Les débats au Sénat le 25 octobre 2012 pour le projet de loi pour le 19 mars comme Journée nationale en mémoire des victimes de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

 
 

Les complices de Alain Néri qui propose une loi nauséabonde.
L'oubli volontaire des victimes civiles et militaires du pseudo cessez le feu du 19 mars 1962, une honte.

Les complices : Guy Fischer, Robert Tropeano, Jean-Vincent Placé, Georges Labazée. les sénateurs de la honte .

 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (proposition de loi n° 188 [2001-2002], texte de la commission n° 61, rapport n° 60.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)


M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, qui vise à reconnaître la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Le travail de mémoire est une nécessité, vous le savez bien. Plus encore, il est pour moi une exigence et une responsabilité pour assurer la cohésion du pays. C’est en particulier le cas pour ce qui concerne les drames d’Afrique du Nord, qui, de par leur proximité temporelle, sont encore autant de réminiscences douloureuses et de plaies ouvertes qu’il incombe aujourd’hui à la nation d’apaiser et, progressivement, calmement et collectivement, de cicatriser.
MM. Yvon Collin et Robert Tropeano. Très bien !
M. Kader Arif, ministre délégué. Cette démarche est une des priorités du Gouvernement.
Elle est à la base du sentiment d’appartenance à la communauté nationale de tous les Français, car elle participe à la connaissance et à la compréhension de leur propre histoire.
Elle est à la source de leur citoyenneté et de leur sentiment d’appartenance à la République, sentiment que les moments commémoratifs doivent contribuer à entretenir, via l’indispensable ritualisation d’un passé commun.
La représentation nationale a pris l’initiative d’examiner et de débattre des termes de cette ritualisation, afin de déterminer de quelle manière les Français, nos concitoyens, seront invités à se souvenir.
La question est naturellement complexe. Elle impose à chacun de faire un pas en avant, et non un pas de côté, afin d’écouter et de comprendre les attentes et les préoccupations des mondes combattant et civil dans toute leur diversité. Je songe naturellement aux appelés du contingent, qui ont accueilli avec soulagement la fin officielle des hostilités. Je songe aux harkis, qui ont cru en la France, qui se sont battus pour elle et qui, pour nombre d’entre eux, ont versé un lourd tribut pour leur engagement.
M. Pierre Charon. C’est certain !
M. Kader Arif, ministre délégué. Je n’oublie pas les civils, qui sont aussi les victimes des périodes sombres de fin de conflit.
Cette situation fondamentalement sensible appelle un dialogue ouvert et respectueux entre les représentants de la nation, afin de dépasser les oppositions stériles et de tourner définitivement la page des querelles politiques internes, tout particulièrement pour ce qui concerne la guerre d’Algérie.
Il en va de la capacité de notre pays à inscrire le souvenir douloureux de ces conflits en Afrique du Nord dans le calendrier commémoratif du XXIe siècle, afin que les Français puissent regarder leur passé en face, sans culpabilité ni autre forme de repentance, dans le respect de toutes les victimes, et qu’ils puissent faire de cette mémoire collective une pierre angulaire de leur histoire, indispensable pour construire ensemble un avenir commun.
Je le sais, la représentation nationale est parfaitement consciente de ces enjeux et de la responsabilité qui est la sienne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, votre honorable chambre est par essence celle de la réflexion, du discernement et de la mesure ; elle est celle de la pondération et de la sagesse.
C’est à cette sagesse que je me remets aujourd’hui, dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !

 
 
 
 

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons à débattre de la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie par la nation. Une proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002.

