La guerre d'Algérie s'est-elle terminée le 19 mars 1962 ?

     

Loin de clore définitivement le conflit, les accords d'Evian de 1962 ont été suivis d'une vague de terreur contre les Français d'Algérie et les musulmans fidèles à la France.

 

     Au début de chaque année, le ministère de la Culture et de la Communication publie un fascicule recensant les commémorations nationales prévues pour les douze mois à venir, chaque anniversaire étant présenté par un spécialiste. En vue de l’édition 2012, Guy Pervillé, professeur à l’Université de Toulouse - Le Mirail et historien reconnu de la guerre d’Algérie, avait été prié de fournir un article sur la période située entre la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, et l’accession de l’Algérie à l’indépendance, le 3 juillet 1962.

 
 
     
 

Mais dans la brochure publiée, de longs passages de cette note consacrée à la fin de la guerre d’Algérie ont été coupés, notamment ceux qui exposaient les actes de violence  qui se sont déroulés sur le sol algérien après les accords d’Evian. Sur son site, Guy Pervillé s’interroge : « Pourquoi cet acte de censure ? » (1)

     Le conflit algérien a-t-il pris fin avec les accords d’Evian ? Politiquement, du côté français, peut-être. Mais l’historien est obligé de constater que le cessez-le-feu proclamé le 19 mars 1962 n’a en rien entravé la terreur qui s’est dès lors déchaînée contre les Français d’Algérie et les musulmans attachés à la France.

     C’est en juin 1960 que commencent les négociations avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), émanation  du mouvement indépendantiste qui a engagé la lutte armée, en 1954, contre la souveraineté française en Algérie. En janvier 1961, par référendum, 79 % des Français approuvent le droit à l’autodétermination des départements algériens. Ni le putsch des généraux, en avril 1961, ni l’apparition de l’OAS, dans les semaines qui suivent, ne ralentissent le processus qui aboutit, le 18 mars 1962, aux accords signés à Evian entre le gouvernement français et le GPRA.

     Ces accords prévoient la formation d’un Etat algérien au terme d’une période de trois à six mois durant laquelle le territoire restera gouvernépar un exécutif provisoire franco-algérien. Le futur Etat devra garantir les droits de tous les habitants de l’Algérie, y compris ceux de souche européenne. A l’issue de cette période transitoire, un référendum confirmera l’Etat algérien et ratifiera les accords d’Evian. Aux termes de la convention signée le 18 mars, un cessez-le-feu entrera en vigueur le 19 mars à midi.

     Le GPRA, cependant, n’est pas reconnupar tous les acteurs de l’indépendance algérienne. Ni Ahmed Ben Bella, pionnier du FLN et prisonnier en France depuis 1956, ni le colonel Houari Boumediene, chef de l’ALN basée en Tunisie et au Maroc, n’ont été associés aux négociations. Ne se sentant pas liés par les accords d’Evian, ceux-ci, se dressant contre le GPRA, vont continuer la guerre à leur manière.

     Le 26 mars, une manifestation de pieds-noirs, interdite mais pacifique et désarmée, est mitraillée par la troupe française, rue d’Isly, à Alger : le bilan est de 49 morts et de près de 200 blessés. Le 8 avril, un référendum qui se tient uniquement en métropole approuve les accords d’Evian par 90 % des suffrages exprimés. Le 13 avril, l’Exécutif provisoire franco-algérien est installé. Le 20 avril, l’arrestation du général Salan, chef de l’OAS, laisse le champ libre aux éléments les plus radicaux de l’organisation clandestine : ses attentats sont quotidiens. Cette violence, suicidaire et désespérée, n’est toutefois pas la seule.

