Objet : Quel avenir réservez-vous à la communauté des Français « rapatriés » ?
Monsieur le Président de la République,
Depuis l'élection présidentielle, nous vous avons écrit 4 lettres auxquelles vous avez eu, contrairement à votre Premier ministre et au Ministre délégué aux Anciens combattants, la courtoisie de répondre. L'objet de notre dernier courrier était d'attirer votre attention sur le caractère anti-démocratique du vote à la sauvette de la loi mensongère N°2012-1361 du 6 décembre 2012 officialisant la date du 19 mars 1962 en souvenir et en recueillement à la « mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie ».
Vous avez décidé de promulguer cette loi marquant, paraît-il, le « cessez-le-feu » en Algérie, c'est-à-dire, si les mots ont encore un sens, la fin des combats. Tout « cessez-le-feu » doit être suivi d'accord de « paix ». La loi n'évoque pas la paix sanglante des « accords » d'Evian qui accompagna ce « cessez-le-feu » qui fit en 7 mois plus de victimes civiles qu'en 7 ans de « guerre ». Nous ne reviendrons pas sur les raisons historiques légitimant notre opposition à l'officialisation de ce mensonge historique. Celles évoquées par François Mitterrand dans sa conférence de presse de 1981 (voir extrait de l'INA
:http://www.voutube.com/watch?v=9elpvdnrD9w&feature=voutu.be)
auraient dû suffire à vos conseillers pour vous faire éviter de signer cette loi qui ravive inutilement les blessures des familles victimes de l'après 19 mars 1962. Les Français « rapatriés » prennent acte de votre décision qui, à moins que vous démontriez le contraire, n'est pas conforme aux principes qui vous guident.
A la veille de votre vovage en Algérie, c'est donc à vous que nous nous adressons de nouveau pour vous demander quelle va être désormais votre politique à l'égard des 4 millions de Français rapatriés, de leurs avants droits et des Anciens combattants opposés à la célébration du 19 mars 1962, désormais devenus des « hors-la-loi », par la "force injuste de la loi" selon la célèbre expression de François Mitterrand.
Force est de constater que depuis votre élection l'essentiel de vos propos et toutes les décisions de votre gouvernement ne s'adressent qu'aux « Algériens » indépendantistes. Ainsi, vous vous êtes rendu à Paris, parmi une foule brandissant des drapeaux algériens en compagnie de votre conseiller « Algérie » l'historien trotskiste Benjamin Stora, à la plaque rappelant au pont Saint-Michel le "massacre" le 17 octobre 1961 de manifestants du FLN par le pouvoir légal du général De Gaulle. Cette « sanglante répression » peut-elle faire oublier que ces "massacrés" avaient eux-mêmes en métropole, assassiné 3957 "Algériens" et blessé 7745 autres (sur les 200.000 vivant en France) qui étaient alors Français, uniquement pour les racketter par la violence de l'impôt "révolutionnaire" décrété par le FLN ? Vous avez tenu à envoyer un message de félicitation à M. Bouteflika pour l'anniversaire du 1er novembre 1954 qui marque l'assassinat d'un jeune instituteur métropolitain, dont la jeune femme fut grièvement blessée, d'un officier français musulman et de plusieurs civils et militaires par les terroristes du FLN dirigés par l'ancien repris de justice Ahmed Ben Bella. Durant toute la « guerre » d'Algérie, les victimes « civiles » pro-FLN tuées par l'Armée française sont de l'ordre de quelques dizaines de milliers de morts, alors que plus de 200.000 civils français de toutes origines furent assassinés par le FLN sur lesquels, pour l'instant, vous avez jeté le voile pudique de l'oubli. Au nom de la « raison d'Etat ».
Comme Président de tous les Français, ne pensez-vous pas qu'un rééquilibrage de vos actes devienne nécessaire afin que les 4 millions de Français d'origine algérienne, Harkis, Pieds-noirs et les soldats français ayant combattu, au nom de la République française, pour le maintien de l'Algérie dans la France, ne se sentent pas « sacrifiés » de nouveau à la « raison d'Etat » comme ils le furent le 19 mars 1962 ? Quelle famille française « normale » touchée par ces drames peut-elle accepter humainement la vision injuste et falsifiée des faits officialisée par la loi du 6 décembre 2012 ?
Les Français victimes de la décolonisation n'ont-ils pas droit, eux aussi, à cet apaisement des mémoires qui, à ce jour, est à sens unique ? Il n'appartient qu'à vous de le faire. Simplement en tenant vos engagements de 2007 et de 2012 que vous avez résumés de façon claire et concise dans votre lettre du 24 janvier 2012 : «Comme je l'affirme depuis plusieurs années, je crois que la France s'honorerait en reconnaissant ses responsabilités dans l'abandon volontaire de nos concitoyens rapatriés et en particulier des harkis en 1962 » (cf. pièce jointe N°1). Cette reconnaissance ne peut s'exprimer, au nom de la Nation, que par une loi. Car ce que vous avez qualifié de « faute » dans votre message du 25 septembre 2012, est en réalité un « crime d'Etat » et un « crime contre l'Humanité », comme le reconnaissent désormais, après 50 ans de silence, la Ligue des Droits de l'Homme et la LICRA (cf. pièce jointe N°2).