 
M. Marcel-Pierre Cléach. Voilà dix ans !
M. Guy Fischer. À qui la faute ?
M. Alain Néri, rapporteur. Aujourd’hui, nous poursuivons donc un long cheminement.
Il y a cinquante ans, c’était le cessez-le-feu en Algérie, au terme de longues souffrances. Malheureusement, ce ne fut pas la fin de toutes les épreuves : de fait, la guerre d’Algérie ne s’achève pas le 19 mars. Je le souligne, le 19 mars, ce n’est que le cessez-le-feu, à ne confondre en aucun cas avec la fin de la guerre !
M. Jean-Marc Todeschini. Tout à fait !
M. Jacky Le Menn. C’est vrai.
M. Alain Néri, rapporteur. Cinquante ans après, il est urgent de rendre hommage, honneur et dignité à la troisième génération du feu, partie en Algérie, parfois sans comprendre tous les objectifs, parfois sans les partager, et qui a répondu avec abnégation et courage à l’appel de la nation. (M. Jean-Claude Frécon acquiesce.)
Cette troisième génération du feu, ne l’oublions pas, est celle des enfants de la guerre de 1939-1945, de ceux qui avaient déjà souffert de l’Occupation, des privations matérielles, mais aussi et surtout des privations morales et affectives. Beaucoup ne connurent leur père qu’à l’âge de cinq ans, lorsque ce dernier rentra de captivité, ou ne le connurent jamais. D’autres ne connurent pas leur mère, victime de la déportation. Dix ans après le retour, ou la disparition, de leur père et de leur mère, ils partaient en Algérie.
Mettez-vous également à la place des familles, en particulier des mères qui, après avoir vu partir leur époux en 1939-1945, voyaient partir leurs fils en Algérie. Douloureuse épreuve, d’autant que, longtemps, la France n’a pas osé reconnaître que, en Algérie, c’était bien la guerre, hypocritement et abusivement – abusivement au sens premier du terme : on a abusé les Françaises et les Français en leur disant qu’en Algérie il ne s’agissait que d’« événements », d’opérations de pacification et de maintien de l’ordre.
Alors qu’il y a eu 30 000 morts, alors que l’armée française a engagé ses trois armes – l’armée de terre, l’armée de l’air et la marine –, alors que 500 000 soldats français ont été mobilisés sur le sol algérien, alors que plus de 2 millions de jeunes Français ont participé à la guerre d’Algérie, il nous paraissait cruel de ne pas reconnaître celle-ci sous son nom.
Il a fallu attendre trente-sept ans après le cessez-le-feu. Il a fallu attendre 1999,…
M. Michel Teston. Exact !
M. Alain Néri, rapporteur. … pour qu’une proposition de loi socialiste – je la connais bien, pour en avoir été le rapporteur – reconnaisse enfin que, en Algérie, c’était la guerre.
D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? Tout en évoquant des « événements », on reconnaissait aux soldats d’Algérie la qualité de combattant pour des actions de feu et de combat. S’il y avait action de feu et de combat, s’il y avait mort, c’est bien qu’il y avait guerre ! Aujourd’hui, plus personne ne peut nier que, en Algérie, c’était la guerre.
Cette guerre d’Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester une guerre sans date historique et symbolique de reconnaissance et de recueillement pour toutes ses victimes.
M. Philippe Kaltenbach. Exact !
M. François Marc. Très bien !
M. Alain Néri, rapporteur. Le cessez-le-feu du 19 mars ne fut pas la fin des souffrances.
M. Robert Tropeano. Hélas !
M. Jacky Le Menn. Loin de là !
M. Alain Néri, rapporteur. Avant le 19 mars, les appelés, les rappelés, les militaires de carrière et leurs familles ont souffert de la séparation, de la peur, des violences et des deuils.
Après le 19 mars, d’autres souffrances grandirent : celle des rapatriés, que l’on appelait aussi les pieds-noirs, contraints de quitter leur terre natale et d’abandonner leurs racines ; celle des harkis, qui avaient placé leur confiance dans la France, qui avaient cru en sa parole et qui furent odieusement et honteusement désarmés et abandonnés sur ordre du gouvernement de l’époque.
Mme Laurence Cohen. Exactement !
M. Alain Néri, rapporteur. Ceux qui furent accueillis en France le doivent au courage d’officiers qui, désobéissant aux ordres, rapatrièrent leur harka.
Lorsqu’ils arrivèrent en France, les harkis non plus ne reçurent pas un accueil chaleureux. Ils furent parqués dans des camps, situation qui dura, non pas quelques mois, mais plusieurs années. J’ai souvenance d’avoir visité, en 1979 ou en 1980, Mas-Thibert, où était « accueillie », dans des conditions déplorables, la harka du Bachaga Boualem.
M. Pierre Charon. C’est vrai.
M. Alain Néri, rapporteur. Nous n’avions aucune raison d’être fiers de ces conditions d’accueil.
Tous ont souffert de la guerre, et, aujourd'hui, il ne faut pas hiérarchiser les drames. Les souffrances des uns et des autres doivent être reconnues à égalité par la nation, qui doit se réconcilier avec son histoire.
C’est pourquoi nous ne pourrions nous satisfaire d’une date qui ne serait pas historique et symbolique.
En effet, la guerre d’Algérie, tout comme les deux conflits mondiaux, appartient à notre histoire.
La troisième génération du feu mérite une date historique et symbolique, comme les deux générations précédentes. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La date du 11 novembre commémore l’armistice, et non la fin de la guerre de 14-18, qui s’est poursuivie en Orient.
Le 8 mai ne marque pas la fin de la guerre de 39-45, mais la capitulation nazie, un moment historique que l’on ne doit pas effacer de nos mémoires, que personne ne pourra jamais effacer de nos mémoires et que l’on doit continuer à faire partager aux générations futures.
De la même façon, l’armistice de 14-18 représente une page de notre histoire. C’est pour cela que l’on ne peut accepter la tentative de certains de nous faire « avaler » un Memorial Day. Non ! Chaque génération du feu doit avoir sa date historique et spécifique. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour la troisième génération du feu, c’est le 19 mars, date du cessez-le-feu, et non date de la fin des combats.
Cette troisième génération du feu mérite le recueillement et l’hommage de la nation, non seulement en souvenir de toutes les souffrances qu’elle a endurées, mais aussi parce que, si elle ne partageait pas toujours les objectifs de cette guerre, elle est allée en Algérie à l’appel de la nation.
Ces combattants ont aussi répondu une deuxième fois à l’appel de la nation, lorsqu’ils ont sauvé la République en s’opposant au putsch des généraux d’Alger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Frécon. Très bien !
M. Alain Néri, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la nation, réunie, rassemblée, leur doit hommage et reconnaissance. C’est notre but aujourd’hui, en faisant en sorte que la France, unie, rassemblée, apaisée,…
M. Pierre Charon. Bonne chance !
M. Alain Néri, rapporteur. … rende hommage à tous ceux qui ont souffert des cruautés de la guerre, des silences, des peurs et des deuils.
Mes chers collègues, aujourd’hui, la France a l’occasion de se réconcilier avec son histoire.
Nous devons graver dans le marbre de la loi les souffrances qui sont gravées dans le cœur et dans la chair de tous les Français, parce que nous sommes ici pour rappeler ce que sont la République et la démocratie.
L’adoption de cette loi honorera notre assemblée et permettra de reconnaître la troisième génération du feu, à égalité avec les deux précédentes, pour avoir défendu et soutenu la République, la démocratie et la paix ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
 
 

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin !
Enfin, en cette année symbolique du cinquantième anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, nous sommes sur le point de voir aboutir une très ancienne exigence de la majorité de la troisième génération du feu : la reconnaissance de la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est issu des travaux de l’Assemblée nationale du 22 janvier 2002, résultant de plusieurs propositions de loi, dont celles de mes amis Alain Bocquet et Alain Néri.

