Ce non, il est venu du fond de mon être.
Il est né en moi le jour où l'Assemblée nationale a voté la loi substituant au 5 décembre la date du 19 mars.
Ce jour-là, j'ai revu en pensée mes amis pieds-noirs, ceux de mon enfance, et leurs parents, si dignes et si malheureux.
Ce jour-là, je vous ai vus en pensée, vous tous que je connais, que j'estime, vous dresser devant moi, avec votre chagrin, avec votre douleur, avec votre honneur.
Ce jour-là, j'ai eu honte de ce que la majorité a fait de la France.
Ce jour-là, pourtant, j'ai voulu croire que cette loi ne serait pas appliquée, que dans la crise morale et matérielle que nous vivons tous, le gouvernement n'ajouterait pas l'infâmie à l'incompétence.
Je me suis trompé.
Car il y eut un autre jour, le jour où j'ai reçu la circulaire du préfet m'enjoignant d'organiser la commémoration du 19 mars.
Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, c'est à dire tous les présidents de notre Ve République jusqu'au mois de mai dernier, n'ont pas voulu de cette date.
Certains d'entre eux en étaient pourtant les auteurs, et d'autres les héritiers. Pourtant, ils n'en ont pas voulu !
L'un d'entre eux était de gauche, les autres non. Et pourtant, aucun n'en a voulu !
Car que veut-on commémorer le 19 mars ?
La défaite de la France ? La perte de l'Algérie ? La fin d'une épopée qui fut aussi heureuse ? La perte des biens reçus, des prospérités gagnées par le travail, des progrès humains et matériels consentis par le développement de ces terres autrefois si négligées ? Les morts inutiles de nos soldats ? Les morts injustes de nos compatriotes civils, de toutes confessions et de toutes origines ?
Depuis quand, dans notre France, qui a vu tant de gloire et tant de victoires, célèbre-t-on les échecs, les pertes, les drames ?
Depuis quand nous réjouissons-nous d'une paix sans justice, sans espérances, sans honneur ?
Car voilà ce que c'est que le 19 mars 1962.
Une paix ? Même pas ! Car oui, vous le savez, vous l'avez même vécu, après le 19 mars, il y eut tant et tant de deuils, encore, et tant de sang, et tant de morts, que ce ne fut pas la paix. Le sang des civils, des harkis, de tout un peuple, le vôtre !
Le 19 mars, c’est la date d’accords qui n’ont été respecté que par la France.
Et aujourd'hui, comme hier, ceux qui n'ont pas souffert, ceux qui n'ont rien compris, ceux qui n'ont rien vécu et tout oublié, ceux sont eux qu’ils veulent imposer la date du 19 mars .
Vous l'imposer à vous !
Nous l'imposer à nous tous !
Alors, j'ai dit non !
Alors, tous ensemble, nous avons dit non !
Nous l'avons dit en conscience, avec la fermeté que donne l'exigence du devoir, avec la fidélité à la France que donne le sang de nos anciens.
Nous l'avons dit pacifiquement, par notre absence des cérémonies officielles, quand d'autres s'y sont déshonorés.
Et nous le disons encore aujourd'hui, ensemble, en conscience, fermement, pacifiquement. Et pour dire notre détermination, nous gravons ce non dans la pierre.
Ici, dans la pierre apposée au fronton de cette maison des Rapatriés, nous disons notre détermination, unis par le souvenir de Joseph Bavastro, ce Niçois de courage, ce Français de coeur, cet homme qui prépara, avec l'amiral Duperré, le débarquement de Sidi-Ferruch et qui fut un des premiers administrateurs d'Alger française.
Ici, nous disons que la loi est injuste.
Ici, nous disons que quand la loi est injuste, il appartient à tous ceux qui le croient de la changer, dans le respect des principes de liberté, d'égalité et de fraternité.
Déjà, de toute la France, des témoignages et des soutiens nous arrivent pour dire qu'il est partout, dans ce pays, des femmes et des hommes, des citoyens et des élus, libres et responsables, de droite et de gauche, qui ne veulent pas de cette loi injuste.
D'ici part, en ce jour où, il y a un an, un candidat à la présidence de la République commettait son premier parjure, le mouvement national des consciences révoltées.
Ici commence un combat, un combat qui nous dépasse, au sein de la Nation, le combat pour la justice, pour la dignité, pour la vérité !
Aujourd'hui, nous inaugurons ce monument.
Demain, nous lancerons ensemble une pétition nationale.
Après-demain, nous obtiendrons la réouverture du débat, car je ne peux pas croire qu'encore une fois, on veuille faire de la politique par l'histoire.
Cela prendra le temps qu'il faudra, peu importe !
Chaque année, nous serons ici pour rappeler notre détermination sans faille, laissant à d'autres le ridicule d'une commémoration indigne, que je pourrais presque considérer comme sacrilège à l'égard de la mémoire de tous les patriotes niçois qui donnèrent leur vie pour la France et qui assistent, du haut de leur sacrifice glorieux, à cette dérisoire cérémonie.
Chaque année, nous rappellerons ici, ensemble, le souvenir qui nous unit, le devoir qui nous rassemble, l'exigence qui nous porte !
Chaque année, oui !
Jusqu'à ce que la justice revive.
Jusqu'à ce que la République se retrouve, que nous la retrouvions, que nous retrouvions la France que nous aimons, celle qui a fait la Nation, celle qui a fait l'Algérie, celle dont nous sommes, pour toujours, les fils dévoués et fiers !
Vive Nice !
Vivent les Français d'Algérie !
Vive la France ! » |