Dépôt de gerbes au
Mémorial des rapatriés, square Charles Mirabello
Comme chaque année, l'évènement
dramatique de la fusillade de la rue d'Isly et de la Grande Poste à
Alger du 26 mars 1962 est commémorée partout en France par notre
communauté.
Hier soir le Président de l'Association Souvenir du 26 mars 1962 a
ravivé la flamme sous l'Arc de Triomphe : quel symbole !
Revivons ce jour tragique.
Les accords d'Evian, censés redonner la paix à l'Algérie
meurtrie depuis 7 ans, sont signés depuis à peine 8 jours qu'ils
sont déjà violés..
Le cessez-le-feu, le 19 mars par l'Armée Française a été
compris comme un appel au meurtre par les bandes FLN, plus ou moins incontrôlées
et même opposées les unes aux autres, mais promptes à
s'engouffrer dans le vide et l'anarchie créés par le retrait
de l'Armée, surtout dans le bled contre les partisans de la France,
Harkis en particulier.
A Alger, les importantes forces de l'ordre, renforcées pour lutter
contre l'OAS, sont déjà en relation avec le FLN depuis plusieurs
mois : Elles font désormais de celui-ci un partenaire pour mâter
la population européenne, hostile à ces accords bâclés,
véritable capitulation politique annonciatrice d'un abandon total.
Depuis le 23, l'Armée a bouclé hermétiquement le quartier
populaire de Bab-el-Oued pour y rechercher des commandos OAS, en vain d'ailleurs.
C'est une opération de guerre, sous le mitraillage des avions et les
tirs des blindés.
La fouille est brutale : la population vit tous volets fermés, les
magasins et les appartements sont mis à sac, les décorations
piétinées, les hommes et adolescents emmenés pour interrogatoire
: le quartier est dévasté et la population écrasée.
Dans la matinée du 26, un mot d'ordre se propage : grève générale
après-midi et rassemblement place de la Poste à 14 heures pour
former un cortège pacifique avec drapeaux, qui marchera vers Bab-el-Oued
en silence, pour manifester la solidarité de toute la ville avec les
malheureuses familles captives.
La population adhère immédiatement malgré l'interdiction
de la manifestation par le Préfet, et tout se ferme dans la ville à
partir de midi, magasins, administration, cafés.
Bien avant 14 heures des groupes d'hommes, de femmes, d'enfants, en famille,
se dirigent vers le centre avec des drapeaux : ils sont filtrés par
de forts barrages de CRS, gendarmes mobiles, visages durs, qui laissent passer
mais pas revenir : on ne sort de la nasse que par la rue d'Isly, à
peine barrée par un mince cordon de tirailleurs.
Vite formé Place de la Poste, le cortège s'ébranle vers
cette issue, les tirailleurs se replient après quelques discutions
et se placent rue d'Isly et face à la Poste mitraillette et fusil-mitrailleur
à la hanche, chargés.
Le cortège poursuit son chemin, drapeaux en avant dans un silence impressionnant
: on entend que le piétinement de la foule.
La tête est déjà loin, au-delà de la Place Bugeaud,
quand, d'un coup, sans avertissement, les soldats ouvrent le feu place de
la Poste, à bout portant, à 14 heures 50 : le vacarme éclate
assourdissant, infernale.
Les gens se couchent ou courent vers le moindre abri, une façade, une
encoignure, un caniveau, les rafales atteignent inexorablement, des mares
de sang se forment partout, les plaintes et les cris sont couverts par les
détonations ; des blessés seront achevés, des sauveteurs
tués.
J'étais moi-même au pied de la Poste, blessé par deux
balles, douze minutes de feu, 80 morts et 200 blessés annoncés,
les victimes seront enterrées de nuit, à la sauvette, bénies
par un seul prêtre pour toutes les religions.
Après cette tuerie exécutée par notre Armée, Bab-el-Oued
sera débloqué le 29 seulement, nous attendrons vainement un
geste, un mot de réconfort d'une quelconque autorité, les soldats
recevront de témoignages de satisfaction : c'était sans doute
" la solution la plus française " promise par M. de Gaulle.
Ce fut ensuite l'exode spontané et massif des français d'Algérie,
en même temps que le massacre des Harkis désarmés et abandonnés,
avant ceux organisés à Oran le 5 juillet, à Bône
et ailleurs, devant notre Armée l'arme au pied.
Les médias ont abondamment développé et illustré
cette fin tragique et lamentable de notre Algérie française
et nous espérions une prise de conscience nationale.
Las ! L'année de l'Algérie en France conçue pour la gloire
de nos égorgeurs et porteurs de valises, continue de travestir l'histoire
que nous avons vécue dans notre chair et dont nous pouvons être
fiers : avec nous, c'était en permanence l'année de la France
en Algérie, mais la France veut l'ignorer.
" C'est grand, c'est beau, c'est généreux la France ! "
disait M. de Gaulle.
Mais 40 ans après, nous dérangeons encore et surtout nos morts.
Qu'ils reposent dans notre souvenir et la paix de Dieu!
Jean Louis Siben