 
Au Sénat également, j’avais, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, déposé à de nombreuses reprises des propositions de loi en ce sens.
Pourquoi ai-je l’impression de vivre un moment exceptionnel, historique, emblématique ? Parce que nous avons tant attendu ce rétablissement de la vérité historique ! (MM. Pierre Charon et Marcel-Pierre Cléach s’exclament.)
Il aura déjà fallu attendre longtemps la reconnaissance de l’état de guerre, par la loi du 18 octobre 1999 ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Il faut le dire !
M. Guy Fischer. C’était un premier pas, qui ne pouvait qu’être prolongé par un acte législatif donnant enfin à tous, soldats du contingent, militaires, harkis, rapatriés et, bien sûr, populations civiles algérienne et française, une date qui ait un sens non seulement symbolique, mais aussi historique. Cette date permettra de se recueillir et de revenir sur des événements traumatisants, avec l’espoir d’œuvrer à un apaisement des relations entre les deux rives de la Méditerranée.
Pourquoi tout ce temps perdu ? Cette question nous mène au cœur de la relation très complexe qu’entretiennent la France et l’Algérie, faite d’ombre et de lumière, qu’éclairent de grands historiens tels que Benjamin Stora, Sylvie Thénault, et que mettent en scène des écrivains tels que Mathieu Belezi, qui, après le grand Albert Camus et bien d’autres, dépeint, dans ses romans, un pays de soleil et de silence et entonne le chant funèbre d’une terre meurtrie.
Je me souviens d’avoir organisé ici même, au Sénat, en 2010, un colloque intitulé : « 1940-1962 : les troubles de la mémoire française ». Avec d’éminents historiens, nous avions pu confronter ce qu’entretiennent les mémoires collectives des individus et des nations entre elles, leurs liens souvent faussés avec les faits historiques. Nous sommes ici, je pense, précisément au cœur d’un sujet qui donne matière à conflit entre histoire et mémoire.
La proposition de loi que nous nous proposons d’adopter ne constitue en rien un « prêt-à-penser », un dogme, une instrumentalisation de l’histoire. Le dogme, l’absurde, l’offense à l’histoire, c’était l’invention de la date du 5 décembre !
MM. Jean-Jacques Mirassou et Claude Bérit-Débat. Absolument !
M. Guy Fischer. Tout au contraire, ici, il s’agit – j’y crois profondément – de laisser l’histoire s’écrire et la mémoire se livrer, se penser, s’assimiler sur la base d’une date qui ait du sens.
Cette date ne peut être que celle de l’anniversaire du cessez-le-feu, le lendemain des accords d’Évian, le 19 mars 1962, comme il en va pour tous les autres conflits du XXe siècle.
La meilleure légitimité de cette date réside, souvenons-nous, dans l’approbation des accords d’Évian du 18 mars 1962 et du cessez-le-feu du 19 mars par 90,8 % des votants lors du référendum du 8 avril.
Certes, des hommes et des femmes sont encore tombés, des deux côtés, après cette date. C’est la réalité.
M. Charles Revet. On semble les oublier !
Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman. Personne ne les oublie, bien au contraire !
M. Guy Fischer. Certes, le drame des rapatriés – j’en ai accueilli des milliers dans le grand ensemble des Minguettes, à Vénissieux – doit rester dans la mémoire collective et l’abandon des harkis ne doit jamais être oublié, même si cette tragédie ne nous fait pas honneur – à Vénissieux encore, nous avons construit des résidences pour les harkis, afin qu’ils soient traités dignement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mais, comme l’armistice de la Grande Guerre le 11 novembre 1918 et la capitulation sans condition des armées nazies le 8 mai 1945, le 19 mars est une date clé, un point d’appui pour la mémoire comme pour l’histoire. Avec cette reconnaissance, j’ai bon espoir que nous mettions enfin un terme à une triste et stérile polémique. Replaçons lucidement les idées à leur juste place : qui oserait aujourd’hui remettre en question le 11 novembre et le 8 mai, sous prétexte que des belligérants et des civils perdirent, hélas ! la vie après ces dates ?
M. Charles Revet. Cela n’a rien à voir !
M. Guy Fischer. Bien sûr que si !
La douleur des mères, des sœurs et des épouses en fut-elle pour autant moins respectée ? Certainement pas !
Et n’oublions jamais que ce sont les non-dits, le silence, pis encore le déni, le révisionnisme et la censure qui cristallisent ressentiments, haines, et qui privent les protagonistes d’un deuil nécessaire à la reconstruction. A contrario, comme le disait fort justement mardi dernier notre collègue David Assouline, la vérité apaise.
Je ne voudrais pas répéter mes propos au sujet de notre proposition de résolution, adoptée mardi dernier, sur la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961. Toutefois, le parallélisme de ces deux débats m’impose de soulever à nouveau publiquement une contradiction de taille dans l’attitude du Gouvernement : d’un côté, faire un pas dans la reconnaissance des exactions de l’État français colonialiste, reconnaître une date sur laquelle les précédents gouvernements ont préféré le déni ; d’un autre côté – et je m’exprime là, solennellement, au nom de mon groupe et de sa présidente, Éliane Assassi –, mettre à l’honneur le tristement célèbre général Bigeard, tortionnaire de sinistre mémoire en Algérie comme en Indochine.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Guy Fischer. M. le ministre des relations avec le Parlement ne m’a pas répondu mardi dernier, mais, vous me connaissez, je poserai la question jusqu’à ce que je sois satisfait de la réponse !
Le sujet est d’importance : soit nous avons une volonté de mettre à plat, globalement, les conséquences de notre politique coloniale, pour mieux réconcilier nos deux peuples ; soit nous demeurons un pied dans le déni, un pied dans une trop timide tentative de nous affranchir de cinquante ans de silence coupable.
Cette attitude est, je le répète, intenable. Le courage nous commande d’aller jusqu’au bout de la démarche, d’affronter des pages qui comptent parmi les moins glorieuses de notre histoire.
Je voudrais conclure en vous interrogeant, monsieur le ministre, sur la politique de mémoire qu’entend mener notre nouveau gouvernement. Je souhaite instamment que soient levées toutes les ambiguïtés relatives à l’instauration d’une date unique. Je pense notamment à ce que j’appelle le « dernier mauvais coup » de l’ancien gouvernement.
La loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, y compris en opérations extérieures, n’est pas innocente. Avez-vous la volonté de l’abroger, monsieur le ministre ?
La mémoire n’est pas uniforme – nous sommes en plein dans ce débat – et l’enseignement de l’histoire se doit de faire place à toutes les grandes périodes qui ont marqué notre nation.
Pour ce faire, les programmes d’enseignement et les manuels scolaires ne devraient-ils pas refaire une plus large place à un enseignement vivant de l’histoire de tous les conflits dans lesquels notre peuple, nos voisins européens comme nos anciennes colonies et protectorats furent engagés ? Une refonte ambitieuse et concertée de cet enseignement ne serait-elle pas un gage de mémoire partagée, de relations internationales reconstruites par la mise au jour des pans d’une histoire non assumée ?
Optimiste de nature, monsieur le ministre, j’espère que notre nation saura prendre toute sa place dans des lendemains qu’il nous appartient de modeler ensemble. Quelle belle perspective s’offre à nous, quel beau défi à relever, notamment pour vous, anciens combattants qui nous écoutez dans les tribunes, protagonistes d’une guerre longtemps sans nom et sans vainqueurs ! Peut-être cette sorte de reconstruction finira-t-elle par acquitter ce lourd tribut que vous avez porté pendant cinq décennies…
C’est en tout cas mon souhait le plus cher, et c’est l’espoir que je forme pour le mieux « vivre ensemble » des générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
 
     

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est grave, l’urgence pressante.
Notre dette publique est abyssale et représente plus de 90 % du PIB ;…
M. Roland Courteau. Hors sujet !
M. Hervé Marseille. … le chômage a dépassé la barre des 3 millions (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) ; notre part de marché à l’exportation diminue de jour en jour et notre écart de compétitivité avec l’Allemagne ne cesse de se creuser.

 
 