Malgré tous ces drames, à notre connaissance, les relations entre le « Peuple » des Français d'Algérie de toutes origines et le « Peuple » algérien né le 3 juillet 1962 n'ont jamais cessé d'être fraternelles. Il suffit pour en juger de constater l'accueil chaleureux fait par la population algérienne d'aujourd'hui aux pieds-noirs qui retournent en Algérie. Par contre, ces relations ont toujours été ambiguës entre les Etats français et algérien. Cette confusion de vos conseillers, assez commune, entre les « peuples » et leurs représentants n'est-elle pas la source des malentendus actuels ?
L'Algérie française a été une expérience unique de société ayant fait cohabiter en harmonie durant un siècle les trois grandes religions du bassin méditerranéen. Pour briser cette réussite, il a fallu le contexte de la « guerre froide » et 7 années de « guerre civile » menée par un mouvement révolutionnaire minoritaire usant d'une violence « barbare », selon l'expression de Jacques Chirac, tournée principalement contre ses propres coreligionnaires. Car s'il avait été majoritaire, la voie démocratique lui aurait permis de prendre le pouvoir sans violence, certains de ses leaders, comme Ferhat Abbas, étant déjà des élus et notables ayant bénéficié de tous les bienfaits du système républicain français (cf. Le Livre d'Or de l'Algérie, Ed. Baconnier 1937). Le général De Gaulle, avant d'être le créateur de l'Algérie algérienne du 3 juillet 1962, fut longtemps un farouche partisan de l'Algérie française. Le texte de sa déclaration à la presse du 18 août 1947 résume, dans son style inimitable, les raisons objectives d'une position qui semblait alors définitive (cf. pièce jointe 3). En 10 siècles de colonisation arabo-turque menée à la politique du sabre (emblème de l'islam conquérant), la population indigène berbère fut réduite de 3 millions à 1 million de personnes. L'introduction du Guide Michelin de l'Algérie française édition 1956 (cf. pièce jointe N°4) donne quelques chiffres clés de l'évolution de l'Algérie durant la souveraineté française.
En un siècle la population arabo-berbère a été multipliée par plus de cinq ! Qui peut encore croire à l'Histoire officielle algérienne, et peut-être bientôt française, qui assimile l'Algérie française à un vaste camp de concentration ? Ce pays « sans nom », selon l'expression imagée d'E-F Gautier (cf. pièce jointe N°5), parcouru en tous sens dès 1830 par des peintres, des écrivains, des savants, des voyageurs ou des curistes étrangers, aurait été le lieu de massacres jamais vus et dénoncés ? Même le révolutionnaire très bourgeois Karl Marx, qui y séjourna deux mois en 1882 pour s'y soigner, n'a rien vu ! (cf. pièce jointe 6).
Aujourd'hui, qui mieux que les Français d'Algérie de toutes confessions pourraient, si vous acceptiez de les recevoir et de les entendre, vous proposer une approche humaine et réaliste pour harmoniser de nouveau les relations entre la France et l'Algérie qui reste, malgré les épreuves, leur seconde patrie ? N'est-il pas en effet dramatique que le seul espoir des jeunes algériens réside dans l'exil vers l'ancienne puissance coloniale ou au rêve qu'exprimait déjà en 1994, à son ami venu de France, un jeune Algérien de Sidi-Ferruch en regardant l'horizon : « Tu sais que c'est ici que les Français ont débarqué en 1830. Avec un peu de chance, nous les verrons revenir» (L'Evénement du Jeudi, 29 septembre 1994). Vous ne débarquerez pas à Sidi-Ferruch, comme l'aurait aimé ce jeune Algérien, qui a 18 ans de plus maintenant, mais à l'aéroport de « Maison Blanche » créé par la France. Quel message d'espérance allez-vous lui apporter ?
Vous avez tenu de nombreux propos et fait de nombreux gestes pour favoriser le dialogue entre le Peuple algérien et l'Etat français. Pourquoi ne demanderiez-vous pas à votre homologue de faire de même envers le Peuple des Algériens exilés que sont les Harkis et les Pieds-noirs ?
Au lieu de la loi du 19 mars, le 8 novembre dernier, les Français d'Algérie auraient été plus sensibles à l'évocation du 70e anniversaire du débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie, prélude au retour en guerre de l'Armée d'Afrique qui va brillamment s'illustrer en Tunisie, lors de la libération de la Corse, de la campagne d'Italie, du débarquement de Provence, de la libération de la France et de l'occupation de l'Allemagne (cf. en pièces jointes 7 et 8, l'allocution du général De Gaulle du 8 novembre 1942 et les chiffres de l'engagement des Français d'AFN pour la libération de la France de 1943 à 1945). Les noms de plus de 10.000 d'entre eux « morts pour la France » étaient gravés jusqu'en 1962 sur les murs menant au Monument aux Morts d'Alger, chef d'œuvre du sculpteur Paul Landowski. Ce monument a été recouvert en 1978 d'un léger coffrage de ciment.
