Association de Sauvegarde des Cimetières Français en Algérie - ASCFA-
 
   
               
 
 
Jacques Cavanna, avocat montpelliérain, préside l'Association de sauvegarde des cimetières français en Algérie
Il a le visage de ceux que l'on remarque. Une tête que l'on associerait volontiers à une autre profession que la sienne, celle d'avocat. Avec sa petite barbe blanche soigneusement taillée et ses lunettes épaisses, Jacques Cavanna a plutôt le look d'un professeur de mathématiques. Ou celui d'un chercheur. Pas franchement avocat. Et pourtant, il l'est bien. Depuis 1974, lorsqu'il a, pour la première fois, vissé sa plaque de spécialiste en droit privé.
L'homme est plutôt discret. La voix toujours mesurée. D'une extrême douceur. Même quand il s'emporte. Comme quand il fustige l'attitude de la France face au sort fait aux cimetières français en Algérie. Car, depuis 2001, Jacques Cavanna préside l'Association de sauvegarde des cimetières français en Algérie. Pas vraiment une mince affaire que cette démarche qu'il a choisi d'initier. D'autant que l'homme n'est pas forcément soutenu. Et pourtant, les cimetières français en Algérie, s'ils ne constituent guère des enjeux de campagnes électorales, n'en restent pas moins une trace encore vive de l'histoire qui unit les deux rives de la Méditerranée. « Le plus cocasse, c'est que cette idée d'association de défense de nos cimetières en Algérie m'a été suggérée par les Algériens eux-mêmes.
 
Cimetière de Sétif
En effet, j'ai, un jour de 2001, été invité, avec plusieurs personnalités montpelliéraines rapatriées, par le consul d'Algérie de l'époque. Le secrétaire d'État aux Affaires étrangères algérien, M. Abdelaziz Ziari, aujourd'hui président de l'Assemblée nationale de son pays, était de passage et il voulait rencontrer des personnes originaires d'Algérie. Il m'a dit : "Créez une association, on vous aidera." Depuis, chaque fois que j'ai eu à me déplacer à Alger pour défendre l'état de nos cimetières, j'ai toujours été bien reçu » , explique l'avocat montpelliérain.
Depuis, son engagement est loin d'être un long fleuve tranquille. Ce fils d'Alger, né il y a soixante-trois ans dans le quartier d'El Biar d'une mère espagnole et d'un père originaire de Limoges, doit se battre contre des moulins à vents.
 
Nous sommes, certes, loin d'une sorte de Don Quichotte régional mais il n'empêche. Jacques Cavanna a enfourché son cheval de bataille et la lance reste bien droit pointée. « Aujourd'hui, il existe en Algérie environ 560 cimetières, de différentes importances. Une soixantaine de petits ont déjà été regroupés. La France veut en réduire encore plus. On s'attaque à celui d'Oran, qui fait tout de même 174 hectares. On ne peut pas tout réduire. Il faut aussi rénover et arranger. Mais, surtout, avant de transférer des sépultures, il serait décent de demander leur avis aux familles. On me dit qu'on ne peut pas les retrouver. Ça me fait rigoler. Quand vous devez payer une amende, l'État sait bien vous retrouver... » La voix est toujours douce. Même si elle s'emballe quelque peu. « Aujourd'hui, les Algériens demandent que les Français s'intéressent à leurs tombes. Eux ont accepté de faire quelques travaux d'entretien mais ils ne veulent pas toucher aux tombes. C'est normal. Visiblement, depuis des années, à l'Élysée, on ne comprend pas trop les choses concernant ce dossier. » Depuis 2001 et la création de son association, Jacques Cavanna a de nouveau jeté des ponts entre Montpellier et Alger. L'avocat a même fini par y ouvrir un bureau, qu'il partage avec une consoeur algéroise. Il y traite de contentieux au profit de sociétés françaises installées sur le territoire algérien. Mais aussi de demandes de nationalité... Cette présence lui permet d'entretenir des contacts réguliers avec ses interlocuteurs algériens. Avec le temps, il a fini par y développer ses entrées dans le cercle du pouvoir. Ça sert toujours. Surtout dans un pays, une culture, orientale, où tout se traite autour de « relations amicales » . Et d'une paire de bises. C'est ainsi. « Il faut bien comprendre que les Algériens ne sont demandeurs de rien du tout. Ils font ce que veut la communauté pied-noire. Sauf si les politiques français décident de leur côté.
Ce que mes camarades issus de la communauté des rapatriés doivent bien avoir à l'esprit, c'est que, pour les Algériens, nos cimetières français relèvent du patrimoine algérien. Et que ce patrimoine leur est bien évidemment ouvert. Ce n'est peut-être pas évident à assimiler mais c'est ainsi. Nous sommes dans un pays souverain, qui reconnaît aussi son histoire passée. Même si ce passé-là, c'était la France. La meilleure preuve en est la restauration, à Alger, à l'initiative des autorités algériennes, du cimetière Saint-Eugène. » La voix, toujours satinée, laisse place au regard malicieux. Un regard qui trahit une autre de ses idées, qu'il cache discrètement et qui n'en demeure pas moins bien présente. Permettre à des rapatriés d'obtenir, aujourd'hui, près d'un demi-siècle après le départ des pieds-noirs et l'indépendance de l'Algérie, la double nationalité. Enfin, pour ceux qui le souhaitent. Deux petits sacs. Dans l'un, ses livres pour préparer les épreuves anticipées du bac. Dans l'autre, quelques affaires. Jacques Cavanna quitte précipitamment Alger le 19 juin 1962, à 18 h. A bord d'un avion affrété par une compagnie française dépendant du ministère de l'Équipement. Une place obtenue grâce à un parent salarié de cette compagnie. Direction : Montpellier. Directement. Ainsi débute la nouvelle vie de celui qui deviendra avocat. Le dortoir de l'ancien lycée (aujourd'hui le musée Fabre). Puis la première partie du bac à Joffre, en septembre, et le bac en juin 1963.
           
IN - Source : Midi Libre 6 juin 2009 - Karim Maoudj -