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Débarquement de Provence : les femmes sous l'uniforme les Merlinettes
 
 

D'une manière générale, il est rare que la parole soit donnée aux femmes pour parler d'une épopée, et notamment en ce qui concerne celle de notre Armée d'Afrique au cours de la seconde guerre mondiale. Et pourtant, combien d'entre elles participèrent à part entière à l'action, et notamment dans les services, et combien d'entre elles payèrent de leur vie le fait de remplir leur mission jusqu'au sacrifice ? On parle souvent de l'action des femmes dans la résistance et si peu de leur rôle au sein de l'armée combattante.

Renée Cassin, lauréate de l'Académie française et des Arts et Lettres de France, dans un article paru dans L'Homme Nouveau du 19 juin 1994, écrivit : "Aucun ouvrage ne relate l'histoire du Corps Féminin des Transmissions, fondé en 1943 par le général Merlin en Afrique du Nord. Ce furent pourtant nos premières femmes soldats car, jusque là, l'engagement des femmes était interdit par la loi dans l'armée française. Elles furent en vérité non pas des civiles auxiliaires mais des soldats très souvent en première ligne, d'authentiques militaires".

Qui mieux que le sergent-major Paulette Vuillaume, engagée volontaire en 1943 et Merlinette du C.E.F.I., peut en parler ? Laissons-lui la parole, dans un extrait de son ouvrage : Elles ont répondu "Oui" au général de Gaulle, où à travers de son histoire personnelle et des récits collectés auprès de ses sœurs de guerre, elle raconte leur odyssée. Ce texte a été publié dans le Bulletin de l'Association Nationale du Souvenir de l'Armée d'Afrique, n° 34, Janvier 2004.

               
   
   

Lors du débarquement du 8 novembre 1942, les effectifs français sont limités. Il devient nécessaire d'envisager l'incorporation de femmes volontaires dans les services auxiliaires de l'armée.

De grandes affiches vont être placardées dans les rues du Maroc et de l'Algérie, puis à Tunis après la libération de l'occupation allemande. Ces affiches représentaient une jeune fille blonde et une jeune fille brune, militaire, avec la légende : "Jeunes filles, engagez-vous, votre place dans les bureaux permettra à un homme de prendre les armes pour reformer notre armée".

L'afflux de ces volontaires fut considérable. Triées et choisies avec le plus grand soin, aussi bien pour leurs compétences que pour leurs qualités morales, les femmes du corps expéditionnaire français, depuis le premier jour jusqu'à la fin de la campagne d'Italie ont fait preuve d'une tenue magnifique.

Poussées par la même flamme que les hommes, par le même idéal patriotique, augmenté d'être en terre étrangère, loin de la France occupée, ces Françaises se sont engagées volontaires pour la durée de la guerre. Certaines n'avaient pas 18 ans mais la classe 45 était la première admise au recrutement. Nous allions vivre confondues dans le meilleur esprit de camaraderie, appartenant à toutes les classes de la société, jeunes filles du peuple ou portant les plus grands noms de l'armorial.

Officiers et soldats du C.E.F., moqueurs et sceptiques au début de la campagne, se sont bientôt inclinés avec respect devant ces camarades "au féminin".

Rien ne nous obligeait à quitter notre famille. Nous aurions pu rester tranquillement à regarder de loin les événements se dérouler. Les combattants hommes mobilisés en Afrique et rejoints par tous ceux qui avaient répondu à l'appel du général de Gaulle feraient leur devoir. Mais voilà, pour la première fois dans l'histoire, la patrie faisait appel à ses filles. Pouvait-on rester insensible ? La Lorraine que j'étais ne pouvait répondre que "présente".

   
       
 
 

En accord avec le général de Gaulle, le général Merlin avait créé à Alger, dès février 1943, le corps féminin des transmissions.

Le surnom de "Merlinettes" était lancé. Ces jeunes filles, engagées volontaires pour la durée de la guerre, allaient faire partie du corps expéditionnaire français en Italie en qualité de simples soldats.

Les jeunes femmes déjà incorporées, qui venaient du Maroc ou d'Algérie, après une visite médicale très sérieuse et des testes d'aptitude préalables à la formation d'opératrices des transmissions, faisaient leur instruction à Hydra (Alger).

