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Après la capitulation française des accords d'Evian, Houari Boumediene, chef suprême de l'Armée des frontières, attendait son heure dans son quartier général d’Oujda. Son homme de confiance et adjoint, chargé de mission auprès de l'Élysée, le commandant Abdelkader, alias Abdelaziz Bouteflika, partageait son impatience et son ambition.
Ces accords d'Evian n'étaient qu'une tromperie. En les signant devant de simples doublures des extrémistes de l'unis, les négociateurs français savaient qu'ils signaient un " papier " sans valeur et qu'ils abandonnaient l'Algérie à la discrétion d'un parti unique et aux mains d'un seul homme, Ahmed Ben Bella, ou de plus fort que lui.
Ahmed Ben Bella qui, abandonnant par la grâce de la France
sa vie de château en pays de Loire, déclarait sous les acclamations
en atterrissant à Tunis le l4 avril: " Nous sommes des Arabes! Noues
sommes des Arabes ! Nous sommes des Arabes ! ".
Dans cette Algérie nouvelle, arabe et triomphante, le F.L.N. s'effondrait,
victime de ses rivalités et de ses haines accumulées.
Le G.P.R.A. s'embourbait dans ses contradictions et ses querelles internes.
L'exécutif provisoire cloîtré dans le Rocher Noir et confronté
aux désertions massives de la Force locale, s'avérait incapable
de gérer la situation. I'A.L.N. de l'intérieur n'existait plus
en tant que troupe combattante.
Fin avril la rupture était consommée entre le G.P.R.A. et le bloc
de l'Ouest de Ben Bella. Ce bloc était composé de l'Armée
des frontières, dont le chef était Boumediene, de la wilaya I
des Aurès, bientôt suivie par la wilaya VI du Sahara et peu après
par la wilaya V d'Oranie d'où étaient originaires Ben Bella et
Bouteflika. Les autres wilayas restaient fidèles au G.P.R.A. Aucun de
ces trois hommes n'avait été associé aux discussions et
aux accords d'Evian.
Fin mai à Tripoli Ben Bella imposait son programme révolutionnaire et marxiste. L'Algérie deviendrait une démocratie populaire de fondement islamique.
Le 26 juin le G.P.R.A. éclatait. Le 30 l'état-major de l'ouest était dissous et l'Algérie, à la veille de l'indépendance, était coupée en deux. Ben Bella, avant de lancer ses troupes de l'extérieur à la conquête d'Alger, décidait d'agir et d'intervenir à Oran le 5 juillet. Cette date avait été retenue pour fêter la nouvelle indépendance de l'Algérie. C'était le 5 juillet 1830 que les troupes françaises avaient, pour la première fois, pénétré en El-Djezaïr.
À Oran, l'homme de main du trio Ben Bella, Boumediene, Bouteflika, était le capitaine Bakhti. De son vrai nom Nemiche, Bakhti avait été l'un des complices de Ben Bella lors de l'attaque de la Grande poste d'Oran en 1949. II faisait partie de la " commission de réconciliation " instaurée le 21 juin et qui comprenait des notables européens " libéraux " dont le premier adjoint au maire, et des musulmans " engagés ".
Dans les coulisses de cette commission s'agitait l'énigmatique
mais sympathique et convaincant René Soyer, qui avait ses entrées
dans tous les bureaux et milieux. Sa profession plus ou moins avouée
de journaliste laissait sceptique. Homme de coeur souhaitait-il sincèrement
éviter les affrontements entre les communautés " Barbouze
" de haut niveau à la double mission de ne pas provoquer d'intervention
de l'armée française et de faire respecter aux yeux de l'opinion
internationale les accords d'Evian? Ou peut-être encore complice d'un
plan machiavélique élaboré en secret à Paris et
à Oujda ? On ne le sait pas encore, les archives n'étant pas consultables.
Le 5 juillet René Soyer avait laissé sa place au Grand Hôtel
à Bouteflika et avait installé ses bureaux au 7 de la rue Floréal
dans les locaux de la recette municipale. Le préfet français Thomas
avait prudemment préféré s'éclipser par Mers el-Kébir.
Le nouveau préfet de la ville, Salah Abdelkader, restait introuvable.
Ben Bella quittait Marnia pour Tlemcen. Le « boucher » Katz s'enfermait
au Château Neuf et confirmait ses ordres de rester neutre et n'intervenir
en aucune circonstance ".
La veille, les Katiba " du Maroc, cantonnées aux portes d'Oran,
avaient défilé en bon ordre et sans incidents. La " commission
de réconciliation " avait décidé de maintenir la manifestation
populaire prévue en centre-ville en fin de matinée du 5 juillet.
