40e anniversaire du Cercle algérianiste - Perpignan 9 et 10 novembre 2013 -
2eme Partie - Hommage au regretté Daniel Lefeuvre - Pour ne pas oublier Jean Brune - L’Algérie après de 50 ans d’indépendance - « Sur la vie d’ma mère » - Repentance ! Pourquoi la France se deteste-t-elle
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40e anniversaire du Cercle algérianiste 1200 congressistes ont répondu à l’appel

Chapeau bas Daniel

C’est avec beaucoup d’émotion et de tristesse que j’ai appris la mort de mon collègue et ami Daniel Lefeuvre que je connaissais depuis la fin des années 1990 et avec lequel j’ai dirigé un volume sur l’Europe face à son passé colonial.
D’autres projets, hélas ! N’ont pu voir le jour. La maladie de Daniel était connue. Il ne la cachait pas mais y faisait face tout à la fois avec un très grand courage et une très forte lucidité. Daniel est mort le 4 novembre dernier. L’ami disparu, dont beaucoup se souviendront de l’énergie, de la gentillesse et de l’humour souvent caustique, il reste une imposante œuvre d’historien, toute entière consacrée à l’Algérie et son histoire.
Une passion chez lui et pas seulement un objet de recherche. Je songe, entre autres choses, à un repas précédant un jury de thèse à Paris VIII où il était professeur et où il avait saisi l’occasion de nous faire découvrir un couscous qu’il fréquentait depuis plusieurs décennies.
Véritable conteur, Daniel nous avait expliqué dans ses détails l’histoire de l’établissement, de ses propriétaires et de ses spécialités. Homme de la parole, Daniel savait passionner les étudiants. Les siens, mais aussi ceux des autres.
Je me souviens fort bien d’un séminaire qu’il avait animé à l’université de Metz où nous l’avions invité avec mon collègue François Cochet.
Déjà malade, Daniel devait intervenir pendant deux heures. Le séminaire en dura trois. Il en sortit très fatigué, c’était visible, mais en même temps, comme il nous le dit avec son sourire malicieux, content. Et les étudiants avec.
Daniel avait profondément ancré en lui le goût du partage, de la transmission et du débat comme en atteste aussi le site « Etudes coloniales » animé avec son grand ami Michel Renard.
Universitaire reconnu Daniel est, bien sûr, un homme de l’écrit. Gros travailleur, dénicheur d’archives, il est l’auteur d’une œuvre imposante. « Chère Algérie », tiré de sa thèse, est un livre fondamental, que j’ai eu le plaisir, alors que Daniel venait de mourir, de voir en vente en librairie à Alger à la librairie du Tiers-monde.« Pour en finir avec la repentance coloniale », salué par nombre d’historiens, n’a rien d’un ouvrage « révisionniste » et a peu à voir avec la caricature dans laquelle certains, y compris dans le cadre d’une polémique misérable au moment de sa mort, ont voulu l’enfermer.

L’analyse des travaux de Daniel Lefeuvre doit être menée et il appartient à l’université d’organiser un débat de fond sur son œuvre. Une œuvre hélas ! Inachevée. En particulier, il n’a pu mener à bien ses recherches sur les Français d’Algérie, une communauté qui ne lui était pas familière à l’origine. Daniel s’y sentait très à l’aise, en particulier à travers la fréquentation du Cercle algérianiste auquel il était très attaché et dont il connaissait fort bien certains des dirigeants. Comme il le disait souvent, « Kenavo mon ami », et encore Stetson bas pour ton œuvre et ton courage au cours de ces dernières années.
Olivier Dard


- Pierre Dimech - Pour ne pas oublier Jean Brune.-

Avec Pierre Dimech, on ne risque pas. Jean Brune, il le porte en lui depuis leur rencontre en 1952, suivie de beaucoup d’autres, dans les années d’exil. Il le sait archétype du Français d’Algérie, fait de la même glaise, bâti à sel et à sable, traversé par le vent et la lumière. Il le sait Méditerranéen, c’est-à-dire cultivé par l’air qu’il respire, volubile et farceur, guerroyant en armes et en mots, éloquent et engagé, blessé et errant, se sentant au final, et sans doute avec regret, « apatride francophone ».
D’« un peuple mort jeune », Brune a voulu préserver l’âme. Pierre a rappelé le souvenir de ce terrien, natif d’un bled entouré de blés et de vignes, sensible à la cloche de l’angélus et à l’appel du muezzin, enfant de Bugeaud (le lycée, pas le maréchal), s’exprimant en dialectal arabe et berbère, artiste pluridisciplinaire, maniant la plume et le pinceau, à l’œuvre protéiforme, au contact à la fois chaleureux et rugueux.

