Pierre Laffont Brusquement, au matin du 5juillet 1962 , vers 11 heures, des coups de feu éclatent à Oran: la chasse à l'Européen commence.  
 
         
   

Né le 12.03.1913 à Marseille (Bouches-du-Rhône) décédé le 17/03/1993


Pierre laffont, représentant de la quatrième génération d'une même famille, dirigea L'Echo d'Oran de 1945 à 1963, un journal fondé en 1844,par un son aïeul, un déporté politique. Directeur général de L'Echo d'Oran (1945-1963), Président du Syndicat des quotidiens d'Algérie (1961), Commissaire général de la Foire d'Oran (1954-1961), élu député d'Oran-campagne (30 novembre 1958), démissionnaire de son mandat (mai 1961)
Accaparé par le référendum et les législatives qui mettront la Ve République sur les rails, de Gaulle cherche à gagner du temps. Il a beau déclarer le 29 avril 1959 à Pierre Laffont, directeur de L'Echo d'Oran : " L'Algérie de papa est morte " (l'entretien a un énorme retentissement), les partisans de l'Algérie française espèrent encore. Ils saluent comme un présage favorable le plan de développement économique et social dit "plan de Constantine", annoncé par de Gaulle le 3 octobre 1958 lors d'un troisième voyage en Algérie. Consacrer autant d'argent aux départements français d'outre-Méditerranée pour les abandonner aussitôt ? Impensable...

 

Jour de l'Indépendance de l'Algérie - Dimanche 1 er juillet 1962 -

Je suis inscrit dans un petit village à quinze kilomètres d'Oran, Misserghin, où nous avons une propriété. En cette journée de référendum, nous voici donc de bonne heure sur la route, mon beau-frère et moi. D'habitude si fréquentée, cette route est aujourd'hui déserte. A Misserghin, un barrage interdit l'entrée du village. Les militaires FLN, en tenue, le gardent. Nous avançons prudemment « On ne passe pas! C'est interdit. - Mais nous venons voter !» Ces paroles jettent le plus grand trouble. Finalement on soulève la barrière et nous arrivons sur la place de la mairie, envahie de burnous blancs: pas un seul Européen.
Environ deux cents Musulmans font la queue pour voter. Nous nous mettons à la suite, attendant notre tour. Nous n'y sommes pas depuis une minute qu'un délégué du FLN vient nous chercher pour nous faire passer devant tous les autres. Colonialisme pas (encore) mort.
...Nous appréhendons le retour en ville... mais nous retrouvons Oran très calme. Dans les quartiers européens il n'y a pratiquement personne. Chacun attend derrière ses volets de voir ce, qui se passe. Vers midi, devant le calme, les Français commenceront à sortir, mais ils hésiteront encore à aller voter.
- Jeudi 5 juillet
- Les premiers jours de l'Algérie algérienne sont des jours de fête. Chacun, Européen et Musulman, savoure la paix retrouvée. Peu à peu les Français reprennent confiance. Le spectre de l'affrontement des communautés s'éloigne. La fête officielle de l'Indépendance est fixée au 5 juillet. Pendant cinq jours, désoeuvrés, les gens boivent, s'excitent. Brusquement, au matin du 5, vers 11 heures, des coups de feu éclatent à Oran: la chasse à l'Européen commence. Dans toutes les rues du centre-ville, hommes, femmes, enfants sont tués ou enlevés. Situé près de la mairie, l'immeuble de notre journal sert de refuge aux Européens. Dans le hall aux lourdes colonnes, la foule est affolée et pleure. La terreur dure jusqu'à 17 heures, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'armée française -à la demande des dirigeants du FLN - sorte des casernes. Quant aux « gendarmes rouges » et CRS, dont la vue seule suffisait à mettre en transe les Oranais, ils passent en quelques instants de l'état de bourreaux à celui de sauveurs.