 
M. Ronan Kerdraon. C’est votre héritage !
M. Hervé Marseille. Cela ne vous plaît pas, mais c’est la vérité. L’urgence est claire, le diagnostic partagé.
Or, depuis le 3 juillet dernier, que se passe-t-il ? C’est bien simple, votre majorité a eu comme principe moteur de déconstruire ce qui allait dans le bon sens : l’exonération des charges sur les heures supplémentaires, l’intéressement des salariés au bénéfice de leur entreprise, la majoration des droits à construire.
On vous reconnaîtra le mérite d’avoir fait voter le traité européen, négocié par le précédent Président de la République, et d’avoir pallié l’abrogation du dispositif sur le harcèlement sexuel.
M. Roland Courteau. Hors sujet !
M. Jean-Jacques Mirassou. Réchauffé !
M. Hervé Marseille. En réalité, depuis juillet vous n’avez proposé que deux textes majeurs : le premier, sur le logement, entièrement censuré par le Conseil constitutionnel hier soir, et le second sur les « emplois d’avenir ».
La France attend des réformes, monsieur le ministre.
M. Roland Courteau. Parlez-nous du 19 mars !
M. Hervé Marseille. Les entreprises ont besoin de plus de compétitivité et les Français recherchent des emplois.
Dès lors, quoi de mieux que de botter en touche ? Une fois encore, votre gouvernement est à contretemps.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bravo !
M. Hervé Marseille. Plutôt que de vous saisir des enjeux fondamentaux et de permettre aux Français d’entrevoir des jours meilleurs, vous nous proposez d’étudier un texte exhumé de l’Assemblée nationale et voté il y a plus de dix ans.
Ce texte est une pure et simple abrogation du décret du 26 septembre 2003, qui avait fait du 5 décembre la journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, décret pris après un processus consultatif mené par l’historien Jean Favier. Bref, une procédure proche de la méthode vantée par M. le Premier ministre !
Quelle urgence y avait-il dès lors à mobiliser le Parlement pour consacrer une nouvelle date de commémoration,…
M. Roland Courteau. C’est évident !
M. Hervé Marseille. … a fortiori une date qui divise ?
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est méprisable !
M. Hervé Marseille. Ces textes ne sont pas non plus identiques dans leur forme : l’un est réglementaire et l’autre législatif. Cela n’est pas sans conséquence !
Alors même que l’article 34 de la Constitution fixe les pouvoirs du Parlement en ne nous permettant pas de légiférer en la matière, vous souhaitez fixer de manière législative une date de commémoration.
Il y a un précédent, et je vous invite à vous intéresser au sort qui avait été réservé à la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui disposait au second alinéa de son article 4 que la colonisation avait parfois eu un rôle positif.
M. Guy Fischer. L’article 4 était scandaleux !
M. Hervé Marseille. Le Gouvernement avait, en vertu du second alinéa de l’article 37 de la Constitution, saisi le Conseil constitutionnel, qui avait déclaré cette disposition comme étant du domaine réglementaire. C’est la preuve le Parlement n’est peut-être pas tout à fait dans son rôle en matière mémorielle, surtout lorsqu’il légifère par la voie d’une proposition de loi.
Mes chers collègues, restons dans notre fonction, et soyons cohérents. Je ne peux que m’étonner de la contradiction qui existe entre la présente proposition de loi et l’opposition vigoureuse manifestée en janvier dernier, alors que nous débattions de la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, par le président de la commission des lois à l’encontre des textes mémoriels.
Citant le doyen Vedel, Robert Badinter et d’autres éminents professeurs d’université, M. Sueur nous explique alors que ces textes ne sont pas du domaine de la loi et qu’il convient de laisser les historiens réaliser leurs recherches dans la sérénité.
M. Claude Dilain. Cela n’a rien à voir !
M. Hervé Marseille. « Quelle est notre légitimité à nous, législateur, pour dire ce qu’est l’histoire ? » s’interroge-t-il ici-même, résumant ensuite son propos en disant avec « Robert Badinter que le Parlement n’est pas un tribunal et avec Pierre Nora qu’il ne revient pas au législateur de faire l’histoire ».
Dès lors, mes chers collègues, si vous adoptez ce texte, ne dites plus, par exemple, à la communauté arménienne, qui attend un texte de reconnaissance,…
M. Roland Courteau. Cela n’a rien à voir !
Un sénateur du groupe socialiste. Le génocide est reconnu !
M. Jean-Jacques Mirassou. Tout ce qui est excessif est dérisoire !
M. Hervé Marseille. … que cette reconnaissance n’est pas du domaine de la loi.
Deuxième contradiction, monsieur le rapporteur : au cours de l’année 2004, vous l’avez rappelé, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, dont vous étiez membre, comme François Hollande et Jean-Marc Ayrault, déposait une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriés et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie.
M. Alain Néri, rapporteur. Absolument !
M. Hervé Marseille. À cette occasion, vous souhaitiez que soient notamment identifiées les responsabilités dans les massacres de la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, ou encore de la journée du 5 juillet 1962 à Oran. Autrement dit, monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas ces événements, mais vous voulez aujourd’hui, en faisant du 19 mars la date de commémoration, rayer d’un trait de plume les conséquences des massacres intervenus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri, rapporteur. Pas du tout !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. C’est le contraire !
M. Hervé Marseille. Par ailleurs, la commission en refusant votre proposition vous rappelait que l’encouragement du travail historique devait être préféré à la création d’une commission d’enquête.
Enfin, troisième contradiction : nous avons étendu, en début d’année, l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse aux formations supplétives des forces armées. Le droit en vigueur, en particulier l’article 5 de la loi de 2005, ne trouvait pas d’application pour des raisons purement juridiques.
Dès lors, nous avons réparé cette injustice en permettant aux harkis d’être protégés contre des injures et des diffamations. Nous avons élargi ce dispositif protecteur applicable aux harkis, mais, aujourd’hui, nous examinons un texte qui tend à les humilier…
M. René Garrec. Exactement !
M. Hervé Marseille. … en fixant une date de commémoration de la fin du conflit algérien préalable aux massacres qu’ils ont subis, en particulier le 5 juillet 1962 à Oran.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Hervé Marseille. Alors même que les accords d’Évian prévoyaient un cessez-le-feu dès le 19 mars 1962, vous l’avez rappelé, les exactions ont perduré. Faire de cette date une journée de commémoration reviendrait en quelque sorte à nier l’existence des drames qui ont suivi et qui ont fait de très nombreuses victimes. Le 19 mars 1962, la France a abandonné les harkis.
Au début de l’année 2012, le Parlement français a souhaité compléter son dispositif protecteur à l’égard des Français rapatriés.
Je me permets de rappeler mon intervention en séance à cette occasion : « Nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. […]
« Cette injustice a été lentement réparée par un processus législatif qui se sera déroulé pendant près de dix ans, entre la loi du 11 juin 1994, qui a été la première à exprimer la reconnaissance de la France aux harkis, et celle de 2005, qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore mal cicatrisé. »
Mes chers collègues, ne faisons pas machine arrière, n’oublions pas les tragédies qui se sont déroulées après la mi-mars 1962. Les commémorations doivent nous rassembler, elles ne doivent pas nous diviser !
Il serait ainsi grand temps de reprendre l’intégralité des propositions formulées à l’automne 2008 par l’historien André Kaspi. Le rapport qu’il avait remis au Président de la République prévoyait purement et simplement de retenir trois dates pour les commémorations : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Hervé Marseille. Ces trois dates résonnent dans la conscience de tous les citoyens français.
Seule la date du 11 novembre a fait l’objet d’un approfondissement en ce sens à destination du souvenir de tous les morts pour la France. Faisons donc du 8 mai, par exemple, la célébration de la paix et la commémoration des victimes militaires et civiles de toutes les guerres passées.
Autre piste à suivre, notre collègue Yves Pozzo Di Borgo a appelé, lors de l’examen de la proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961 présentée par nos collègues communistes, au lancement d’une vaste concertation au sujet des commémorations relatives à la blessure algérienne, notamment en association avec l’Algérie.
Dès lors, mes chers collègues, à l’évidence, le 19 mars est non pas une date qui rassemble mais qui divise. En faire une date de commémoration officielle cristallisera cette division.
M. Pierre Charon. Eh oui !
M. Hervé Marseille. Sur ces sujets, il faut de la sérénité et ce texte ne va pas dans ce sens.
Jusqu’à présent, il y avait ceux qui commémoraient le 5 décembre et ceux qui commémoraient le 19 mars.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Très peu !
M. Hervé Marseille. Ils continueront à le faire. La seule différence, c’est que le préfet sera le 19 mars devant les monuments et il n’y sera plus le 5 décembre.
C’est pour cela, mes chers collègues, que je ne voterai pas ce texte comme les membres de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Guy Fischer. Cela changera !
 
