Rescapés et témoins de la tuerie de la rue Isly le 26 mars 1962 à Alger
 
     
 
 
 
Extraits du livre Blanc (aussitôt interdit par les autorités ) publié par un groupe de médecins témoins du drame
Infographie Jean Brua DR.
 
     
     

LES TEMOINS DE LA TUERIE


Nous marchions, ma femme et moi, sur le trottoir de droite. À quelques mètres, il y avait six ou sept soldats, tous musulmans ; les uns discutaient ferme et paraissaient très excités, d'autres braquaient leur mitraillette, chargeur engagé, droit sur la foule, doigt sur la détente. J'eus immédiatement la conviction d'être tombé dans un guet-apens.
(ingénieur métropolitain)

 

 

Les hommes qui se trouvaient près de moi, des soldats musulmans, tiraient n'importe comment, même sans viser. J'ai vu tirer sur des personnes qui s'étaient plaquées au sol pour éviter le tir.
(un garagiste)
 
Quelques minutes avant 14 h 40, je me trouvais à 4 ou 5 m. de la ligne des 25 à 30 soldats qui barraient presque l'entrée de la rue d'Isly. Tout à coup, un grand nombre de soldats déchargèrent leurs pistolets-mitrailleurs sur la foule pacifique des hommes et des femmes sans arme, dans leur dos, sans que j'aie entendu aucun avertissement, aucune sommation réglementaire, aucun cri provenant de la foule ni des soldats, aucun ordre du jeune lieutenant qui les commandait.
(ménage européen)
 
   

Derrière moi, à gauche, à proximité immédiate, une mitrailleuse s'est mise à tirer. Comme tout le monde, je me suis jeté à plot ventre sur le trottoir; je suis resté couché, les soldats avaient fait de même. Je pensais qu'ils tiraient en l'air, mais derrière moi, par hasard, j'ai remarqué un homme d'une cinquantaine d'années qui rompait, le visage traversé de part en part, et couvert de sang. (externe en médecine)

J'étais à deux pas d'un des militaires casqués; je lui demandai de passer. Il me dit en très mauvais français : « Retire-toi, vas te tuer, moi ! » et il me mit en joue. Nous traversions la rue d'Isly pour gagner la rue de Gueydon, quand je reçus un choc terrible dans la cuisse. Je compris que j'étais atteinte par une balle... Je criai et réussis à atteindre le trottoir. Alors quelqu'un me soutint jusque dans l'entrée d'un immeuble. (employée des Postes métropolitaine)

   
   

J'étais à terre, blessée. Près de moi, un petit garçon de 8 ans pleurait et me disait : « Regarde mon papa ! » Son jeune père était couché près de lui, le visage ensanglanté. Je l'ai pris dans mes bras en lui disant : « Viens, mon chéri ». Je me suis tournée pour lui cacher cette horrible vision, et c'est alors que j'ai été blessée à l'épaule. A côté de nous est morte une dame âgée. Elle m'a dit : « Dites à mon mari que je suis morte sous l'horloge de la Poste ! » (une dame âgée)

Ce sont surtout les servants d'un fusil-mitrailleur et de deux fusils qui ont tiré dans notre direction. Les tireurs étaient adossés au mur de l'agence Havas. J'ai vu aussi deux pompiers, debout, atteints par les balles alors qu'ils essayaient de relever des blessés et de les abriter.
(directeur de société)

   
   

Au cours d'une accalmie, je levai les bras en criant : « Cessez le feu ! » Pour toute réponse, je reçus une rafale tirée à 20 mètres qui m'obligea à me rejeter à terre. Autour de moi, il y avait plusieurs personnes qui elles aussi levaient les bras et qui furent tuées ou blessées. (anonyme)
Les deux assassins postés avenue Pasteur tiraient sur n'importe qui. Mari et femme à genoux, les bras en l'air, furent achevés. Moi-même, les bras en l'air, je lui clamais : « Pourquoi tirez-vous ? » Ne comprenant pas un mot de français et sans se déconcerter, il engagea un autre chargeur et me mit en joue. Dieu merci, le coup ne partit pas, car l'assassin avait mal encastré son chargeur. (anonyme)
   
     
 
     

Le mystérieux Fusil Mitrailleur de la rue Lelluch

Selon les révélations des avocats (reprises par « L'Aurore ») au procès de Bastien-Thiry, un F.M. servi par un supplétif vietnamien (« barbouze ») aurait tiré d'un balcon de la rue-Alfred-Lelluch, faisant des victimes dans la rue Chanzy, aussi bien parmi les civils que les militaires. Deux officiers ont confirmé cette version, en déclarant qu'ils avaient fait neutraliser cette arme par le feu. Blessé par la riposte, le mystérieux tireur (qui pourrait avoir joué un rôle de provocation) a ensuite été évacué dans la plus grande discrétion par une ambulance.