| Accueil | | Thèma | | Retour pages 19 mars 1962 |
           
 
 

 

   
   
Le 30 avril 2009 , Un fils de Rapatriés d'Algérie écrivait à Sarkozy après la tentative de la FNACA d'introduire sa propagande dans un collège.
Deux mois après un employé un fonctionnaire répond à l'attachante lettre de notre compatriote.
   
 

 

   Monsieur le Président de la République,

Je suis ce que l'on appelle un anonyme.
Je vous adresse ce courrier en ma qualité de citoyen et au nom de nombre de mes compatriotes qui, j'en ai reçu l'assurance, me soutiennent dans cette démarche auprès de vous.
    Je souhaite dans un premier temps vous informer de l'origine de cette espérance et de cette confiance qui m'encouragent à vous écrire pour porter la voix de tous ces silencieux.
     J'ai dit «Non », il y a de cela 3 mois, à l'intervention de la FNACA dans le collège où j'enseigne, car cette association d'Anciens combattants venait présenter la date du 19 mars, au travers de son exposition, comme la fin de la Guerre d'Algérie, au mépris des souffrances endurées par les habitants de cette terre française d'Algérie dans les mois qui suivirent. J'ai considéré que cette intrusion était contraire à la loi qui fixe la fin des opérations militaires au 2 juillet 1962 et contrevenait au décret de 1985 sur la neutralité et le pluralisme dans les établissements scolaires. Après avoir vainement tenté de convaincre mon chef d'établissement d'un nécessaire débat contradictoire, j'ai lancé un appel à l'aide auprès des communautés de Pieds Noirs et de Harkis, ainsi que dans le monde des Anciens combattants, mettant de la sorte en danger, j'en étais conscient et je l'assumais, ma carrière au sein de l'Education Nationale, alors même que ma mission d'enseignant représente toute ma vie. Mais il est des situations où l'on doit s'oublier soi-même au profit du bien collectif. Ce véritable appel au secours a bénéficié d'un écho qui a dépassé toutes mes espérances, car le raz-de-marée de protestations fut considérable et provoqua l'annulation de cette intervention programmée. Cela prouvait que ma communauté était capable de s'unir lorsque la situation l'exigeait. Je n'imaginais pas que des milliers de courriers indignés puissent être envoyés dans mon établissement, tant par les présidents de nos plus importantes associations que par une foule de particuliers.
     Pourquoi une telle mobilisation ? Je crois que la réponse est bien simple. Je ne suis qu'un enfant de Pieds Noirs, né en 1964 en métropole, et cela m'a valu sans doute l'affection et l'estime du monde rapatrié car je reprenais, en quelque sorte, le flambeau dans cet indispensable travail de mémoire. 

 

Paris le 1er juillet 2009

Le Président de la République a bien reçu votre lettre.

Monsieur Nicolas SARKOZY m'a chargé de vous en remercier et de vous assurer qu'il porte une particulière attention à la Mémoire de ses compatriotes rapatriés d'Afrique du Nord ainsi qu'à leur situation morale et matérielle. Le Chef de l'Etat a clairement exprimé son attachement à tenir les engagements pris, notamment auprès des rapatriés d'Algérie.
Vous avez voulu lui faire part de votre préoccupation quant à la commémoration par différentes associations, du 19 mars 1962, date du cessez-le feu intervenu en Algérie après la signature des accords d'Evian.
Il est vrai que les drames que vous évoquez figurent parmi les pages les plus sombres de la guerre d'Algérie et de la brève période qui a suivi l'indépendance. Aussi la France se doit-elle de rendre à leurs victimes innocentes l'hommage qui leur est dû. Nous le devons à tous ceux qui ont été privés d'un proche, d'un frère, d'une soeur, d'une mère, d'un enfant dont ils n'ont pas pu faire le deuil.
A cet égard, je tiens à vous préciser que l'article 3 de la loi du 23 février 2005 prévoit de célébrer une «journée d'hommages aux Morts pour la France de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie » chaque 5 décembre. Cette date seule, à l'exclusion de toute autre, correspond à l'hommage officiel de la Nation, qui est rendu chaque année dans l'ensemble des départements et collectivités d'outre mer. Cette journée, le Président de la République l'a d'ailleurs célébrée à vos côtés, le 5 décembre 2007, en recevant les associations de rapatriés et d'anciens combattants.
Toutefois, certaines associations prennent l'initiative d'organiser des manifestations publiques correspondant à des anniversaires d'événements qu'elles jugent dignes de commémoration. Parmi ces dates figure le 19 mars. La Constitution impose de laisser s'exprimer ces sensibilités différentes et il entre dans les attributions des préfets de veiller au déroulement dans de bonnes conditions d'ordre et de sécurité des manifestations publiques, quel que soit leur objet.
Je vous prie d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