 
 
 

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, longtemps considérée comme la « guerre sans nom », la guerre d’Algérie ne doit pas rester la guerre sans fin. Nous avons suffisamment de recul pour reconnaître que ce conflit d’une grande violence physique, psychologique et symbolique s’est déroulé entre 1954 et 1962, même si personne n’ignore les drames, les attentats et autres règlements de compte qui ont suivi le cessez-le-feu issu des accords d’Évian.
Sans plus tarder – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur –, il faut apporter une réponse à ceux qui ont répondu à l’âge de vingt ans à l’appel de la nation avec abnégation et courage.
M. Yvon Collin. Très bien !

M. Robert Tropeano. Je fus de ceux-là pendant vingt-huit mois.
Oui, il est temps de créer les conditions d’un rassemblement serein et unitaire pour les 2 millions de jeunes soldats envoyés de l’autre côté de la Méditerranée et, bien sûr, pour toutes les victimes civiles assassinées, avant et après le 19 mars 1962, pour tous ceux qui de la « Toussaint sanglante » au massacre d’Oran ont payé de leur vie l’indépendance algérienne ou tout simplement pour servir la France.
Il ne s’agit pas de refaire l’histoire, il s’agit de la regarder en face.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Tropeano. Aussi, sans hésiter, prenons toutes nos responsabilités pour installer un devoir de mémoire à la hauteur des sacrifices endurés par beaucoup de nos concitoyens. Trop souvent, sur cette question, les tergiversations l’ont emporté malgré l’action déterminée des anciens de la guerre d’Algérie, en particulier des anciens combattants d’Afrique du Nord.
J’ai toujours été de ce combat contre l’oubli. J’ai toujours soutenu sans faille toutes les démarches qui visent à rétablir la vérité historique et à rendre hommage à toutes les victimes – je dis bien à toutes les victimes.
Je regrette sincèrement que la représentation nationale ne puisse s’unir et se retrouver sur la date du 19 mars 1962, qui marque l’arrêt officiel des hostilités et qui n’occulte en aucun cas les événements tragiques postérieurs à celle-ci.
Cette date a du sens, ce qui est indispensable pour donner vie à une journée du souvenir et du recueillement que nous souhaitons tous.
Je regrette aussi que, après tant d’années, le processus soit toujours aussi long quand il s’agit d’œuvrer en faveur d’une lecture objective de la guerre d’Algérie.
En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, il a fallu attendre trente-sept ans pour que les opérations effectuées en Afrique du Nord soient qualifiées selon leur vraie nature.
M. Yvon Collin. Trop longtemps !
M. Robert Tropeano. La loi du 18 octobre 1999 a remplacé une formulation relevant clairement du déni par celle, plus juste, de guerre d’Algérie.
M. Roland Courteau. C’était un gouvernement de gauche !
M. Robert Tropeano. Antérieurement, la loi du 9 décembre 1974, qui attribuait la qualité de combattant aux personnes ayant participé à ce conflit, avait également été adoptée à l’issue d’une course d’obstacles subtilement mise en œuvre, à l’époque, par les gouvernements successifs.
À cet égard, le débat du 17 octobre 1974 au Sénat est éclairant. Le rapporteur de la loi du 9 décembre, Lucien Grand, membre de la Gauche démocratique, s’exprimait ainsi : « Vous trouverez, mes chers collègues, dans mon rapport, la narration fidèle des longues vicissitudes de ce projet de loi, nos espérances déçues à plusieurs reprises au fil des ans pour des motifs divers mais toujours renouvelés. Aujourd’hui, il nous est permis de discuter un projet de loi qui répond aux espoirs que nous entretenons depuis douze ans. »
Reprenant les termes de cet ancien sénateur, je dirai qu’il nous est enfin permis aujourd'hui de discuter une proposition de loi qui répond aux espoirs levés, de nouveau, voilà dix ans.
En effet, en 2002, sur l’initiative de plusieurs familles politiques parmi lesquelles les radicaux de gauche, l’Assemblée nationale avait déjà adopté une proposition de loi visant à reconnaître le 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.
Depuis, dix années se sont écoulées. Le texte est resté volontairement englué dans les limbes d’une navette parlementaire suspendue par le temps, ce qui reflète bien, hélas ! à quel point est difficile la réconciliation nationale sur la question de la guerre d’Algérie.
En effet, mes chers collègues, les plaies de cette tragédie sont encore très vives. On peut le comprendre au regard des milliers de civils et militaires victimes de ce terrible déchirement entre l’Algérie et la France.
La guerre d’Algérie est passionnelle à cause de la cécité politique sur le système colonial et sur l’inévitable processus de décolonisation.
La guerre d’Algérie est forte de culpabilité en raison de la torture assumée par certains officiers comme moyen de lutte obligé contre le « terrorisme ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Robert Tropeano. La guerre d’Algérie est pleine de honte à cause des harkis abandonnés au massacre punitif des lendemains de guerre.
M. Roland Courteau. Hélas !
M. Robert Tropeano. Enfin, la guerre d’Algérie est empreinte de douleurs parce qu’elle a forcé à l’exode des milliers de rapatriés pour qui l’Algérie était aussi leur terre et parce que les plus hautes autorités leur avaient fait une promesse : « L’Algérie, c’est la France. »
Dans son dernier livre, l’historien Benjamin Stora rappelle que « la mémoire des uns n’est pas celle des autres ». Il est vrai que l’histoire ne semble pas la même selon que l’on ait été soldat, rapatrié ou harki. Mais la somme de tous ces souvenirs individuels rassemblés par un dénominateur commun, la douleur et l’incompréhension, doit naturellement conduire à partager un même moment de recueillement.
C’est ainsi que je vois les choses. Pour ma part, et celle de la majorité des membres du RDSE, le choix du 19 mars est la date symbolique la plus significative. M. le rapporteur nous a livré les bons arguments, que je ne vais pas tous rappeler. J’insisterai seulement sur la nécessité de choisir une date qui réponde à la même logique que celles qui ont été décidées pour raviver le souvenir de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C’est une question de clarté pour les générations futures. C’est une question de sens à donner pour cette journée de mémoire.
Ni défaite, ni victoire, le cessez-le-feu du 19 mars 1962 doit être compris d’abord et avant tout comme la promesse d’une paix retrouvée des deux côtés de la Méditerranée.
J’espère que le Sénat, par son vote, contribuera à consolider une mémoire collective cohérente et apaisée, comme il l’a fait avant-hier grâce à l’adoption de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
 
       
 
 
 
 

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans, cela fait cinquante ans que la guerre d’Algérie est officiellement terminée. Un demi-siècle ! Et c’est bien connu, souvent la mémoire s’efface à mesure que les années passent. Ne pas oublier, c’est là, me semble-t-il, tout l’enjeu de notre débat d’aujourd’hui.
Les membres du groupe écologiste ont estimé qu’il fallait prendre le temps de débattre sereinement de cette proposition de loi, et non pas voter dans l’urgence.

