conflit : le martyre des pieds-noirs et des harkis. Nicolas Sarkozy s’y était engagé en 2007 à Toulon lors de sa campagne électorale. Osera-t-il, à l’occasion des cérémonies du cinquantenaire, braver le “politiquement correct”, aujourd’hui clairement désavoué, et tenir sa promesse ?
Arnaud Folch


Ces vérités occultées révélées par les archives


Documents

Durant quatre ans, Jean-Jacques Jordi a pu "fouiller" les archives secrètes de la guerre d'Algérie. Les résultats de son enquête sont stupéfiants.

Extraits.


TORTURE : LE FLN AUSSI


« La torture n'est pas une "spécialité" de l'armée française : elle a été largement utilisée par le FLN et l'ALN» : c'est ce qui ressort de « la quasi-totalité des archives consultées » par l'auteur. Parmi d'autres, le général Gravil, chef du 2eme bureau, évoque les « cas tragiques de ces ressortissants impunément torturés, assassinés, contre tous les termes, tant sur le fond que sur la forme, des accords d'Évian ».
Un rapport relate le calvaire de Roland Planté, garde champêtre à El Rahel (département d'Oran) : « le 20 juin 1962, à 6 heures du matin, quatre hommes du FLN se présentent à son domicile, le ligotent et le jettent dans une voiture. Il est amené au douar Amadoueh, où il reste une journée entière, un sac sur la tête et les mains ligotés par du fil de fer. [Le lendemain], il est cravaché par la population musulmane qui l'amène dans une autre mechta à quelques centaines de mètres où il est alors plus violemment frappé. [Le surlendemain], il est frappé sans discontinuer par deux hommes et deux femmes dont une le brûle avec une cigarette.
Il s'évanouit. » Libéré le 27 juillet dans un état « hagard » et « sérieusement ébranlé sur le plan de l'équilibre nerveux », le médecin militaire qui l'examine constate de « nombreux traumatismes sur son corps (tronc, bras et tête) avec fractures multiples des côtes, du sternum... »
« Le 8 septembre, rapporte un autre document, une dizaine d'Européens étaient libérés. [...] Toutes ces personnes ont été torturées, soit par électricité, soit par noyade, soit par introduction de corps étrangers dans l'anus. »
La découverte de dizaines de charniers confirme ces pratiques. L'un d'eux contient les corps de neuf Français qu'« il ne fut plus possible de reconnaître tant les personnes étaient affreusement mutilées » Parmi ces cadavres, « 2 ont été tués à l'arme blanche, les autres par balles et portent des traces de coups dus à un acharnement sur leur corps », constate le médecin-colonel.
Un rapport évoque aussi des « cadavres ensevelis par la population après avoir été déchiquetés ».
Le 9 mars 1962, à Eckmühl, « 16 personnes dont 3 femmes périssent carbonisées dans un garage où elles s'étaient réfugiées et qui est incendié par un commando FLN».
Ces tortures, que Jordi qualifie de « systématiques », vont durer longtemps après l'indépendance !
Le 30 janvier 1963, le consul général d'Alger attire encore l'attention du ministre algérien des Affaires étrangères, Mohamed Khemisti, sur l'existence de « locaux de torture dans une villa située chemin Laperlier, à El Biar, ainsi qu'au cinquième étage de la préfecture d'Alger » - d'où un Français, M. Bordier, s'est « suicidé en se jetant par la fenêtre, pour échapper à son supplice ».
Plusieurs documents vont jusqu'à relater le cas de personnes enlevées pour « donner leur sang » - jusqu'à la mort.
Un rapport parle de la découverte des corps de « 40 Européens séquestrés, jouant le rôle de donneurs de sang pour les combattants FLN ». Le 21 avril 1962, des gendarmes d'Oran en patrouille découvrent « quatre Européens entièrement dévêtus, la peau collée aux os et complètement vidés de leur sang. Ces personnes n'ont pas été égorgées, mais vidées de leur sang de manière chirurgicale ». Cette collecte de sang se déroule parfois avec la complicité de "médecins français", acquis à l'indépendance. Aucun ne sera inquiété après leur retour en France.



Des prisonnières françaises retenues dans un "centre du repos du FLN".


Une note de la direction des armées révèle la présence, dans un centre de détention du FLN, d'une quarantaine d'Européens séquestrés jouant le rôle de donneurs de sang".