     A partir du 17 avril 1962, comme le rappelle Guy Pervillé, le FLN déclenche une vague d’enlèvements contre la population française dans les agglomérations d’Alger et d’Oran, mais aussi dans le bled. On recensera (chiffre officiel) 3093 personnes enlevées ou arbitrairement arrêtées. Toutes ne seront pas libérées. Le drame occulté des disparus civils européens de la guerre d’Algérie vient de faire l’objet d’une étude scientifique de la part de Jean-Jacques Jordi. Cet historien évalue à 1630 le nombre de victimes jamais retrouvées, dont 1300 entre le cessez-le-feu du 19 mars et la fin de l’année 1962. Mais ce qu’établit principalement Jordi, c’est d’une part que le FLN et son bras armé, l’ALN, ont été les responsables de ces « disparitions » dont le but était de faire partir les Français d’Algérie, et d’autre part que les dirigeants indépendantistes n’ont à aucun moment désavoué ces pratiques, de même que le gouvernement français, qui était au courant des exactions, n’est jamais intervenu autrement quep ar des protestations diplomatiques, alors que l’armée avait encore la faculté d’agir en Algérie (2).

     Le 14 mai, la Zone autonome d’Alger du FLN rompt ouvertement le cessez-le-feu en provoquant une série d’attentats. Tout en demandant au GPRA de désavouer ceux-ci, le président de la République, le général de Gaulle, cédant à la pression des événements, accepte que la date du référendum algérien soit avancée au 1er juillet, proposition de l’Exécutif provisoire où les Français sont minoritaires.

     Depuis le mois de mars, selon la formule tristement célèbre, les pieds-noirs ont le choix entre la valise ou le cercueil. Pendant que les villes s’embrasent dans une folle et ultime bataille entre l’OAS et le FLN, ils embarquent par centaines de milliers – 700 000 en quatre mois – abandonnant tout derrière eux.

     Parallèlement, un autre drame s’amorce : celui des 150 000 supplétifs musulmans de l’armée française, soldats qui ont cru en la parole de la France. Dès le 19 mars, ils sont désarmés, leurs unités sont dissoutes. Pour le FLN, les harkis sont des traîtres. Les menaces et les agressions à leur encontre commencent alors. Par des filières discrètes, certains officiers font passer leurs hommes en métropole. Le 12 mai, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, ordonne de les renvoyer en Algérie. Le même jour, le ministre des Armées, Pierre Messmer, commande une enquête sur les départs clandestins de harkis, réclamant des sanctions pour les officiers qui les ont organisés.

     Le 1er juillet, le référendum algérien – où les pieds-noirs n’ont pas le droit de vote – ratifie les accords d’Evian par 99 % des suffrages exprimés. Le 3 juillet, la France reconnaît l’indépendance du territoire.
Le 5 juillet 1962, premier jour de la République algérienne, à Oran, la fête tourne à la chasse aux Européens. Un massacre, commis sous l’œil des forces françaises qui ont reçu l’ordre de ne pas bouger, fait 700 victimes, dont la moitié des corps n’ont pas été récupérés. Guillaume Zeller, journaliste et spécialiste de la guerre d’Algérie, dans une enquête sur cette tragédie oubliée, souligne que « le massacre du 5 juillet remet en cause le dogme du 19 mars selon lequel la paix serait revenue en Algérie après les accords d’Evian » (3).

     Quant aux harkis, c’est au lendemain de la proclamation de l’indépendance qu’ils sont systématiquement liquidés, ou emprisonnés. Selon Maurice Faivre, de 60 000 à 80 000 Français musulmans ont été tués ou ont disparu en Algérie entre 1962 et 1966 (4).

     « Les accords d’Evian, conclut Guy Pervillé, voulus par le gouvernement français comme la "solution du bon sens", se révélèrent donc une utopie qui échoua à ramener une vraie paix en Algérie. » Commémorer la fin de la guerre d’Algérie, c’est aussi raconter l’histoire de cette tragédie.

Jean Sévillia

1)     http:///guy.perville.free.fr
2)     Jean-Jacques Jordi, Un silence d’Etat. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Editions Soteca.
3)     Guillaume Zeller, Oran, 5 juillet 1962, un massacre oublié, Tallandier.
4)     Harkis, soldats abandonnés, témoignages, préface de Pierre Schoendoerffer et introduction du général Maurice Faivre, XO éditions.


Source : Le Figaro Histoire, n° 1 - 30/05/2012