À cet égard, je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur Alain Néri qui, animé de sa passion et de ses convictions personnelles sur le sujet, a eu la volonté d’écouter l’ensemble des groupes et d’engager la discussion, ce qui honore la Haute Assemblée.
Discuter a été une sage décision, car chacun a eu le temps de s’interroger sur ce sujet complexe et de murir sa propre réflexion. Nous touchons là à un domaine délicat, celui du souvenir, qui appartient à chacun, avec son vécu, son ressenti, son parcours personnel, son histoire et sa culture.
La mémoire est inévitablement plurielle et hétérogène, selon les rôles et les points de vue des uns et des autres. C’est pourquoi je distingue la mémoire de l’Histoire.
Tandis que la mémoire relève souvent de la passion, l’histoire appartient davantage à la raison. L’histoire, c’est le résultat d’une recherche méthodique et savante, qui a une vocation pédagogique, notamment éduquer à la citoyenneté.
Il existe des faits historiques, des dates objectives, comme celle du 19 mars 1962, ce jour où, grâce aux accords d’Évian, la France et le gouvernement provisoire de la République algérienne ont décidé le cessez-le-feu. Le 8 avril 1962, une très grande majorité des Français, 90,7 % d’entre eux, ont d’ailleurs ratifié ces accords. Certes, ce ne fut pas la fin des combats, ni des souffrances, mais c’est un symbole fort, ancré dans la réalité historique. Bien sûr, les harkis, les Français et les Algériens n’ont pas du tout vécu cette date de la même manière, mais ils ont tous été concernés par cette décision.
C’est donc au nom de ce passé commun que le 19 mars 1962 fait sens. C’est une pierre de plus que l’on apporte à l’édifice de la réconciliation.
Cette date, malgré la discussion qui l’entoure, est l’objet d’un consensus assez large. L’institutionnaliser permettrait de dépasser les clivages pour aller vers la commémoration collective des souffrances des victimes d’une tragédie dont tout le monde a pâti.
Nous devons ce vote aux victimes, trop nombreuses. Bien qu’aucun bilan chiffré ne puisse être complètement vérifié, avant le cessez-le-feu, on ne dénombrait pas moins de 24 267 militaires français tués, sans compter les 65 000 blessés ; 2 788 tués, 7 541 blessés et 875 disparus parmi les civils français ; entre 30 000 et 150 000 harkis tués ou disparus – à considérer l’écart des chiffres, la vérité historique est complexe à déterminer – ; au moins 141 000 soldats de l’armée de libération nationale algérienne tués ; entre 300 000 et 400 000 algériens décédés.
Ce bilan, dramatiquement lourd, est encore très certainement sous-estimé.
Le Parlement a reconnu la part de responsabilité de la France dans ce qu’il a lui-même requalifié de « guerre ». Avec cette proposition de loi, nous ne faisons que parachever, et c’est bien utile, cette reconnaissance officielle, afin que l’on n’oublie pas, même si les années passent, les victimes des combats d’Afrique du Nord.
Cela dit, gardons-nous bien, mes chers collègues, de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre. Nous sommes des législateurs, pas des historiens ni des juges. Nous n’avons pas la légitimité de dire quelle est la vérité, qui sont les bons ou les mauvais, s’il y en avait. En tant que représentants nationaux, nous avons le devoir d’agir dans l’intérêt commun et d’être responsables.
À chacun de se recueillir et de se remémorer les événements selon son vécu. À chaque historien de poursuivre la recherche vers la vérité historique.
Pour les élus que nous sommes, il s’agit humblement, modestement de reconnaître officiellement une journée du souvenir, qui sera de nature à permette un travail pédagogique. Car c’est aussi dans la connaissance de son passé que l’on prépare un meilleur avenir.
Un sénateur du groupe UMP. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. Pour conclure, je souhaiterais simplement rappeler qu’il n’y a pas de vérité absolue dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres. Il n’existe pas de date parfaite, il n’en existera jamais. À mesure que l’on se crispe sur un jour, on oublie l’essentiel : être ensemble pour commémorer les victimes et les erreurs à ne plus commettre, un objectif sincère et profond qui a motivé mon vote.
Tout en respectant l’avis des uns et des autres, qui ont engagé ici un débat extrêmement digne, je voterai, comme la quasi-unanimité du groupe écologiste, en faveur de la proposition de loi présentée aujourd’hui, m’inscrivant d’ailleurs dans la continuité du vote de mes camarades écologistes de l’Assemblée nationale, dont Noël Mamère et Marie-Hélène Aubert, qui, en 2001, étaient cosignataires, avec Bernard Charles, le président du groupe parlementaire Radical, Citoyen et Vert, (Mme Françoise Laborde opine.)…
M. Yvon Collin. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. … de la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
 
       

M. le président. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes – curieusement ! – appelés à nous prononcer aujourd’hui,…
Un sénateur du groupe socialiste. Pourquoi « curieusement » ?
M. Marcel-Pierre Cléach. … à la demande du groupe socialiste, sur une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002, c'est-à-dire il y a plus de dix ans.
Le procédé est étrange. Il ne doit pas y avoir beaucoup de précédents ! D’ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence de cette opération, qui ne tient pas compte de l’évolution des esprits et des textes en dix ans.
M. Roland Courteau. C’est la cohérence !
M. Marcel-Pierre Cléach. On peut aussi se demander, sur le plan de l’éthique parlementaire, s’il est vraiment correct de procéder ainsi.

 
 