On sait ce qui s'est passé ce jour-là, vers midi et jusqu'à 5 heures du soir, sans que l'armée française n'intervienne: le déferlement de hordes primitives assoiffées de sang, la chasse à tout ce qui n'était pas arabe, les enlèvements, les abattages sauvages, les disparitions d'hommes, d'enfants, de femmes surtout, dont les proches qui survivent ne font encore aujourd'hui qu'une seule prière: " Mon Dieu, faites qu'ils soient morts, vite ". Dans son livre Les oubliés de la guerre d'Algérie, Raphaël Delpard écrit: " 1’apocalyspe est atteinte le 5 juillet à Oran, jour de l'indépendance. Des meutes armées de femmes et d'hommes, investissent la ville vers 11 heures du matin, se ruent dans les immeubles, défoncent les portes des appartements et tuent, égorgent, éventrent tout ce qui ressemble à un Européen . Personne n'est épargné, ni les femmes, ni les enfants... Les militaires consignés dans les casernes ont reçu l'ordre de ne pas intervenir. Comment ont-ils pu vivre cette journée du 5 juillet avec les hurlements des Français que l'on assassinait et dont ils devaient entendre les appels de détresse ? (1)
La France apprend à l'école Oradour-sur-Glane, mais ignore ce qui s'est passé à Oran le 5 juillet 1962 (2) pendant que Katz " déjeunait ", que Bouteflika et son état-major se pavanaient dans les salons du Grand Hôtel de la place de la Bastille, que les sept Katiba " de l'A.L.N. attendaient leur heure, et que les 12000 soldats français d'Oran-ville demeuraient, sur ordre, l'arme au pied, Oran subissait le martyre. " Si les gens s'entre massacrent ce sera l'affaire des nouvelles autorités " avait dit le " général "(3). Alors pourquoi la sortie tardive, à 17 heures, des gardes rouges? Il est impensable que Jeanneney, ambassadeur, et le général Fourquet, commandant supérieur à Alger, que le ministre des Armées Messmer, le ministre d'État Joxe, chargé des " Affaires Algériennes ", et le Gaulle à Paris n'aient pas été informés.
Parce qu'il y avait complot et qu'il fallait qu'il réussisse.
On a parlé d'une intervention du président Kennedy. On a dit aussi que des navires américains en mer avaient capté des messages et que leur ambassade avait été alertée. Devant les risques d'internationalisation, Katz aurait reçu l'ordre d'intervenir, mettant fin à la boucherie. Rien aujourd'hui ne permet de l'affirmer.
On sait en revanche avec certitude, et des rescapés miraculés l'ont répété, que des civils ont été " raflés ", " interrogés " et" sauvés " par des musulmans en uniforme et armés. Des Français ont raconté les jours suivants avoir été prévenus la veille de ne pas sortir ou de ne pas se rendre à Oran le lendemain parce qu'il devait s'y passer des choses graves.
Pour justifier sa non-intervention, Katz a rendu I'O.A.S. responsable
de tirs de provocation alors que les " Collines " avaient abandonné
la ville avant le 1er juillet. Affirmation par ailleurs démentie par
la simple réflexion et le témoignage de journalistes. Ils ont
déclaré avoir vu des gens s'abriter sous des porches parce que
soumis à des tirs venant des terrasses. Ils ont dit avoir vu des tireurs
sortir de la foule et riposter, non pas vers les toits et les balcons mais en
direction des sentinelles françaises en faction derrière leurs
grilles. Ils ont écrit avoir assisté à des scènes
de lynchage de ces tireurs arabes isolés pris pour des agents de l'O.A.S.
(4)
Le 5 juillet à Oran a été la journée la plus sanglante
de la guerre d'Algérie, alors que le " cessez-le-feu " était
unilatéralement appliqué depuis le 19 mars. II reste un cas unique
dans le monde où une armée nationale et républicaine laisse
massacrer ses compatriotes civils par des étrangers, sans intervenir.
Le 10 juillet, soit cinq jours plus tard, le capitaine Bakhti, lors d'une conférence de presse donnée dans la soirée au collège Ardaillon, attribuait les massacres d'Européens à une bande de malfaiteurs et dissidents, dirigée par un certain Attou, et repérée depuis longtemps dans les faubourgs indigènes du Petit-Lac, de Langur et de Victor-I luge. Encerclés le 9 par deux bataillons de l'A.L.N., Attou avait été tué et deux cents dissidents arrêtés. Ils seraient jugés. Or Attou, responsable du F.I..N.-A.L.N. avait été éliminé par l'O.A.S.plusieurs semaines auparavant (5) Le plan machiavélique avait réussi Evian n'était pas remis en cause. Est l'ordre était rétabli à Oran. L'armée française n'était pas intervenue et le risque d'un nouveau conflit était écarté. L'Armée de libération algérienne occupait pacifiquement la ville, et par-dessus tout, Ben Bella avait les mains libres.