TRAVAUX FORCES ET CAMPS À L'ÉTRANGER


Des centaines de Français détenus ont été envoyés dans des « camps de travail » du FLN. Ils sont souvent « inscrits sous des noms d'emprunt » afin de « déjouer les démarches faites par les commissions de contrôle et par la Croix-Rouge ». Un rapport militaire chiffre à 200 le nombre de prisonniers « occupés à des travaux pénibles dans un camp au sud de Cherchell ». Le fils et la belle-fille de Maurice Penniello, prisonniers dans le camp de Tendara, « sont employés à la construction d'un hôpital pour les blessés du FLN ».
Avant l'indépendance, plusieurs « camps de détention » étaient installés au Maroc et Tunisie - avec la complicité des deux États. « Certaines des personnes enlevées sont prisonnières [...] dans les camps de l'ALN au Maroc ou en Tunisie », écrit Christian Fouchet, le haut-commissaire de la République française.


LES BORDELS DU FLN


De nombreux document évoquent des « viols d'Européennes », notamment après le "cessez-le-feu".
À partir du 19 mars, sont cités des « dépôts de plainte quotidiens sur tout le territoire de l'Algérie et plus précisément dans les villes ». Les violeurs sont le plus souvent laissés en liberté : « au soir du 13 septembre 1962, dans Alger centre, trois Européennes sont violées, portent plainte, désignent leurs violeurs qui ne sont pas inquiétés », expose un rapport. Le 8 novembre 1962, Amar Oucheur, accusé de viol et de tentative d assassinat sur une Française à la fin octobre, est « remis en-liberté sans suivi judiciaire ».
Concernant le sort des femmes enlevées, nombre d'entre elles sont « livrées à la prostitution » ou « réduites en esclavage dans le Sud ».
Preuve de l'importance de ce phénomène : en janvier 1963, le ministre algérien de l'Intérieur ordonne le recensement des Françaises "placées" dans les bordels militaires de campagne (BMC) algériens !
Dans un courrier classé « secret », le colonel de Reals, attaché militaire auprès de l'ambassade de France, demande des informations à un officier d'état-major : « D'après des renseignements récents [13 septembre], mademoiselle Claude Perez, institutrice à Inkermann, enlevée le 23 avril 1962par le FLN [...] est en ce moment dans un "centre de repos" du FLN, situé au bord de la mer, près de Ténès. Elle est détenue là avec deux autres captives enlevées à Dilian et à Orléansville. » L'auteur cite aussi le cas de « Mme Valadier, enlevée à Alger le 14 juin 1962 par le FLN, et retenue dans une maison close de la basse casbah. » Parvenue à s'enfuir et à rentrer en France, elle sera hospitalisée en neurologie à Nîmes en 1963. Son témoignage, cité à l'époque par plusieurs associations de rapatriés, ne sera jamais reconnu par la France. Il était pourtant vrai !



Chargées de la lutte secrète anti-OAS en Algérie, les barbouzes de la Mission C, ont "fourni aux services d'Azzedine (l'un des chefs du FLN) des listes d'Européens à enlever et des listes de voitures, suspectes appartenant à des gens à enlever".



Azzedine archives BEO story


AVEC LA CAUTION DU POUVOIR ALGÉRIEN


Militaires, policiers et proches du pouvoir FLN sont directement impliqués dans nombre d'exactions. Le 12 juillet 1962,1a gendarmerie d'Harrach rédige une note indiquant clairement que des « interrogatoires au moyen de la torture sont menés par le lieutenant Saïd, qui appartient à la Commission mixte » - créée dans le cadre des accords d'Évian pour "gérer" la transition !
Le 22 janvier 1963, le général de Brebisson avertit l'ambassadeur de France en Algérie de « brutalités exercées contre les Français arrêtés par la police algérienne ». Il joint à sa correspondance plusieurs dizaines de témoignages.

En vain. Selon les documents, « aucune des plaintes déposées après juillet 1962 par des Européens à l’encontre de musulmans pour des occupations d'appartements, vols, pillages, viols, enlèvements et meurtres n'ont eu de suivi, quand bien même les auteurs de ces crimes étaient identifiés ».
C'est notamment le cas de « deux tortionnaires identifiés d'un certain Giuseppe Vaiasicca soumis à l'électricité le 19 septembre 1962 » : deux inspecteurs de la sécurité algérienne faisant office de... gardes du corps d'Ahmed ben Bella, nouveau président du gouvernement algérien ! »


RENDU À SES BOURREAUX !


Le 11 mai à Belcourt, des Européens sont témoins d'un enlèvement, raconte une note. Aussitôt, le sous-officier se présente à l'officier responsable du secteur pour demander son intervention. Il obtient pour toute réponse : « On en a fini avec le FLN. Nous luttons maintenant contre l'OAS.
Oubliez donc ce que vous venez d'apprendre et de voir. » Histoire édifiante révélée par une autre archive : en 1962, figure parmi les libérés d'un camp de détention un certain Christian Bayonnas, mécanicien auto, que les autorités françaises connaissent bien. Après avoir été « torturé à l'électricité et battu », il était en effet parvenu à s'enfuir et à se « réfugier dans le cantonnement des gendarmes mobiles », où il pensait être en sécurité.
Mais les inspecteurs algériens le récupèrent sans que les gendarmes s'y opposent ! Ramené à la villa Leperlier, il sera à nouveau battu pendant plusieurs heures.