Son décoffrage, démontage et transport en France ne représentent aucune difficulté. Quel beau geste d'amitié franco-algérienne si vous obteniez du Président algérien le rapatriement de cette œuvre d'art injustement oubliée !
Le Maire de Paris a fait apposer une plaque commémorative au Pont Saint-Michel « à la mémoire des nombreux (sic) Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 », victimes du gouvernement légal français ayant interdit cette manifestation du FLN. Ne pourriez-vous pas demander au Maire d'Alger de faire apposer une plaque commémorative sur la Grande Poste d'Alger, rue d'Isly, « à la mémoire des 80 morts et 200 blessés de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 26 mars 1962 », victimes eux aussi du gouvernement légal français, une semaine exactement après le «cessez-le-feu» du 19 mars 1962 ? Une plaque que vous pourriez inaugurer à Alger le 26 mars 2013, dans un geste d'apaisement des mémoires, en présence des familles des victimes de ce massacre programmé, de celles du blocus de Bab-el-Oued et des familles de disparus?
A la demande de son épouse, vous envisagez d'ouvrir les archives pour connaître le sort du communiste Maurice Audin, complice du FLN, alors que la France était en guerre contre cette organisation terroriste. Ne pourriez-pas demander à l'Etat algérien l'autorisation de fouille au Petit Lac à Oran pour retrouver les corps des victimes du massacre du 5 juillet 1962 qui y reposent afin de leur donner une sépulture digne de leur martyr ? Les milliers de familles de disparus vous adressent la même supplique de vérité que les familles des moines de Tihébirine. Cette vérité, à laquelle vous vous étiez engagé dans votre lettre du 24 janvier 2012, ne pouvez-vous pas l'exiger de votre gouvernement en ouvrant «l'ensemble des archives de cette période, notamment celle qui a suivi la signature des accords d'Evian et le cessez-le-feu du 19 mars 1962 » ainsi que les 1300 dossiers des Harkis évadés des bagnes algériens entre 1963 et 1975 ?
Ces propositions de réciprocité et de recherche en commun de la Vérité historique devraient contribuer à l'amélioration de relations équilibrées et de respect mutuel entre les Etats français et algérien.
Depuis sa nomination votre ministre M. Kader Arif refuse toute audience aux associations nationales de Français rapatriés avec lesquelles l'Etat négocie depuis plusieurs décennies.
Comment prépare-t-il les mesures qu'il est en charge de proposer selon son décret de nomination du J.O du 8 juin 2012 ? Avec qui travaille-t-il ? Nul ne le sait car son agenda n'est jamais renseigné sur le site officiel de son ministère et aucun membre de son cabinet n'est disponible. Le Président de la Mission Interministérielle aux Rapatriés, M. Renaud Bachy, nommé en novembre 2007, toujours présent, est aussi invisible, trop pris par sa mission de suppression de l'ANIFOM sans que son ministre de tutelle, M. Jérôme Cahuzac, pourtant informé, n'intervienne. Comment votre gouvernement, s'il supprime l'ANIFOM, pourra-t-il mettre en œuvre les mesures annoncées ? Cette absence totale de concertation dans la préparation des mesures en faveur de notre communauté et la destruction de l'ANIFOM conduisent à poser la question de l'utilité de votre ministre délégué aux Anciens combattants et de M. Renaud Bachy. Que comptez-vous faire, à votre retour d'Algérie, pour établir un dialogue constructif entre votre gouvernement et les Français rapatriés ?
N'ayant pas l'ambition de nous exprimer au nom de tous nos compatriotes, nous leur demandons de vous faire part directement leurs attentes par courrier ou/et courriel à http://www.elysee.fr/ecrire/. Plus de 420.000 familles rapatriées et leurs ayants droits ont besoin d'être informés de vos intentions et des mesures prises par votre gouvernement à leur égard. C'est la raison pour laquelle, nous vous renouvelons notre demande d'audience des représentants des associations qui soutiennent depuis 2008 la campagne de presse « Vérité et Justice pour les Français rapatriés », illustrée par 13 annonces parues dans Le Monde et Le Figaro (cf. pièce jointe 9), dont le contenu n'a fait l'objet d'aucun critique, notamment des historiens spécialistes de la « guerre » d'Algérie reconnus par ces quotidiens.
Dans cette attente, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président de la République, l'expression de notre haute considération.
Pour les Associations d'Anciens combattants, patriotiques et de Français Rapatriés demandant audience
Mme Taouès TITRAOUI, élue locale, rescapée du massacre des Harkis après le 19 mars 1962 Membre du Haut Conseil des Rapatriés depuis sa création en 2002
Bernard COLL, Secrétaire général de Jeune Pied-Noir
Co-auteurs du « Livre des Harkis, JPN - 1991) et du DVD « Harkis, les sacrifiés, JPN-ECPAD, 2010).
PJ : Tous les documents cités et les pièces jointes de 1 à 9 sont aussi visibles sur le site Internet Jeune Pied-Noir http://ieunepiednoir.pagesperso-orange.fr/ipn.wst/ |