"Un coup de force sur le l9 mars"
Sénat La gauche veut imposer sa proposition de loi contestée, quitte à manipuler le calendrier.

   
 
 
Joëlle Garriaud-Maylam
 

Entretien avec Joëlle Garriaud-Maylam
porte-drapeau de l'opposition dans ce combat.

Sénateur des Français établis hors de France après avoir siégé pendant seize ans au Conseil supérieur des Français de l'étranger,  Joëlle Garriaud-Maylam défendait ce 8 novembre une motion d'irrecevabilité sur la proposition de loi présentée parla gauche pour faire du 19 mars 1962 la date de la commémoration officielle de "la fin de la guerre d'Algérie", au terme d'une manipulation du calendrier : la discussion au Sénat a été subrepticement avancée du 20 au 8 novembre pour neutraliser la mobilisation contre ce texte aux allures d'aberration historique et d'insulte aux 100 000 victimes recensées entre mars 1962 et décembre 1964. « Le groupe UMP saisira le Conseil constitutionnel en cas d'adoption du texte », annonce cette native d'Algérie, très engagée contre les totalitarismes et les falsifications de l'histoire.

 
     

5 décembre au 19 mars, plutôt que de garder coûte que coûte le texte voté en 2002...
Quitte à prétendre "créer" une journée d'hommage... qui existe déjà depuis 2003!


Qui est à la manœuvre ?


Le rapporteur du texte est Alain Néri, sénateur (PS) depuis 2011, qui était député en 2002. Il semble agir sous l'impulsion de deux associations d'anciens combattants très ancrées à gauche et minoritaires au sein du monde combattant. Le calendrier législatif est instrumentalisé à des fins de politique étrangère, afin que le texte soit adopté avant le voyage de François Hollande en Algérie, en décembre. Kader Arif, le ministre délégué aux Anciens Combattants, issu d'une famille de harkis, s'en était remis à la "sagesse" du Sénat, ce qui était peut-être le signe de son propre malaise.

Il semble que le gouvernement tienne à resserrer les boulons. Ce voyage en Algérie justifie-t-il un "geste" ?

Au lieu de céder à une surenchère algérienne qui demande même une "repentance", le chef de l'État ferait mieux de travailler sur le renforcement de notre collaboration bilatérale, notamment en matière commerciale, géostratégique et linguistique
Le français ne cesse de décliner en Algérie : moins 20 % d'apprenants en trois ans !

Pourquoi vous opposez-vous à la célébration du 19 mars ?

Des dates comme le 8 mai ou le 11 novembre commémorent l'arrêt effectif des combats. Par contraste, le 19 mars 1962 est une date dramatique pour nombre de Français pieds-noirs et de harkis. Le cessez-le-feu imposé par les "accords d'Évian" n'a été respecté que du côté français et les exactions du FLN contre la population civile et contre les militaires français se sont intensifiées. Il y a eu davantage de victimes entre 1962 et 1964 qu'avant 1962.

La fin officielle de la guerre d'Algérie n'est-elle pas établie à juillet 1962 ?

Oui, et les Algériens célèbrent la fête de l'indépendance le 5 juillet, date de sinistre mémoire pour nous, des milliers d'Européens ayant été massacrés à Oran ce jour-là. Alors qu'il existe depuis 2003 une journée nationale d'hommage aux "morts pour la France" en Afrique du Nord et que, depuis cette année, le 11 novembre est l'occasion de commémorer l'ensemble des morts pour la France, je trouve grotesque et dangereux de raviver les clivages autour du 19 mars.
Comment en finir avec cette polémique ? La guerre d'Algérie est une page tragique de notre Histoire dont il est important d'enseigner la mémoire dans un climat apaisé. Les commémorations ne doivent pas être utilisées pour diviser, raviver les blessures. Files doivent être l'occasion de regarder l'Histoire dans toute sa complexité. Algériens et Français ont une longue histoire commune, faite de souffrances mais aussi de belles réalisations. Ne nous laissons jamais entraîner dans des relectures simplistes et stériles du passé. Propos recueillis

par FRÉDÉRIC PONS

Valeurs actuelles 8 novembre 2012