La demande de reconnaissance de la date du 19 mars comme « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » ravive un vieux débat, qui divise depuis toujours, hélas ! le monde des anciens combattants…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et qui concerne bien entendu, au premier chef, la communauté de nos compatriotes rapatriés d’Afrique du Nord.
Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur, que « le 19 mars doit apaiser et rassembler en permettant de se souvenir de tous les morts, avant et après cette date, comme on le fait le 11 novembre et le 8 mai pour les deux guerres mondiales ».
Voilà un procédé oratoire étonnant : vous dites vouloir rassembler, mais vous proposez des dispositions qui aboutissent au contraire.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Pourtant, vous savez que le monde combattant reste particulièrement divisé sur cette question. Vous avez dû recevoir, comme moi, d’innombrables protestations contre votre initiative, dont celle du comité d’entente des associations patriotiques, qui regroupe quarante associations d’anciens combattants, avec 1,2 million de membres, et celles des associations de rapatriés, de harkis et de disparus.
Le mouvement d’indignation que soulève l’initiative du groupe socialiste du Sénat démontre bien que, loin de rassembler, celle-ci ranime les divisions, les souvenirs, les passions opposées.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. Croyez-vous que c’était le moment ?
N’aviez-vous pas remarqué que les oppositions s’estompaient peu à peu ?
N’aviez-vous pas également remarqué que les associations d’anciens combattants, sauf une, s’étaient ralliées au projet de la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, texte que j’ai eu l’honneur de rapporter au Sénat ?
N’aviez-vous pas non plus remarqué qu’un statu quo de raison s’était instauré entre ceux qui voulaient commémorer le 19 mars et ceux qui avaient adopté la date du 5 décembre ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Ils sont plus nombreux d’un côté que de l’autre !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je regrette que les auteurs de la présente proposition de loi n’aient pas eu la sagesse de l’un d’entre eux, alors secrétaire d’État dans le gouvernement de Lionel Jospin, qui, sur la date problématique du 19 mars, déclarait ici même, à la tribune du Sénat, le 1er décembre 2001 : « En réalité, le domaine est plus qu’historique : il touche au plus profond de nous-mêmes, de notre histoire, de l’histoire de la France, de l’histoire des Françaises et des Français, et c’est bien pour cela que sénateurs et députés sont maintenant chargés de dire leur mot.
« Des textes ont été déposés, sur lesquels il faut réfléchir et ouvrir un vrai débat. Mais, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut décider, par une simple majorité politique ou politicienne : que signifierait une décision prise à 51 % des votants ? » M. Jacques Floch poursuivait en ces termes : « Les uns et les autres, nous savons avancer les arguments nécessaires et nous savons qu’il y a des moments historiques ; mais ces derniers sont-ils suffisamment forts pour nous imposer une date ? »
Tirant les conclusions d’un désaccord insurmontable, M. Floch ne persista pas dans son intention première de présenter ce projet de loi au Sénat.
Déjà en 1981, vingt-neuf associations sur trente et une, consultées par le ministre alors chargé du dossier, s’étaient opposées au choix du 19 mars comme date d’une quelconque commémoration. Ce fut aussi la position de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, mais aussi, chers collègues de la majorité, de François Mitterrand,…
M. Charles Revet. Eh oui ! Souvenez-vous !
M. Marcel-Pierre Cléach. … qui déclarait, lors d’une conférence de presse donnée à l’Élysée le 24 septembre 1981 : « S’il s’agit de marquer le recueillement et d’honorer les victimes de la guerre d’Algérie, je dis que cela ne peut pas être le 19 mars »,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. … ajoutant : « si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie [....] cela ne peut être le 19 mars, car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple […],…
MM. François Pillet et Pierre Charon. Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. … ce n’est pas l’acte diplomatique rendu nécessaire à l’époque qui peut s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et qu’au surplus il convient de ne froisser la conscience de personne. »
Voilà de sages paroles – il m’arrive rarement de citer le président Mitterrand –,…
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est bien vrai !
M. Roland Courteau. C’est rarissime !
M. Marcel-Pierre Cléach. … mais qui ont été oubliées…
M. Charles Revet. Ils ont la mémoire courte !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et qu’un élu de l’opposition a plaisir à vous rappeler !
Tous les présidents de la Ve République, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, y compris François Mitterrand, se sont opposés, soit officiellement, soit en se taisant, à la commémoration officielle du 19 mars.
M. François Rebsamen. Le jour est venu !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous l’avez compris, cela ne vous aura pas échappé, bien qu’étant moi-même ancien combattant d’Algérie je suis très opposé au texte en discussion, et ce pour des raisons de fond, de forme et d’opportunité.
La première raison, de fond, la plus importante à mes yeux, tient au fait que votre initiative, chers collègues de la majorité, « ressuscite » des divisions qui avaient tendance à s’estomper au sein du monde combattant et ravive les plaies de tous ceux qui ont tout perdu en Algérie et de ceux qui ont perdu des enfants,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Marcel-Pierre Cléach. … des parents, des amis après le 19 mars.
Vous l’avez reconnu, le 19 mars n’a pas ipso facto entraîné la paix en Algérie.
En effet, les hostilités ne se sont pas arrêtées le 19 mars 1962. À partir de cette date, et tout au long de l’année 1962, malgré les stipulations des accords d’Évian garantissant le respect des anciens combattants d’origine algérienne ayant servi sous le drapeau français, près de 150 000 d’entre eux furent exécutés dans des conditions atroces. Il n’y avait pas, d’un côté, les mauvais et, de l’autre, les anges !
M. François Rebsamen. C’est vrai !
M. Marcel-Pierre Cléach. Et s’ils ne furent que 60 000 à être exécutés après l’armistice, comme le prétendent d’autres sources, ils furent 60 000 de trop, alors que nous respections, nous, les accords engageant notre pays.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. Au cours de cette même période, l’armée française déplora 152 tués, 422 blessés et 162 disparus. Ce n’était donc pas la fin de la guerre d’Algérie. Ce n’était pas la paix.
Et que dire de nos compatriotes civils disparus à jamais ? Près de 2 000 !
Et que dire des massacres d’Oran du 5 juillet 1962, évoqués précédemment, avec 456 morts ou disparus ?
Non, le 19 mars n’a pas ramené la paix en Algérie ; le prétendre serait contraire à la vérité historique.
La deuxième raison pour laquelle je m’oppose à ce texte a trait à la tradition : la France ne célèbre que les victoires ou les actes exceptionnels de bravoure. Célébrons-nous le 22 juin 1940, date de la signature par le maréchal Pétain de l’armistice consacrant la défaite de la France ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Allons ! Ce n’est pas sérieux !
M. Marcel-Pierre Cléach. Célébrons-nous le 21 juillet 1954, date à laquelle furent signés les accords de Genève qui mirent fin à la guerre d’Indochine et, par voie de conséquence, à la présence française dans cette partie du monde ? Non !
M. Jean-Jacques Mirassou. Parlez-nous aussi de Waterloo !
M. Marcel-Pierre Cléach. Nous célébrons avec ferveur le 8 mai, date anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie,…
M. Alain Néri, rapporteur. Grâce à François Mitterrand !
M. Marcel-Pierre Cléach. … et le 11 novembre, date anniversaire de la victoire de la Première Guerre mondiale !
La troisième raison pour laquelle je suis hostile à cette proposition de loi a affaire avec la décence.
En effet, nous devons imaginer l’épreuve morale que représente, pour de nombreux anciens d’Algérie, le fait de commémorer le souvenir de leurs morts le jour où l’Algérie indépendante, comme elle en a le droit, célèbre sa victoire – car le 19 mars est devenu en Algérie la fête de la victoire.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Marcel-Pierre Cléach. Pour les anciens d’Algérie, les rapatriés et nos anciens compatriotes, il est particulièrement inacceptable, compte tenu du nombre de morts survenues postérieurement au 19 mars 1962, notamment parmi nos amis harkis, que l’on célèbre quoi que ce soit en ce jour anniversaire.
Choisir la date du 19 mars, c’est aussi raviver les pires souvenirs des militaires du contingent, dont je faisais partie, et des militaires professionnels qui, restés en Algérie après cette date, ont assisté, impuissants, à toutes les exactions commises par le FLN et à tous les malheurs qui ont frappé la population européenne comme maghrébine.
Je ne veux pas croire que l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour soit destinée à donner des gages à l’État algérien à quelques jours du voyage de M. Hollande à Alger… (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. C’est indigne et politicien !
M. Alain Néri, rapporteur. La proposition de loi a été déposée il y a dix ans !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous faites de la politique ; pardonnez-moi d’en faire un petit peu aussi !
M. Alain Néri, rapporteur. Justement, non ! Ce n’est pas un texte politique !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je rappelle que M. Hollande a été signataire, en 2002, de la même proposition de loi que M. Néri.
Par ailleurs, cette proposition de loi est contradictoire avec l’existence de la journée commémorative du 5 décembre, instaurée après concertation par un décret en date du 26 septembre 2003.
M. Guy Fischer. Ce qu’il faut entendre !
M. Jean-Marc Todeschini. Quelle concertation ?
M. Marcel-Pierre Cléach. En outre, la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés dispose que « la Nation associe les rapatriés d’Afrique du Nord, les personnes disparues et les populations civiles victimes de massacres ou d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Évian […] à l’hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ».
M. Jean-Marc Todeschini. Il dépasse son temps de parole !
M. Marcel-Pierre Cléach. Je ne suis pas le seul !
Surtout, mes chers collègues, souvenons-nous que nous avons voté à la quasi-unanimité, le 28 février dernier, la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
M. Alain Néri, rapporteur. Une loi que j’ai fait amender !
M. Marcel-Pierre Cléach. À la suite de l’adoption d’un amendement que vous aviez déposé, monsieur Néri, et que j’ai accepté, cette loi prévoit expressément que l’hommage rendu le 11 novembre à tous les morts pour la France « ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationales ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Vous avez dépassé votre temps de parole de trois minutes !
M. Marcel-Pierre Cléach. Vous le voyez, monsieur le rapporteur, je rends à César ce qui lui appartient : j’ai rappelé que, sur votre demande, cette précision a été introduite dans la loi, avec l’accord du ministre.
M. Jean-Jacques Mirassou. Plus de trois minutes !
M. Marcel-Pierre Cléach. La célébration du 19 mars, défendue par deux associations, est donc protégée, de même que celle du 5 décembre, défendue par les autres associations représentatives du monde combattant. Chacun est donc libre de choisir la date de commémoration qu’il préfère.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, votre proposition de loi est superfétatoire et inutile, mais c’est le moindre de ses défauts : le plus grave, à mes yeux, est qu’elle jette de l’huile sur le feu (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Jean-Jacques Mirassou. Quatre minutes !
M. Jean-Marc Todeschini. Il ne restera plus de temps pour M. Carle !
M. Marcel-Pierre Cléach. … alors que nous allions vers un apaisement des passions illustré par l’approbation quasi unanime de la loi du 28 février 2012 et que les anciens combattants s’habituaient, avec le temps, à des célébrations à des dates différentes de la fin juridique de la guerre d’Algérie. (Concluez ! et protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. Et nous, nous ne pourrons pas parler ! Ce n’est pas sérieux !
M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, j’ai constaté tout à l’heure que l’un de vos orateurs avait dépassé son temps de parole de quatre minutes ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Non !
M. Marcel-Pierre Cléach. Il convenait, à mes yeux, de laisser du temps au temps.
Un sénateur du groupe socialiste. Vous citez le Président Mitterrand, c’est bien !
M. Marcel-Pierre Cléach. Que penseront de nos querelles les arrière-petits-enfants des anciens d’Algérie ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Monsieur le président, veuillez demander à l’orateur de conclure.
M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, je vous demande de m’écouter pendant encore une minute. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure.
M. Marcel-Pierre Cléach. Je conclus, monsieur le président.
Je ne prétends pas que les uns aient raison et les autres tort.
Tous ne donnent pas au 19 mars la même signification : pour les uns, il rappelle le retour en métropole, à la maison ; pour les autres, notamment pour nos compatriotes d’Algérie, pour les familles des harkis massacrés et celles des disparus, il est un jour de deuil, de grande tristesse, que nous devons respecter.
Le respect que nous devons à ceux-là et à ceux qui sont morts en faisant leur devoir devrait nous conduire à rechercher l’apaisement des conflits et des passions.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Monsieur le président, cela n’est plus possible !
M. Jean-Marc Todeschini. M. Carle ne parlera plus : il lui restera deux minutes !
M. René Garrec. Nous vous rendrons vos minutes tout à l’heure !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Marcel-Pierre Cléach. Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UMP ne voteront pas cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir adopté une position de rassemblement, comme vos prédécesseurs, en appelant le Sénat à un vote de sagesse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Marc Todeschini. M. Carle ne disposera plus que d’une minute !
 
