Intervention de Thierry Rolando président national du Cercle Algérianiste
au 32è congrès de cette association de Rapatriés d'Algérie

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Intervention de Monsieur Thierry ROLANDO
Président du Cercle Algérianiste :

Ainsi, mes chers amis, le principe semble désormais acquis, l’idée retenue, la France signera, dans les prochains jours, dans les prochaines semaines, à l’initiative du Président de la République, un traité d’amitié avec l’Algérie.

Cette annonce, nous le savons tous, a provoqué chez nombre de nos compatriotes, de vives interrogations ainsi qu’une légitime émotion liées non pas tant au principe même de la signature d’un tel traité mais plutôt aux contours qui pourraient être le sien tant en effet l’opacité et le mystère qui ont été entretenus autour de ceux-ci sont grands et ont donc avivé les craintes.

Et cette crainte, que n’est pas apaisée du tout aujourd'hui, loin s’en faut, en l’absence d'ailleurs de toute parole officielle, les échos de la presse tant française qu’algérienne en sont la seule traduction, porte un nom qui résonne pour nous sinistrement vous le savez : c'est la repentance unilatérale.

 
Alors force est de reconnaître mes chers amis, en effet, qu’en dépit des dénégations affirmées en haut lieu et des propos rassurants, j'ai assisté récemment à une réunion au Quai d'Orsay, sur le fait que la repentance ne saurait être la pierre de soutènement du futur traité, malheureusement la jurisprudence récente ne plaide pas, un tant soit peu, en faveur de cette thèse, et fait que notre scepticisme est loin d’être infondé.

Parce que on peut en juger sur les évènements des derniers mois :

A Sétif, il y a quelques mois, la France, par la voix de son ambassadeur en Algérie, a reconnu la tragédie inexcusable qui s’y est déroulée en 1945, en omettant de souligner le fait générateur de ces dramatiques évènements, à savoir le massacre de plus d’une centaine de nos compatriotes.

L’Algérie d'ailleurs ne s’y est pas trompée, qui a bien cru percevoir dans cet acte, et je reprends les termes : « les frémissements des prémices d’une courageuse reconnaissance par l’Etat Français des atrocités commises en Algérie ».

A Madagascar, quelques semaines plus tard, le Président de la République dénonçait, quant à lui, le caractère inique des répressions engendrées par « les dérives du système colonial », repentance a minima reconnaissaient les observateurs, mais repentance tout de même.

Et puis, comment oublier le lourd silence du chef de l’Etat face aux outrances, aux insultes, aux dérapages renouvelés du Président Algérien BOUTEFLIKA plaçant chaque jour davantage la barre de la provocation toujours plus haute jusqu’à atteindre le sommet de l’ignominie avec son inacceptable comparaison entre la présence française en Algérie et l’occupation nazie.

La seule réponse officielle fut celle de Monsieur MUSELIER, que l'on pourrait qualifier de « Régional de l'étape » déclarant, à Alger, que « chacun s’exprime comme il croit devoir s’exprimer ».

Enfin, il est permis de s’interroger sur la réelle volonté du Chef de l’Etat de défendre la loi portant reconnaissance de la Nation en faveur des français rapatriés du 23 février 2005 dont l’abrogation a été exigée, certes par le groupe socialiste, nous en avons parlé, mais aussi vous le savez, au mépris de toutes les règles de non ingérence dans les affaires d’un autre Etat par ce même BOUTEFLIKA.

Cette exigence n’a en effet, rencontré jusqu’alors que la réponse rassurante, par pour nous mais pour Monsieur BOUTEFLIKA, de Monsieur DOUSTE-BLAZY annonçant la création d’une Commission Mixte d'universitaires franco-algériens chargée sans doute, en quelque sorte, de dire la vérité.

Quant au Ministre de l’Education Monsieur de ROBIEN, il s’est contenté de déclarer, il y a quelques jours sur Canal +, que cette loi ne changerait rien pour les manuels scolaires.

C’est bien ce que l’on appelle un faisceau d’indices concordants qui nous porte à penser que le risque existe vraiment.

A cela, nous répondons très simplement que la repentance française, qu’elle soit d'ailleurs unilatérale ou non, ne peut être à notre sens le prélude nécessaire à une véritable amitié avec l’Algérie, qui conditionnerait éventuellement d'ailleurs celle semblable des autorités algériennes.

En effet, chacun sait que si les mauvaises consciences en France sont légions, et d'ailleurs chaque jour se développent, les mauvaises consciences algériennes se sont rarement exprimées, on peut même se demander s'il y en a quelques unes, et que l’on sache aucune tentative de réévaluation de l’histoire officielle algérienne n’a été engagée du côté d’Alger.

Alors si ces mauvaises consciences continuent de proliférer en France, celles de l’Algérie demeurent bien cachées dans l’opacité des discours du parti unique.

Oui, mes chers amis, l’amitié, comme le veut la formule, ne se décrète pas.

