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Le profond mépris de la France pour les disparus du 5 juillet 1962 à Oran
   
     
 
Marie-Claude Teuma, algérianiste, dont le père fait partie de la longue liste de disparus en Algérie, a engagé depuis de nombreuses années un courageux combat pour la reconnaissance de ce drame. L'algérianiste a tenu à lui donner la parole.
1) Quel est pour vous le sens de ce combat ?
En premier lieu, ce combat se situe au niveau du droit à la vérité qui est un droit fondamental reconnu par le Conseil des Droits de l'Homme et par la France en la personne de M. Daniel Vosgien qui, en 2007 se réjouissait que « les victimes puissent connaître les circonstances de la disparition forcée, le déroulement puis les résultats de l'enquête et le sort de la personne disparue ». Ce n'est qu'en 2004, par dérogation spéciale du gouvernement, que les familles d'enlevés/disparus ont eu accès aux archives du Comité International de la Croix-Rouge qu'elles réclamaient depuis quarante ans, sous condition qu'elles ne les divulguent pas et qu'elles ne les reproduisent pas. L'enquête du CICR sur le 5 juillet s'est déroulée de mars à juillet 1963, soit neuf mois après les faits.
   
     
Rien n'a été mis en oeuvre pour les retrouver vivants, ni même pour les enterrer dignement. Personnellement, j'ai rencontré en 2005, des témoins qui ont vécu cette sinistre journée et j'ai recueilli deux versions différentes sur la disparition de mon père, qui sont en contradiction avec les déclarations officielles. Enlevé/disparu signifie que nous ne savons pas s'ils sont morts, comment sont-ils morts et où ils reposent. Nous n'avons jamais pu leur offrir une sépulture décente.
Depuis trois ans, je demande l'autorisation d'apposer une plaque en souvenir de nos disparus au cimetière militaire français d'Oran qui domine le « sinistre Petit Lac » ; en retour, les services de l'Etat me balladent. Mais c'est aussi un devoir de mémoire.
Mon combat n'est pas uniquement personnel, j'ai conscience qu'en parlant de mon père, c'est également au nom de toute une armée d'enlevés/disparus, civils ou militaires que je réclame, la reconnaissance de leur martyre et la souffrance de leur famille.
     
 
 
     
Les disparitions forcées sont une combinaison de violations de plusieurs droits : droits civils juridiques, droits à la liberté et à la sécurité de la personne, droit à la vie, droit à l'intégrité physique et droits économiques, sociaux et culturels, droit à une vie de famille. C'est une violation spécifique des Droits de l'Homme.
Le 5 juillet est une date qui dérange et qui fait tache dans l'histoire conjointe de la France et de l'Algérie. Ce qui aurait du être une journée de fête pour le nouvel Etat, s'est terminée dans un bain de sang.
On ne doit pas occulter les faits, aussi atroces soient-ils, au nom d'un quelconque intérêt politique. Les disparus du 5 juillet n'ont pas été victimes d'un simple enlèvement, les motifs étaient politiques et non pas crapuleux, la journée du 5 juillet a été organisée, ce n'est pas par hasard si les enlèvements se sont multipliés de façon exponentielle après la signature des accords d'Evian. Reconnaître ses erreurs et les réparer permettraient aux États respectifs de recevoir en retour le respect de leurs concitoyens et l'on pourrait enfin regarder vers l'avenir. Malheureusement, L'Algérie et la France se complaisent dans une hypocrisie indigne, le premier en faisant l'impasse sur ses responsabilités, le second en niant des faits incontestables.
2) Le 5 novembre 2009, l'Etat attribuait à votre père la mention » Mort pour la France » puis la retirait de manière incompréhensible le 21 décembre.
Quelles raisons ont-elles étaient avancées à l'appui de cette décision scandaleuse ?
En effet, alors que l'expert de haut niveau auprès de la directrice des statuts des pensions et de la réinsertion sociale a jugé, le 5 novembre, que les circonstances du décès de mon père « résultent d'actes de violence constituant une suite directe de faits de guerre et permettent l'apposition de la mention « Mort pour la France », la directrice du même service me signifiait par simple lettre, le 21 décembre 2009, que l'avis favorable m'était retiré car il était « entaché d'illégalité ». La raison invoquée? La date, uniquement : « La fin de la guerre d'Algérie » ayant été déclarée le 2 juillet, mon père, je cite « n'est pas décédé à la suite d'actes de violence constituant une suite directe défaits de guerre ». A part le fait que le 2 juillet est considéré officiellement comme la fin de la guerre d'Algérie et non plus le 19 mars, il n'en demeure pas moins que cette décision est illégale: la date de l'indépendance n'a rien à voir avec les conséquences de la guerre. Mon père et ses trois compagnons effectuaient une livraison pour le compte de l'armée française, ils étaient donc collaborateurs de cette armée. Cette armée leur a fait prendre un risque, qui leur a coûté la vie. Que faisaient donc les troupes françaises en Algérie indépendante? Peut-on la considérer comme une armée d'occupation? Pourquoi attribuer la « reconnaissance de la Nation » aux militaires français qui ont effectué un séjour de plus de 90 jours en Algérie et ce jusqu'au 1er juillet 1964?
Il y a également, rupture de l'égalité de traitement entre les victimes, en fonction de la date de leur enlèvement. C'est aussi nier le massacre des Harkis par le FLN après l'indépendance. En prenant la date de l'indépendance comme point de référence pour attribuer la mention « Mort pour la France » l'administration ajoute une condition non prévue par les textes ce qui est parfaitement illégal: c'est un excès de pouvoir, manifeste.
3) Vous avez décidez de vous battre contre cette décision. Quelles actions avez-vous engagées et quels sont vos espoirs ?
Pour toutes ces raisons, j'ai donc décidé d'assigner le ministère de la Défense devant le tribunal de Grande Instance de Nantes et devant le tribunal administratif de Nîmes pour annulation de la décision ministérielle de retrait de la mention « Mort pour la France ».
Je souhaite que l'Etat français applique strictement les dispositions de l'article L.488, alinéa 9 du Code des pensions militaires et qu'il mette fin à cette discrimination intolérable envers les enlevés/disparus d'Algérie victimes de disparitions forcées. In l’Algérianiste supplément N°130 de juin 2010