Engagées sitôt la libération de Tunis par les Alliés en mai 1943, nous étions internes au lycée Armand Fallières, à Tunis, sous le commandement du capitaine Delorme (père blanc de Carthage), aumônier général de toutes les troupes d'Afrique du Nord, particulièrement sévère sur la bonne moralité de ses "ouailles". "Vous oubliez votre condition féminine, vous devenez des soldats", dira-t-il dès le début. La mutation dans la peau d'un garçon ne se fera pas sans mal, l'égalité des sexes n'avait pas encore vu le jour. Finis la coquetterie, le maquillage, etc.

     
 
   
 

Déclarées "bonnes pour le service", nous étions strictement soldats de deuxième classe, classe 45, incorporées au 44e bataillon de transmissions de Tunis, Paulette Vuillaume, matricule 23 (mineure).

Tous les matins durant quatre mois, nous allions suivre des cours des trois disciplines des transmissions : radio, télétypiste, standardiste.

Nos instructeurs du génie nous formaient avec patience et compétence. Ils nous apprirent même les installations des postes de communication. Nous montions dans les arbres (faute de pylônes) pour tirer les lignes aériennes. Les épissures devaient être parfaites.

           
     
   
           
             

Nous étions de véritables petits sapeurs. Rapidité et dextérité seraient primordiales dans la fonction qui allait être la nôtre : transmettre principalement les messages codés.

Les après-midi étaient réservés aux exercices physiques... tous les entraînements destinés aux "bleus" nous étaient imposés... l'enseignement militaire nous était dispensé avec vigueur. Nous avons été habillées en civil jusqu'au jour où un tailleur militaire vint prendre nos mesures pour confectionner nos uniformes de "soldats". Il coupait des jupes pour la première fois dans l'armée... Notre première permission chez nos parents en tenue fut aussi celle de l'au revoir.

"Faites en sorte de faire respecter l'uniforme que vous portez", avait ajouté le Père Delorme.

Après cinq mois, fin prêtes en technique, théorie et pratique, nous allions quitter Tunis pour Alger, mutées au 45e bataillon de transmissions, en vue de regrouper toutes celles qui partiraient au C.E.F.

Le rassemblement sous les tentes installées à Hydra, sur les hauteurs d'Alger, nous fit découvrir cet amalgame de tous les services du C.E.F. réunis dans un même esprit, un même idéal. Nous n'allions pas être les combattantes de première ligne, mais nous porterions sur notre cœur le même insigne en cuivre, le coq gaulois qui se dressait sur ses ergots. Nous allions représenter un seul et unique soldat, le soldat de l'Armée Française d'Italie de 1944.

A Hydra, l'entraînement physique sera intensif. Ayant échangé nos tenues françaises pour le paquetage G.I. américain, nos treillis d'hommes nous donnent l'allure de jeunes conscrits, d'autant plus qu'il nous a fallu passer chez le coiffeur pour une coupe obligatoire "à la garçonne". Celles qui avaient de longues tresses durent les sacrifier.

Une inspection du général Merlin est annoncée... Les femmes officiers l'accompagnent. Elles ont fait l'école des cadres d'Hydra, elles ont plus de 21 ans. Leur gentillesse permettra des rapports bienveillants à notre égard, comme des sœurs aînées. Ce jour là nous apprendrons notre départ imminent pour Oran, afin de rejoindre l'Italie.

       

Nous embarquerons sur un transport de troupes anglais. Dorénavant, nous appartenons à la compagnie 807 des transmissions du C.E.F.I.

Après la campagne d'Italie, ce fut l'épopée de la Première Armée Française et le général d'armée Jean de Lattre de Tassigny pouvait écrire :

"Les volontaires féminines de la Première Armée, quelle que fût leur tâche, obscure ou exaltante, ont fait preuve d'un dévouement souriant, d'un zèle sans défaillance, certaines d'un héroïsme magnifique. Elles peuvent être fières de la part qu'elles ont prise à notre victoire. Que demain sous l'uniforme encore ou de retour dans leurs foyers elles restent intimement fidèles à l'esprit de l'armée "Rhin et Danube". Ainsi continueront-elles à bien servir la France".
Paulette Vuillaume
SOURCE : http://www.milifemmes.org/Articles/merlinettes.htm