 
Mon investissement, vous vous en doutez certainement, est lié à l'histoire dramatique de ma famille, à Oran, notamment le 5 juillet, et dont je tairai pour l'instant les tragiques détails.
   Il est temps, Monsieur le Président, d'entendre la souffrance de vos compatriotes rapatriés, souffrance qui dure depuis quasiment un demi-siècle. Nous avons eu foi en vos promesses de candidat présidentiable et nous nous sentons aujourd'hui abandonnés.
    Vos préfets se rendent aux cérémonies du 19 mars alors que vous vous étiez engagé à ne pas en faire une date officielle. La stèle de Marignane a été démantelée, en pleine nuit, à l'heure des lâches. Celle de Béziers est menacée et pire encore notre Mur des Disparus à Perpignan risque de subir le même sort. Nous sommes profondément désespérés face à un Etat qui laisse profaner des monuments aux morts, des monuments à la mémoire de ceux qui n'ont aucune sépulture.
    Monsieur Elie Aboud, député de l'Hérault, vous a alerté sur la colère sourde qui grondait dans le monde rapatrié. Je vous le confirme. La démission récente de 13 membres du Haut Conseil des Rapatriés est en ce sens réellement significative.
    Monsieur le Président, nous sommes des citoyens particulièrement respectueux des lois, nous ne cassons pas, nous ne faisons pas de vagues et, donc, vous ne nous entendez sans doute pas. Et pourtant... si vous étiez à l'écoute... vous entendriez ces cris de douleur silencieux... Ceux de tous vos compatriotes qui attendent enfin une reconnaissance par l'Etat de leurs souffrances. Non pas dans une optique financière mais simplement morale.
    Monsieur le Président, j'ai vu mes grands-parents souffrir, je vois mes parents souffrir. Comme c'est le cas dans de nombreuses familles. Ne pensez-vous pas que cela n'a que trop duré ? Comment pouvez-vous ainsi ignorer, en votre qualité de Chef de l'Etat, ceux qui ont tant donné à la France ? Ceux qui, en dépit des affronts en cascade, continuent à l'aimer passionnément. Ceux qui, bien qu'ils pourraient avoir des raisons de le faire, ne siffleront jamais La Marseillaise dans un stade...
    Monsieur le Président, nous sommes les oubliés, les parias, les bannis de l'Histoire de France. Nous sommes passés du statut de victimes à celui de bourreaux, à cause d'une incroyable et haineuse campagne de désinformation et parce qu'aucun gouvernement n'a jamais voulu reconnaître sa responsabilité dans notre drame, un drame qui s'inscrit dans le déni. Serez-vous le Président qui osera regarder cette page de l'Histoire en face et rendre leur dignité à ceux qui durant 4 ou 5 générations ont tout donné à la Mère Patrie ? Serez-vous celui qui au crépuscule de leur vie pansera les blessures de ses compatriotes ?
     Nous ne demandons qu'une chose, pouvoir enfin relever la tête, parce que le seul « crime » de ma communauté c'est d'avoir aimé son pays et de l'avoir servi, et souvent jusqu'au don de sa vie dans les conflits du XXème siècle. Je vous demande de le reconnaître officiellement.  Ouvrez enfin les archives afin que, notamment, les familles aient une chance de savoir ce qu'il est advenu des êtres chers portés disparus le 5 juillet 1962 à Oran ou de ceux assassinés le 26 mars rue d'Isly à Alger . Rendez-nous Justice ! Vos compatriotes n'ont-ils donc pas assez souffert ? N'ont-ils pas assez payé les erreurs d'une politique dont ils n'étaient en rien responsables ? N'ont-ils donc pas le droit de partir en paix ? Eux les trahis de l'Histoire...
    J'ai, depuis quelques mois, recueilli des centaines de témoignages, tout aussi bouleversants les uns que les autres. Des drames humains, des blessures qui n'en finissent pas de saigner parce que vos prédécesseurs n'ont pas apporté le baume de la reconnaissance de la Nation. Soyez celui qui franchira ce pas car, en tout état de cause, l'Histoire devra le faire un jour, mais sans doute trop tard pour ma communauté vieillissante. Devancez cette marche inéluctable ! Que la justice apaise enfin notre souffrance.
     Monsieur le Président, acceptez de recevoir une délégation de ma communauté, écoutez-nous et, qui sait, peut-être nous comprendrez-vous. Oui, peut-être comprendrez-vous que 47 ans d'une souffrance quotidienne méritent qu'on s'y penche, surtout lorsque l'Etat a le pouvoir de panser ces blessures et d'en atténuer la douleur. Oui, Monsieur le Président, vous pouvez prendre la décision qui nous rendra notre dignité, vous pouvez mettre un terme à ce mal qui nous ronge. Entendez nos plaintes, ne nous abandonnez pas, nous qui avons si chèrement payé notre dévouement à la France.
   Soyez assuré, Monsieur le Président, de mon attachement indéfectible aux valeurs de notre République.
L.V.D. - 30 avril 2009 -