Incarnation convaincue de la mémoire de Jean Brune, Pierre prend la parole à sa place, lui donne sa voix, le dit avec ferveur. Quelle coïncidence, en 1973, que cette naissance collective du Cercle algérianiste et cette mort de Brune en terre lointaine mais française de Nouvelle-Calédonie.
Quarante ans ! Le souvenir reste vivant de cet aristocrate plébéien, de cet agnostique mystique, de ce monarchiste fervent.

Pierre Dimech a fait, en quelques minutes à peine, partager son émotion à une salle entière.
Yves Sarthe


L’Algérie après de 50 ans d’indépendance, évoquée par Fréderic Pons

Prévue pour le dimanche matin, la communication de Frédéric Pons a été avancée au samedi après-midi à la suite de la disparition de notre ami, l’historien Daniel Lefeuvre. Ce fut, incontestablement, un des temps forts de ce 39e congrès algérianiste.

Frédéric Pons, est le rédacteur en chef de la partie « Monde » à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Il enseigne, de plus, à Saint-Cyr et l’École de guerre.
Ces activités l’amènent fréquemment dans le monde arabe et en Algérie en particulier. Avec une aisance remarquable, l’intéressé a brossé, devant un auditoire particulièrement concentré, un portrait sans complaisance de l’Algérie actuelle.
Gouvernée par une « nomenklatura » issue de cadres FLN ayant participé à la prétendue « guerre de libération », le pays est plongé dans une sorte d’ankylose politique, la santé précaire du président Bouteflika étant, à cette égard, révélatrice. Il s’ensuit une corruption généralisée et un encadrement quasi totalitaire d’une société gouvernée, en réalité, par la sécurité militaire.
Ayant dépassé les 35 millions d’habitants avec plus de 50 % de jeunes de moins de 25 ans, le plus souvent réduits au chômage et en quête de visas pour partir à l’étranger, l’Algérie ne manque pourtant pas de possibilité.
Ces richesses en hydrocarbures en font le pays potentiellement le plus riche du Maghreb, mais la rente pétrolière ne sert qu’à enrichir une minorité de privilégiés, sans réinvestissements significatifs. Les erreurs commises lors de la période Ben Bella-Boumediene n’ont jamais été rectifiées, avec une agriculture sacrifiée et une industrie lourde soi-disant « industrialisante » sans activités en aval, dans la stricte observance du modèle soviétique. Il en résulte une pénurie des biens de consommation les plus courants avec tous les trafics que l’on peut imaginer. De plus, les grandes infrastructures sont confiées à des prestataires étrangers, chinois en particulier, sans retombées positives sur l’emploi. La société algérienne, ainsi encadrée, a échappé au « Printemps arabe » mais une effervescence latente se manifeste à plusieurs niveaux, perceptible dans la presse francophone qui bénéficie d’une semi-liberté. Le nombre de paraboles TV orientées vers le nord exprime ce désir d’un horizon ouvert. Et ce, d’autant plus, que l’arabisation de l’enseignement, menée en dépit du bon sens sous Boumediene, a fait de la plupart des algériens des « analphabètes trilingues », ignorant de surcroit, l’histoire récente de leur pays.
Frédéric Pons a conclu son intervention par une anecdote particulièrement révélatrice. Organisant régulièrement des périples en Algérie pour les lecteurs de Valeurs actuelles, il a entraîné, non sans risques, un de ces groupes dans une promenade pédestre au centre d’Alger, afin de faire revivre, à ses compagnons de voyage, les grands moments, y compris les plus tragiques, de la période 1958-1962 : événements de mai-juin 1958, semaine des barricades, révolte des généraux en avril 1961, fusillade de la rue d’Isly. À aucun moment, le groupe n’a été interpellé par les forces de l’ordre. Au contraire, des Algérois de tous âges se sont agrégés pour écouter, discuter et échanger. Une anecdote particulièrement éclairante sur le désir des Algériens d’en finir avec une société bloquée depuis plus d’un demi-siècle. Et une communication très applaudie, qui nous a tous incités à nous reporter à l’ouvrage récent du conférencier paru chez Calmann-Lévy: Algérie, le vrai état des lieux.
Jean-Pierre Pister


