La
venue du président algérien Abdelaziz Bouteflika,
à l'occasion des cérémonies du 60e anniversaire
du débarquement en Provence, le 15 août, fait grincer
des dents. Le président algérien fait partie des seize
chefs d'Etat et de gouvernement invités par la France à
Toulon. Mais la communauté pied-noir, les anciens Français
d'Algérie, supporte mal la présence annoncée
de l'ancien responsable du FLN, qui a mené la guerre contre
la France pour l'indépendance de l'Algérie. L'armée
d'Afrique, qui a participé au débarquement allié
en Provence, était composée en grande partie de Français
d'origine algérienne.
«Il est utile de préciser qu'aucune confusion n'est
à faire entre cette page d'histoire écrite en commun
en août 1944 et d'autres événements ultérieurs,
aussi douloureux soient-ils», a expliqué hier le ministre
délégué aux Anciens Combattants, Hamlaoui Mekachera,
pour couper court aux polémiques. Il a assuré qu'un
«légitime et digne hommage» sera rendu «à
nos alliés et à l'ancienne armée d'Afrique».
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, l'Algérie
est un ensemble de départements français. Mais la
situation s'envenime. La revendication d'indépendance conduit
à l'insurrection en 1954. La violence s'installe des deux
côtés. La guerre d'Algérie prendra fin en 1962,
avec les accords d'Evian. La France reconnaît la souveraineté
de son ancienne colonie. Après deux décennies d'affrontements,
les Français vivant en Algérie quittent le pays. Les
plaies ne se refermeront pas.
Mi-juillet, une soixantaine de députés de la majorité
ont signé une pétition, lancée par Claude Goasguen,
député de Paris, et Geneviève Lévy,
député du Var, pour s'«indigner» de la
visite du président algérien qui représente,
selon eux, «une insulte à la mémoire de ceux
qui sont tombés pour libérer la France et que M. Abdelaziz
Bouteflika a toujours ignorés, voire bafoués».
Pour le député européen Philippe de Villiers,
président du Mouvement pour la France, il est «paradoxal
de célébrer la mémoire des anciens combattants
d'Afrique du Nord qui ont cru en la France et d'inviter parallèlement
à cette manifestation celui qui s'est distingué à
plusieurs reprises par ses propos provocateurs et insultants, à
l'égard des harkis notamment». Même hostilité
à l'extrême droite : le traditionaliste Bernard Antony
a appelé à manifester contre la présence d'Abdelaziz
Bouteflika.
Les déclarations du président algérien, lors
de sa visite en France en juin 2000, assimilant les harkis à
des «collabos» n'ont pas été oubliées.
«Les conditions ne sont pas encore venues pour des visites
de harkis, avait-il déclaré. C'est exactement comme
si on demandait à un Français de la Résistance
de toucher la main d'un collabo.»
Les signataires de la pétition demandent à l'inverse
«le respect des accords d'Evian et plus particulièrement
la libre circulation des harkis entre l'Algérie et la France,
la coopération sur le sort des disparus et l'ouverture complète
des archives algériennes concernant cette période».
Aujourd'hui, alors qu'un traité d'amitié est en préparation
pour 2005, Paris n'entend pas se brouiller avec son voisin en abordant
trop tôt les sujets qui fâchent. C'est pourquoi le gouvernement
français n'a pas donné suite aux critiques qui lui
avaient été adressées. «Les autorités
françaises sont heureuses que le président Bouteflika
ait accepté au nom de l'Algérie de participer à
ces cérémonies, a fait savoir le ministère
des Affaires étrangères, le 3 août. Nous menons
par ailleurs avec l'Algérie, depuis la visite d'Etat du président
de la République en mars 2003, un travail de mémoire
commun qui a déjà donné lieu à des réalisations
concrètes.» Mais certains réclament des symboles
plus forts.
Les associations d'anciens de l'Algérie française
critiquent elles aussi la venue du président algérien.
«Par respect pour la mémoire des victimes du terrorisme,
nous allons réagir dans la dignité», explique
Yves Dertié, de la Fédération des cercles algérianistes
(12 000 adhérents), en annonçant des manifestations
culturelles à Saint-Raphaël. Pour lui, les deux parties
qui s'affrontaient pendant la guerre d'Algérie doivent maintenant
faire un pas. «Des gens de l'OAS ont fait des choses lamentables,
ceux du FLN aussi», explique-t-il.
Pour le Recours, l'une des principales associations de rapatriés,
au sein de l'armée d'Afrique, «les Français
de souche européenne connurent en Algérie le plus
haut taux de mobilisation au monde (18%), soit environ 168 000 hommes».
«Ceux de souche musulmane» ont eu pour leur part un
taux encore plus élevé avec «environ 180 000
hommes» pour l'Algérie, la Tunisie et le Maroc.
IN Nicolas Barotte 07 août 2004 4h CET
Le Figaro
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