BARBOUZES ET MISSION C


Envoyés en Algérie jusqu'à la fin avril 1962 pour affronter l'OAS, les barbouzes (autour de 300) vont commettre de nombreuses exactions dans la plus totale impunité. « Ses membres sont payés secrètement sur les fonds de la Délégation générale du gouvernement en Algérie par l'intermédiaire d'une société fictive, résume une note. Les barbouzes ne sont pas des fonctionnaires de police ni des militaires et leur mode de recrutement s'apparente à celui d'agents de service d'ordre ou de sécurité. »
Selon un document du commandement des forces armées en Algérie du 29 mai 1962, ceux-ci « effectueraient leurs actions en collaboration étroite avec des responsables FLN. Il est utile de signaler à cet effet qu'un nommé Lemarchand, connu pour diriger certains groupes communément désignés sous l'appellation de "barbouzes", effectue de fréquents voyages entre l'Algérie et la métropole sous une fausse identité ».
Au-dessus et encore plus mystérieuse que les barbouzes : la Mission C - pour "choc". En décembre 1961, de Gaulle lui-même a approuvé la constitution de cette dernière.
Le gouvernement et le haut-commissaire de la République en Algérie, Christian Fouchet, sont au courant de leurs activités : « la Mission C, écrit celui-ci dans un courrier adressé à Louis Joxe, ministre chargé des Affaires algériennes, accomplit pleinement sa mission ».
Plusieurs rapports se montrent cependant accablants pour ses méthodes. En janvier 1962, le chef de la Mission C, Michel Hacq, directeur de la police judiciaire, « remet notamment à Bitterlin [l'un des patrons des barbouzes] la liste des membres (noms et pseudonymes, âges et adresses) de l'OAS afin que ce dernier la transmette au FLN par l'intermédiaire de Smàil Madani ».
D'une manière générale, après les accords d'Évian, « un rapprochement s'opère entre la Mission C et le FLN, prioritairement sur Alger et Oran.
Hacq et Lacoste entrent en étroite relation avec Si Azzedine, chef de la zone autonome d'Alger qu'ils rencontrent pour la première fois le 19 mars [...]. Si Azzedine reçoit plusieurs listes de membres de l'OAS.
Le marché est clair, révèle une note militaire : les commandos d’Azzedine peuvent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent "bénéficier" d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la Mission C se rejoignent».


FRANÇAIS TORTURÉS PAR DES FRANÇAIS


Les barbouzes et la Mission C procèdent directement à des « enlèvements et à actes de torture ». L'une de ses trois « branches » est clairement constituée d'« une équipe de choc chargée des interrogatoires en utilisant tous les moyens, y compris la torture ». « La mission qu'effectuent, de novembre à décembre 1961, les membres de la Croix-Rouge [CICR] porte aussi sur les sévices infligés aux Européens activistes (suspects d'appartenir à l'OAS) par les éléments de la Mission Cet par ceux qu'on a appelé les barbouzes, révèle un rapport. Ainsi, le CICR entre en possession d'un rapport de l'hôpital de Mustapha, qui reçoit les Européens passés par la caserne des Tagarins, où se trouve la Mission C. Le rapport fait état de "fracture de la boîte crânienne, de lésions anorectales consécutives à un empalement, de fractures de la colonne vertébrale, d'hématuries, de contusions multiples" et autres sévices graves que les médecins de l'hôpital observent parfois avec un retard de 15 à 24 jours ».
Le 15 novembre 1961, un autre médecin-chef rédige une note sur quatre des personnes hospitalisées après "interrogatoire" par les barbouzes - MM. Ziano, Falcone, Sintes et Tur : « M. Ziano, hospitalisé à la sortie de son séjour aux Tagarins, est une vraie loque humaine, le corps couvert d'ecchymoses avec, aux poignets et aux chevilles, les traces profondes qui l'attachent à son lit. Il a été interrogé tous les soirs du 2 au 28 octobre... Je n'ai pas relevé de fracture chez lui, mais l'examen rectoscopique a révélé des lésions importantes de l'anus et du rectum (l'examen a été effectué par la professeur Claude) par corps étrangers plus ou moins électrifiés introduits par sadisme. J'ai eu à radiographier aussi : Falcone-fracture du crâne plus lésions rectales-; Sintès fracture de la première vertèbre lombaire [...]-; Tur fracture des trois vertèbres DXII [...].
Ces fractures du rachis s'expliquent par les coups donnés dans la position dite de l'estrapade  supplice qui consiste à pousser brusquement une personne dans le vide, sans qu'elle touche le sol, les mains liées derrière le dos avec une corde qui soutient tout le poids du corps].
Dans le service du Dr Salasc, sur 30 OAS hospitalisés, 15 ont été torturés et en présentent les traces. »



C'est après le "cessez-le-feu" du 19 mars 1962 que les enlèvements de masse de Français par le FLN ont pris le plus d'ampleur.
Dans une note du 22 mars adressée au haut-commissaire de la République, il est fait état d'actes "en progression constante".
"Sous prétexte d'une lutte anti-OAS, poursuit-elle, ces enlèvements visent toutes les catégories de la population européenne."