Oran, seule grande ville d'Algérie à population européenne majoritaire et jusque-là relativement épargnée par les exactions des fellaghas, était saignée à vif. Pendant que, dans le bled, se poursuivaient les meurtres et les enlèvements, le dernier bastion de l'Algérie française allait, deux ans durant, vivre un pitoyable et dramatique exode, dans l'indifférence souvent hostile de l'opinion publique métropolitaine.
La France, sans état d'âme et pour deux raisons
avait choisi son camp, celui des extrémistes et des inconditionnels des
régimes totalitaires marxistes. L’importaient les Français
d'Algérie (6), les Harkis (7) les modérés de formation
occidentale du G.P.R.A. ou de l'exécutif provisoire, " il fallait
en finir au plus vite ", afin que " Colombey les-Deux-Eglises ne devienne
pas Colombey-les-deux-Mosquées ". " Les Arabes sont des Arabes,
les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français
peut absorber dix millions de musulmans qui, demain, seront vingt millions et
après-demain quarante? " déclarait le général
De Gaulle à Alain Peyrefitte.
Quant à l'Algérie, province française, il ajoutait: "
Tant que nous ne nous en serons pas délestés nous ne pourrons
rien faire dans le monde. C'est un terrible boulet. Il faut le détacher.
C'est ma mission "(8)
Deux mois plus tard, 15 millions d'anciens francs étaient versés à I'A.L.N. de Ben Bella qui donnait l'ordre à ses troupes de s'emparer d'Alger " à tout prix ". La décision de ce soutien financier et de ce choix politique avait été prise depuis longtemps " en toute sérénité ".
Un long séjour de six années dans la douce France,
les missions de Bouteflika, les " visites " de Bourges, la duplicité
des gouvernants français aboutissaient enfin. Ben Bella triomphait. Il
obtenait du gouvernement français d'être le seul représentant
des populations algériennes, de faire éliminer toutes les autres
tendances politiques, et de faire assumer par ce même gouvernement la
prise en charge totale du " rapatriement " de ses nationaux.
Le 5 juillet 1962 s’inscrit comme une ligne de démarcation délibérément
et honteusement tracée par la France entre sa frontière méditerranéenne
et l'Algérie nouvelle. 400 000 Oranais, un million de Français,
quelques centaines de supplétifs l'ont franchie pour toujours et ont
déferlé sur leur métropole. Ce n'était pas prévu.
Ce fut la seule erreur de ce crime d'Etat. La France s'était trompée
et nous avait menti.
En 1964 Ben Bella tentait de conforter son pouvoir personnel et de se débarrasser de la tutelle de l'A.I.N. reconstituée et menaçante. Il était pris de vitesse par les militaires et renversé dans la nuit du 18 au 19 juin 1965 par le tandem Boumediene-Bouteflika.
Demeuré seul, Boumediene déclarait le 2 juillet 1972 en dressant le bilan des dix premières années d'indépendance: " le pays avait besoin d'une autorité, nous la lui avons donnée".
Mais à quel prix (9)
Par Paul Birebent In Algérianiste N° 110
Bibliographie
1- Delpard Raphaël, les oubliés de la guerre d’Algérie,
p. 129, éd. Michel I.afont, février 2003.
2.Oradour: 642 personnes; Oran: entre 3000 et 3500. « Oradour reste le
symbole de la barbarie nazie dictionnaire Hachette ».
3-PEYREFITTE (Alain), C’était De Gaulle, p. 136, en Conseil des
ministres du 30 mai.
4 – Paris Match du 14 juillet 1962
5 – MICHELETTI (Claude), Fors l'honneur, éd. Curutchet, 2002.
6 – Vous écoutez ces gens vous ? Des braillards ! Crier, c’est
tout ce qu’ils savent faire « , déclaration au colonel Dufour
le 26 janvier 1960, citée par P. Sergent dans le ne regrette rien, 1974.
7 – Il faut se débarrasser sans délai de ce magma d'auxiliaires
qui n'a jamais servi à rien, in livre blanc de l'Armée française
en A1gérie, ouvrage collectif, 2001.
8 - PEYREFITTE(Alain), op. cit.
9 - A quelles hécatombes condamnerions nous ce pays si nous étions
assez stupides pour l’abandonner ? Conférence de presse du chef
de l'Étal français du 26 octobre 1959.