« Sur la vie d’ma mère » de Daniel de Saint Hamon

Quand on jure en disant « sur la vie de ma mère », on est obligé - bessif - de la dire toute entière, la vérité.
Jean-Claude de Goros, qui fit ses classes au Conservatoire d’Alger, et poursuit une carrière bien remplie nous livre une remarquable performance d’acteur. Il arpente pendant plus d’une heure la vaste scène du Palais des Congrès, en la seule compagnie d’un porte-manteau, d’un parapluie, et d’un siège pliant installé en plein air devant la porte d’un consulat d’Algérie devant lequel s’arrêtent depuis longtemps ses velléités et celles de ses amis de retourner dans la ville d’Oranie où s’est déroulée, ennuyeuse mais heureuse, le temps de leur enfance et de leur jeunesse.
Il se souvient de tout et de tous, s’apitoie, avec retenue, et se laisse aller le plus souvent avec les copains d’avant, membres (virils) d’une bande de délurés en manque. Que ceux qui n’ont
jamais connu de « bouffa » les lapident sous une grêle de caillasses. La mémoire des lieux, celle d’une faune pittoresque, des gestes et des mots lui revient, et même celle d’excentricités
physiques. A le voir faire le poirier sur un banc de square, mon épouse n’a pas hésité à me balancer un coup de coude dans les côtes en forme de reproche.

L’auteur de la pièce, Daniel Saint-Hamont, bien connu pour ses romans, du Bourricot au Et le sirocco emportera nos larmes (comme si les potes de Jean-Claude, après la mort d’un des leurs, avaient - enfin - fait leur retour à Mascara) est venu sur la scène, partager les applaudissements d’un public reconnaissant. Les deux compères, l’auteur et l’acteur, témoignent avec talent et vigueur, d’une présence en Algérie et d’un refus de l’oubli.
Yves Sarthe


Repentance ! Pourquoi la France se deteste-t-elle
Débat animé par Thierry Rolando avec Dominique Jamet & Ivan Rioufol


Un des temps forts de notre 39e congrès, le samedi 9 novembre dans l’après-midi, fut la table ronde animée par le président Thierry Rolando avec les journalistes Dominique Jamet et Ivan Rioufol.

Dominique Jamet n’est plus à présenter depuis ses débuts à Combat, à France-Soir puis à L’Aurore.
Quant à Ivan Rioufol, ses chroniques hebdomadaires du vendredi dans Le Figaro font autorité dans le sens d’un rejet du « politiquement correct ». Le débat portait sur le thème récurrent, dans notre société, de la repentance et sur la « haine de soi » qui semble imprégner une grande partie du débat socio-politique actuel.

       
                           Ivan Rioufol                                                         Dominique Jamet.

Ivan Rioufol insista, à juste titre, sur l’instrumentalisation des nouvelles minorités dans la mode actuelle de la repentance. Un pays qui rejette son histoire se prête facilement à une telle instrumentalisation, surtout si l’on pense qu’il y a 40 ans, le président Giscard d’Estaing a cru devoir déclarer, de façon irresponsable, que « la France était sortie de l’Histoire ». Les groupes communautaires, tels que le CRAN, ont beau jeu de jouer cette partition lorsque nos élites politiques, culturelles, religieuses affichent une vision systématiquement compassionnelle et culpabilisante de l’altérité. Comme le fit remarquer Dominique Jamet, l’histoire de tout pays comporte des moments glorieux qui ne doivent pas être occultés par d’autres plus discutables. La France colonisatrice du XIXe siècle n’a-t-elle pas aboli l’esclavage dès 1848, bien avant les États-Unis d’Amérique ?
Les multiples lois mémorielles, promulguées depuis plus d’une vingtaine d’années, constituent le pendant juridique de cette repentance omniprésente. Elles contribuent à limiter la liberté d’expression et débouchent, inévitablement, sur une conception totalitaire de l’information.
Enfin, dans l’enseignement de l’Histoire, la République et l’Éducation nationale sont incapables de choisir la culture qu’il faut transmettre. L’Histoire de France se trouve marginalisée dans les programmes scolaires les plus récents et l’abandon du projet d’une « Maison de l’Histoire de France » montre bien que  nous sommes en train de devenir un peuple sans mémoire.
En conclusion, Dominique Jamet fit justement remarquer que la France passait encore, en 1939, pour la première puissance du monde, sur le plan militaire. Or, cette même France a subi, depuis un siècle et demi, ces traumatismes majeurs que furent la défaite de 1870, la saignée de 1914-1918, le désastre de 1940, Diên-Biên-Phù, et enfin, la perte de l’Algérie. Cette contradiction majeure ne serait-elle pas la source essentielle de cette insupportable « haine de soi »?

Jean-Pierre Pister