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Alger
le 26 mars 1962 dans la soirée
Tout le monde entra dans la cuisine. On assit
papa sur une chaise. Les gens pleuraient et nous aussi, maintenant.
« Papa, tu es blessé ? » Papa ne répondit
pas. Se sanglots, ses hurlements de douleur lui bloquaient
sans doute la parole.
« Et maman ? Où est maman ? »
demande-t-on soudain. Personne ne répond. Et je lis
dans tous ces veux nosés sur nous une immense nitié.
une comnassion terrible. effroyable. Une impuissance éternelle.
Pourquoi ces regards ? Et pourquoi le tien, papa ? Maman est
blessée ? Tu n'oses pas nous le dire ?
« Où est maman, papa ? Où est maman
? » hurle-t-on de pressentiment, de désespoir.
L'attente de savoir est atroce, mais plus effroyable ce silence.
« Elle est blessée », nous dit-il, d'une
voix étouffée par les sanglots.
- On veut la voir! hurlons-nous, prêtes à tirer
papa de sa chaise. Mais papa ne bouge pas. Juste il nous regarde,
hébété. Et je lis avec effroi, dans ses
yeux injectés de sang, accablement, désespoir...
Et soudain, je crois entendre : « Dites-leur ! II
faut leur dire ! »
Leur dire quoi ? Mais de quoi parlent-ils, tous ? Non, pitié,
ne dite rien ! Je ne veux plus rien savoir ! Et l'atroce vérité
est sortie des profondeurs de sa douleur, presque brutalement
:
«
Ils l'ont tuée, a dit papa. Ils ont tué votre
maman ».
Je me bouche les oreilles. Trop tard. Le pire
vient d'entrer en coup de poignard. Nous hurlons, hurlons
d'effroi et de douleur. Comme des bêtes...
Françoise MESQUIDA (extrait de son livre À LÀ
PORTE DE L'OUED)
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