Sépultures éventrées, pillées, taguées, ossements à ciel ouvert, le paysage qu’il découvre est apocalyptique. «
Je ne suis même pas parvenu à retrouver les tombes de mon frère et de mes deux grands-parents », raconte-t-il. Et pour cause : abandonné de force en 1962, le cimetière n’a jamais été entretenu. Certaines tombes auraient servi de caches d’armes et aujourd’hui, «
c’est devenu un squat de drogués », assure, dépité, le retraité de 67 ans.
Son cas n’est pas isolé. De retour en Algérie après l’apaisement de la guerre civile de la décennie 90, nombre de pieds-noirs ont fait cette amère expérience. Le pays compte officiellement 523 cimetières français civils, chrétiens et juifs, contenant près de 400 000 sépultures. « En réalité, il y en avait 620 avant 1962. Certains, qui ont disparu ou qui ont été transformés en terrains de foot, ont échappé au recensement», assure Fabienne Latapie, présidente de l’Association pour la sauvegarde des cimetières en Algérie. Non entretenus depuis près d’un demi-siècle, la plupart des ces cimetières végètent dans un état de désolation avancée. Les sépultures sont souvent profanées. Les juives en particulier. « Au Maroc, où il reste une forte communauté israélite, les cimetières juifs sont protégés, note Nicole Bricq, sénatrice PS de la Seine-et-Marne et membre de l’association Mémoire active bônoise , mais en Algérie, dès qu’il y a un problème plus à l’est [
en Palestine],
les tombes juives sont vandalisées.»
«
Peur ». Ceinte de tours HLM, la nécropole juive de Bône gît dans un environnement hostile. «
Quand nous sommes arrivés dans ce quartier truffé de barbus, les gens nous haranguaient. J’ai eu très peur », raconte Bernard Haddad. Il est le fondateur de Mémoire active bônoise, qui compte 60 adhérents. «
C’est peu, déplore-t-il, mais beaucoup de juifs ont peur de retourner en Algérie, notamment à cause du conflit israélo-arabe. Je dis toujours israélo-arabe et non israélo-palestinien, car c’est un conflit entre les Arabes et les juifs qui rejaillit en Algérie.»
La France s’est saisie de la question en 2003. Lors de sa visite triomphale à Alger, Jacques Chirac a annoncé la signature d’un accord franco-algérien et le lancement d’un vaste plan de réhabilitation des grandes nécropoles urbaines ainsi que le regroupement de 62 cimetières difficilement récupérables dans des ossuaires. 38 ont déjà été réunis. Le coût, de 1,4 million d’euros, est pris en charge par le ministère français des Affaires étrangères tandis que les autorités locales doivent se charger de l’entretien. Chaque réinhumation donne lieu à une cérémonie solennelle. A la demande de certaines associations de rapatriés, horrifiées à l’idée que cela finisse par nier la présence française, des stèles commémoratives sont laissées sur les sites. Jusqu’ici, cette précaution était inapplicable aux cimetières juifs. La raison ? La doxa judaïque interdit le déplacement des dépouilles mortuaires. «
Lorsque la question du déplacement s’est posée, la réponse de Jean Kahn, le président du Consistoire central de France, a été claire , explique Bernard Haddad, on ne déplace pas des sépultures juives !»
L’affaire tourne alors à l’imbroglio administratif. Toutes les parties concernées s’accordent sur une unique solution : réhabiliter les tombes, les entretenir et les surveiller. Mais durant des mois chacun se renvoie la balle. «
Tout le monde est scandalisé par l’état de ces cimetières juifs,assure Nicole Bricq. Mais leur entretien relève des mairies. Pour les réhabiliter, on pourrait recourir à la coopération décentralisée.» Nicolas de Lacoste, adjoint au porte-parole du Quai d’Orsay, explique pour sa part que «
ces cimetières confessionnels ont un statut particulier: ils sont privés et dépendent des consistoires.» «
C’est faux, enrage un militant associatif pied- noir, cela ne dépend plus de la communauté juive. Il y a déjà les cimetières chrétiens, la France ne veut pas s’occuper des juifs en plus. Mais nos morts ont été enterrés sur un sol français !»
«Jurisprudence».
Ces dernières semaines, des avancées notables ont été observées. Grâce à l’accord bilatéral de 2003, un mur de protection vient d’être construit par les autorités algériennes autour du cimetière juif de Bône. Mieux, les travaux financés par le Quai d’Orsay viennent enfin de démarrer sur place et une trentaine de tombes ont été réhabilitées. Bernard Haddad veut croire maintenant que la France restaurera chacune des quelque 2 000 tombes juives de cette cité côtière. En espérant que son «
travail de mémoire fasse jurisprudence ».
IN LIBERATION DU 12 NOVEMBRE 2007