Le chemin de la réconciliation entre la France et l’Algérie, que nous appelons de nos vœux, nous ne sommes pas évidemment contre l'amitié entre les peuples, exige le respect mutuel et que chacun accomplisse sa part de vérité.

C’est à cette condition que la France et l’Algérie pourront signer un traité, et qui sera gage d’une réelle et franche amitié.

Et puis, si nous élargissons le champ de notre réflexion, nous pouvons légitimement nous interroger sur la nature profonde de cette amitié aujourd'hui avec le gouvernement algérien.

Etait-ce celle qui consiste depuis plus de 6 mois de dérapages, d’insultes, et d’outrances, à accabler votre ami en le comparant à un occupant nazi, en le traitant de négationniste et de révisionniste ?

Etait-ce celle qui consiste à réaffirmer, comme l’a récemment fait le Ministre de l’Agriculture Algérien, Monsieur BARKAT, que les enfants de Harkis ne seront les bienvenus en Algérie que lorsqu’ils auront dénoncé les crimes de leurs parents ?

Etait-ce celle, encore, qui consiste à refuser toute réconciliation, je reprends la formule, « avec les traîtres, les harkis et les pieds noirs » comme l’a proclamé le Secrétaire Général du FLN ?

Etait-ce, enfin, celle qui consiste à exiger de la France qu’elle reconnaisse selon les paroles du Président BOUTEFLIKA « qu’elle a tué et exterminé de 1830 à 1962 » en faisant de la repentance unilatérale un préalable à tout acte d’amitié ?

Pour nous cela est clair, l’amitié sur ces bases n’a aucun sens, et les conditions, nous l'avons déjà dit, et nous le réaffirmons aujourd'hui, ne sont à l’évidence pas remplies pour la signature d’un tel traité
Alors, s’il y a quand même traité, puisqu'il y a tout à penser qu'il y aura traité, il est non moins clair que nous serons vigilants et exigeants pour que :

- celui-ci ne laisse pas dans l’ombre le drame vécu et les crimes subis par des dizaines de milliers de nos compatriotes harkis qui n’envisageaient d’autre avenir qu’avec la France en laquelle ils avaient confiance et ont payé un lourd tribut à cette fidélité ;

- ce traité ne rejette pas dans l’oubli l’exode de toute une population livrée à la fureur des nouveaux conquérants et les massacres et enlèvements et disparitions de milliers de nos compatriotes.

Si la France s’engageait dans la voie de cette omission, nul doute bien sûr que cela provoquerait une blessure irréparable pour toute notre communauté déjà meurtrie, et résonnerait pour elle comme une insupportable provocation annihilant tous les efforts entrepris pour reconnaître l’oeuvre qui a été la sienne.

Cela aurait aussi pour signification de trahir la mémoire de tous les anciens combattants qui ont fait leur devoir en Algérie, ont servi la France dans l’honneur et pour beaucoup y ont laissé leur vie.

Si la France doit faire un pas supplémentaire en direction de l’Algérie, elle ne saurait le faire sans ignorer toutes les souffrances et toutes les blessures, et sans associer dans le souvenir tous les drames et toutes les victimes.

Le devoir de mémoire et de vérité exige donc, Monsieur le Président, que la France ne se livre pas à un exercice d'auto flagellation supplémentaire car la vérité historique ne peut reposer, nous l'avons déjà dit, sur une vision hémiplégique de l’histoire.

La France et les Français d’Algérie qui ont fait par milliers le sacrifice de leur vie pour contribuer au développement d’un pays auquel ils étaient charnellement attachés, n’ont pas à rougir, et nous le réaffirmons aujourd'hui, cela a été la ligne directrice de ce que nous avons évoqué ce matin, de l’oeuvre accomplie outre-mer.

C’est la raison pour laquelle, m'adressant au Président de la République très humblement, nous ne pouvons que l'inviter, au moment où il va apposer sa signature dans quelques jours, dans quelques semaines, au bas de ce traité, à s'inspirer de ces quelques mots, de ces quelques phrases que je vous livre :

« Pacification, mise en valeur des territoires, diffusion de l’enseignement, fondation d’une médecine moderne, création d’institutions administratives et juridiques, voilà autant de traces de cette oeuvre incontestable à laquelle la présence française a contribué (...) Traces matérielles, certes, mais aussi apport intellectuel, spirituel, culturel (...) Aussi, après le retour en Métropole de ces Français, il convient de rappeler l’importance et la richesse de l’oeuvre que la France a accomplie là bas et dont elle est fière (...) Les uns et les autres ont mérité les honneurs de la Mémoire ».

Nous sommes convaincus Monsieur le Président de la République que vous ne sauriez les renier puisqu’elles furent prononcées par un certain Jacques CHIRAC le 11 novembre 1996.

Si tel n’était pas le cas, nous n’aurions d’autre ressource, et j’en prends à témoin bien sûr les nombreux présidents présents dans cette salle, que d’exercer le moment venu notre devoir de mémoire.

Merci de votre attention.

32ème Congrès du Cercle Algérianiste Marseille, le 12 novembre 2005