Couvrant ces pratiques, le gouvernement français s'oppose aux visites du CICR « dans les camps où les Européens sont arrêtés pour activités subversives ». « Je serais, pour ma part, hostile à une intervention quelconque de la Croix-Rouge internationale dans tout ce qui concerne les arrestations et détentions d'Européens », écrit le 2 avril 1962 Louis Joxe dans un télégramme « très secret».


ENLÈVEMENTS DE MASSE


Le premier document retrouvé concernant les "enlèvements" perpétrés par le FLN date du 15 décembre 1957.
Intitulée « Note au sujet des personnes enlevées par les rebelles algériens », elle émane de l’état-major mixte et est remise « de la main à la main », est-il précisé, au colonel Magny.
Le but recherché par les ravisseurs y est ainsi résumé : « affermir par la terreur l'emprise du FLN ». « L'enlèvement de civils devait devenir une volonté de pression sur les familles touchées par le drame, ajoute Jordi. Quand bien même les personnes avaient été tuées, il fallait faire en sorte qu'on ne puisse les retrouver. »
La plupart des personnes enlevées seront néanmoins découvertes assassinées.
Hommes, femmes et enfants sont concernés, ainsi des «jeunes Jean-Paul Morio (15 ans), Jean Aimeras (Mans) et Gilbert Bousquet (15 ans), enlevés alors qu'ils faisaient du vélo »et dont « les cadavres seront retrouvés quelques jours plus tard dans un puits ».

Les autorités françaises fermeront souvent les yeux sur ces enlèvements. Le 13 mai 1962 à Alger, « 5 fidaynes [sic !] armés s'emparent de l'employé du cinéma le Rex qui se débat ». Une patrouille des forces de l'ordre intervient : l'employé est relâché, « mais les cinq musulmans ont pu repartir sans ennuis » ! Quant à l'employé du Rex, il sera enlevé le lendemain dans les mêmes conditions. Au même moment, « à la hauteur du Monoprix de Belcourt, Félix Croce est enlevé par un groupe de musulmans sous les yeux d'une patrouille militaire des forces de l'ordre.
Des civils européens, témoins de l'enlèvement, prennent à partie la patrouille en raison de son attitude passive. Le chef de patrouille répond alors "qu'en exécution des instructions reçues, il lui était impossible de s'opposer à de tels faits" ».
Félix Croce sera au nombre des cinq Européens fusillés par le FLN le lendemain rue Albert-de- Mun.
Des dizaines de documents en témoignent : les autorités françaises savent avec précision où se trouvent les principaux lieux de séquestration, mais n'interviennent presque jamais : « Nous sommes impuissants, nous n'y pouvons rien, nous avons reçu l'ordre de les laisser faire », regrette un militaire dans une note.

La vague d'enlèvements - plusieurs dizaines de milliers au total -atteint son point culminant après le "cessez-le-feu" et l'indépendance : « en deux mois et demi, du 19 mars à la fin mai 1962, écrit Jordi, il y a eu plus d'enlevés et de disparus qu'entre novembre 1954 et le 18 mars 1962. » À partir d'avril, « les enlèvements d'Européens par le FLN sont quasi systématiques », ajoute un rapport.
Extraits d'une directive interne du FLN saisie par le renseignement militaire : « désormais, les enlèvements ne seront plus effectués sur des individus mais sur des familles entières ». Il reste aujourd'hui près de 4 000 disparus dont les corps n'ont jamais été retrouvés.  •



Les autorités françaises connaissaient les noms des disparus  : une fiche de renseignement) et la plupart des lieux de détention



Dans ce dernier document, portant sur la région du Grand Alger, il est aussi révélé plusieurs cas de tortures.


Un silence d'État, les disparus civils européens de la guerre d'Algérie,
de Jean-Jacques jordi, Soteca-Belin, 200 pages, 25 €.



Source : http://www.valeursactuelles.com/dossier-d039actualit%C3%A9/dossier-d039actualit%C3%A9/guerre-d%E2%80%99alg%C3%A9rie-derniers-secrets20111103.html