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Lettre de Hubert Falco au Président de la FNACA Wladyslas MAREK
Paris le 5 mars 2010
Monsieur le Président,
Par lettres au Président de la République, au Premier ministre et à moi-même, puis par voie de presse, vous vous êtes « élevé avec force » contre l'annonce que j'ai faite le 5 décembre dernier de procéder à l'inscription, sur demande, des noms des victimes civiles françaises innocentes de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie, sur la colonne centrale du monument du quai Branly, en commençant par celles de la tragédie de la rue d'Isly à Alger, le 26 mars 1 962.
Le ton de vos écrits est particulièrement vif, puisque vous parlez « d'insulte à l'Armée française », de « morts pour l'OAS », de « révisionnisme », de « forfaiture ». Propos qui, s'ils étaient venus d'un autre que vous, feraient songer, en l'occurrence, à la formule de Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ».
J'observe tout d'abord que vous manifestez pour le monument du quai Branly et les Morts pour la France qui y sont inscrits un intérêt que je salue, mais que l'absence de votre fédération aux manifestions officielles qui se déroulent devant ce monument tous les 5 décembre, journée d'hommage aux morts, au profit d'un rassemblement sous l'arc de triomphe les 19 mars, ne laissait pas supposer a priori.
Sur le fond, de quoi s'agit-il ?
Il s'agit simplement, à droit constant, c'est-à-dire sans créer vis-à-vis de quiconque des droits nouveaux ni d'en retirer à personne, d'améliorer l'exercice du devoir de mémoire par les familles des victimes civiles de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie et de mieux les associer à la commémoration de ces événements tragiques de notre Histoire nationale. C'est bien la vocation de l'Etat et du secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, de tous les temps, de prêter attention aux anciens combattants et aux victimes de guerre et certainement pas d'opposer les uns aux autres.
Votre argumentation repose sur 2 postulats :
- Le Mémorial du quai Branly exclurait les civils en général, s'agissant des victimes de la tragédie de la rue d'Isly, à Alger, du 26 mars 1962, celles-ci seraient indignes de figurer sur le monument.
Sur le premier point. Si le Mémorial est effectivement dédicacé à la mémoire des combattants Morts pour la France et des supplétifs tués après le cessez-le-feu, il est faux de dire qu'il exclut les civils.
Sur le plan du droit : aucun texte réglementaire ne régit le Mémorial du quai Branly. En revanche, c'est ce lieu que l'Etat a choisi pour rendre hommage aux Morts pour la France, dès son inauguration, le 5 décembre 2002, par le Président de la République.
Or, la cérémonie du 5 décembre, elle, est régie par des textes très clairs : le décret du 26 septembre 2003 instituant la journée nationale d'hommage aux Morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les Combats du Maroc et de la Tunisie, et la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. L'article 2 de cette loi associe les victimes civiles à cet hommage.
Une plaque, apposée à côté de la colonne bleue du Mémorial le rappelle, en reprenant le texte de la loi.
Donc, depuis 5 ans et par la volonté du législateur, les victimes civiles sont pleinement associées en droit à l'hommage rendu aux Morts pour la France. Par ailleurs, les textes précités prévoient l'hommage aux Morts pour la France, qu'ils soient civils ou militaires. Ainsi, sur un échantillon de 8 000 noms inscrits sur les colonnes bleue et rouge du Monument, la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) a pu recenser 120 civils Morts pour la France.
La décision que j'ai prise consiste simplement à ce que les noms des victimes civiles françaises innocentes puissent être affichés sur le monument, au lieu de faire l'objet d'une seule mention collective sur la plaque précitée.
La pleine association des victimes civiles à l'hommage rendu sur le Mémorial n'est en aucun cas la confusion entre Morts pour la France et victimes civiles. C'est pourquoi les noms des victimes civiles seront inscrits sur la colonne blanche du monument, les colonnes bleue et rouge restant, comme aujourd'hui dédiées aux Morts pour la France, militaires et civils. La dédicace du Mémorial, qui défile sur la colonne blanche, sera complétée en ce sens.
L'inscription des noms des victimes civiles françaises innocentes de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie sur la colonne blanche ne porte en aucune manière atteinte à l'hommage rendu aux Morts pour la France qui n'est pas affecté.
J'ajoute que la colonne blanche accueillera donc, sur demande des familles ou d'associations représentatives, les noms de victimes civiles françaises, quelle que soit la partie au conflit responsable de leur mort, dès lors que l'instruction qui sera menée par mes services montrera qu'il s'agit bien de victimes innocentes, c'est-à-dire de personnes qui n'étaient pas des activistes, ni du FLN, ni de l'OAS.
Dans ce cadre, la première liste de noms qui sera inscrite concerne des victimes de la tragédie de la rue d'Isly à Alger, le 26 mars 1962, conformément à une demande répétée et ancienne des associations représentatives. D'autres demandes me parviennent, depuis le 5 décembre qui viendront progressivement compléter la liste des victimes civiles.
Et j'en viens à votre deuxième argument, qui consiste à rejeter du monument pour indignité les victimes de la rue d'Isly. Je ne peux le recevoir.
Chacun connaît le déroulement de cette journée tragique. Il ne fait pas de doute que les algérois qui manifestaient ont été manipulés par l'OAS dans le contexte très particulier du moment.
Mais nous n'avons pas trouvé, parmi les 49 victimes dont les noms seront inscrits, dont des femmes, des enfants et des vieillards, d'activistes de l'OAS. Les traiter de « morts pour l'OAS » est profondément injuste et méprisant à leur égard.
Ce sont tout simplement des personnes qui manifestaient selon leurs convictions et qui se sont trouvées prises dans le drame d'une manifestation interdite, qui tourne à la tragédie.
48 ans après ces événements, il apparaît au contraire utile au travail de mémoire, et de réconciliation des mémoires, d'écrire les noms des victimes civiles aux côtés de nos Morts pour la France, sans mélange ni confusion, mais afin de parfaire la vocation du Mémorial et de répondre pleinement à l'intention du législateur.
Je vous invite donc à bien prendre la mesure de cette affaire, qui ne me semble en aucune manière justifier une opposition pour les motifs évoqués, mais bien plutôt de préparer ensemble, dès à présent, dans un esprit de concorde et de générosité envers tous nos compatriotes, le grand rendez-vous mémoriel de 2012, pour le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d'Algérie.
Hubert FALCO