   

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans après la signature des accords d’Évian, il est temps pour la France de regarder son histoire en face et de permettre un travail de mémoire rigoureux et serein.
L’instauration d’une journée de souvenir du conflit et de ses victimes répond à ce souci de clarification et d’apaisement. Cette journée nationale permettra aussi de tirer les enseignements du passé.
Cet acte de mémoire, nous le devons surtout aux générations futures. Aujourd’hui, les jeunes générations, en France comme en Algérie, manifestent avec force un besoin de paix, de vérité et de justice, victimes qu’elles sont d’une histoire coloniale occultée ici, d’une guerre d’indépendance mythifiée là-bas.

 
 
   
Une telle reconnaissance devrait aussi mettre un terme aux polémiques mémorielles avec l’Algérie et nous permettre de renforcer notre amitié et notre partenariat avec le Maroc et avec la Tunisie.
Cher collègue Néri, le 22 janvier 2002, lors de la discussion de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, vous aviez déclaré ceci : « cette guerre qui fut trop longtemps une guerre sans nom ne doit pas devenir une guerre sans date pour se recueillir et se souvenir ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. Georges Labazée. Quelle date permettrait-elle au monde combattant, aux familles de rapatriés et aux citoyens de toutes générations de communier dans le même souvenir et de préparer l’avenir ?
Le 19 mars, jour de l’application du cessez-le-feu, s’impose à l’évidence comme l’unique date capable de symboliser les conflits d’Afrique du Nord.
Elle s’inscrit par ailleurs dans la tradition républicaine du souvenir, qui fait du jour du cessez-le-feu le jour commémoratif d’un conflit.
Au même titre que les deux conflits mondiaux, la guerre d’Algérie a droit à une journée de mémoire.
La tradition républicaine veut que l’on retienne la date ayant marqué la cessation officielle des combats, à défaut de la fin de la guerre. Le 19 mars n’a certes pas marqué la fin de la guerre, mais il fut le jour du cessez-le-feu : c’est donc cette date qui s’impose.
Le cessez-le-feu faisait suite aux accords d’Évian. Cette décision historique fut approuvée par le référendum du 8 avril 1962, au cours duquel une écrasante majorité se prononça en faveur de la paix et du droit des Algériens à l’autodétermination.
Ainsi, le 19 mars ne signe ni une victoire ni une défaite militaire, mais une démarche politique salutaire et largement approuvée. Voilà pourquoi c’est la date qui a la signification et la légitimité les plus fortes.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Georges Labazée. Le choix du 19 mars est aussi responsable dans la mesure où l’ambition de la présente proposition de loi est de parachever le mouvement de reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
L’objectif est d’encourager la réconciliation nationale et la recherche de la vérité historique dans un but pédagogique, à la lumière des valeurs républicaines et humanistes sur lesquelles repose notre Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, la reprise de nos travaux étant prévue à quinze heures précises cet après-midi, je vais être obligé de suspendre la séance.
 
La suite de l’examen de cette proposition de loi est renvoyée, conformément aux décisions de la conférence des présidents, au mardi 20 novembre, à quatorze heures trente. | lire la suite | 14617
 
Mis en ligne le 28 octobre 2012 - 14h18 CET