5 juillet 1962 ORAN témoignage de Madame Paulette Leutenegger
 
Fils de fonctionnaires, Yvon, Colonel de l'armée française, avait épousé Gilette, fille d'un colon du village d'Hennaya. Yvon avait vécu la débâcle de 1940. Puis, avec « les américains », en 1942-1945, il participa à la victoire des armées alliées dont faisaient partie les français d'Afrique du nord ; ils avaient pour chef le Général Juin né dans le Constantinois.
Après l'occupation en Allemagne, il fut envoyé en Indochine. Et ce fut I' Algérie... Sept ans de guerre pour en arrivée aux « Accords d' Evian », qui, en principe, devaient donner l'indépendance au pays.
Les supérieurs d'Yvon jugèrent plus prudent de muter ce français d'Algérie en Métropole. II fut affecté en garnison à Paris.
II partit pour la Capitale avec armes et bagages, se femme et ses deux enfants de 15 et 18 ans.
 
 
 
Malgré l'exode, à cette époque, il restait encore beaucoup d' Européens, sans parler des Harkis, en Algérie. Tous n'avaient pas pu quitter le pays, faute de place sur les transports traversant la Méditerranée, ou peut-être parce qu'ils voulaient jouer le jeu de la nouvelle Algérie indépendante.
Au village d'Hennaya, restaient les parents de Gilette. Bien sur, ils étaient connus de tous, très aimés et appréciés dans la région. Mais par ces temps troublés, on ne savait pas trop ce qu'il pouvait arriver ?
Gilette rassura ses parents : « Si il y a des difficultés, vous pourrez toujours aller vous rffing>iez à Oran . Je vous laisse les clefs de mon appartement en ville. Et puis début juillet, vous viendrez nous rejoindre à l'adv. Nous passerons l'été ensemble. »
À Paris, le ménage avait trouvé un appartement de fonction près du Lycée Lacanal, parfait pour la scolarité des enfants. Début juillet, Yvon parvint à retenir 2 places pour ses beaux-parents sur un avion militaire. Ce ne fut pas facile. Donc en ce 5 juillet, depuis 2 jours déjà, Maxime et sa femme, se trouvaient à Oran dans l'appartement familial de leurs enfants. Ils avaient demandé à André, vingt ans, leur neveu, domicilié dans la grande ville, s'il accepterait de les conduire en auto à la Sénia ( aérodrome d' Oran), leur avion partant à 14 heures. Rendez-vous fut pris pour 11 heures du matin. On chargea les bagages. Puis par cette chaude journée de juillet, ils prirent la direction de la Sénia. L'oncle près du chauffeur, la tante à l'arrière.
Dans les rues et boulevards, calme absolu. aucune animation, silence de mort. Ils remontaient le boulevard National pour prendre la route de la Sénia, quand non loin de la grande Synagogue, un cadavre sur le trottoir... Bizarre !!! mais on en avait vu d'autres depuis 7 ans. Plus loin, un autre cadavre. Une patrouille de soldats F L N les arrête. Le Sergent leur demande leurs papiers. Il les interroge : « Où l'ont-ils ? Que font-ils dans la rue ? »
Heureusement, l'oncle Maxime s'exprimait parfaitement en arabe. Sans difficulté, il s'explique : « Nous allons à la Sénia prendre un avion militaire poor rejoindre à Paris nos enfants. Notre gendre y est affecté en tant que Colonel de l'armée française. »
Changement de ton et de regard du sergent musulman. Il se méfie . Sans explication, il fait accrocher un soldat de chaque côté des pare-chocs de l'auto. Lui monte à l'intérieur de la voiture, abandonnant la patrouille à sa soi-disant surveillance des lieux. Direction le commissariat de police faisant face à la « maison du colon » ( syndicat agricole). Là tout le monde descend. En chemin, il avait expliqué : la population musulmane doit se faire justice en exécutant tous les O.A.S. de la ville. C'est pourquoi on tire sur tous les européens qu'on rencontre. Et pour n'oublier personne, on enfonce les portes des appartements et on tire dans le tas !... Au commissariat, Maxime explique qu'ils ne sont pas oranais, mais de Tlemcen. Les policiers peuvent prendre des renseignements sur leur compte etc. ... Palabre.
On les enferme dans une chambre, d'où ils entendent force cris et hurlements. Au bout d'un certain temps Maxime est emmené. Recommandation est faite à la tante et à André de n'ouvrir la fenêtre sous aucun pré-texte. Et toujours ces cris... A l'oncle on dit :
tous les renseignements sur votre compte sont bons ! On a téléphoné ù Tlemcen. Ouf !! » Alors , on le fit descendre dans la cour du commissariat. On lui remit un seau.
On lui montra le robinet d'eau. On lui dit de jeter des bidons d'eau sur tout le sang qui sortait des portes qui entouraient la cour, d'où s'échappaient des cris et des hurlements. La tante dans son cagibi priait. Elle frôla la crise cardiaque. Elle se demandait ce qui avait bien pu arriver à son mari et s'ils pourraient sortir de cet enfer. Au bout de 2 heures, Maxime reparut effondré, à bout de nerfs.
Immédiatement on les emmena dans le hall du commissariat. Puis très vite les policiers les tirent sortit dans le rue où trois autos les attendaient le long du trottoir. Ils montèrent dans la voiture du centre. Au volant, le sergent FLN qui les avait arrêtés, André assis à coté de lui ; à l'arrière l'oncle et la tante à qui on remit un drapeau algérien à tenir déployé par la vitre ouverte. La et 3' voiture chargées de soldats en uniforme, drapeaux algériens déployés par les vitres ouvertes.
Le convoi se dirigea à toute allure vers la Sénia, où, l'avion, prêt à décoller les attendait encore, sans grand espoir de les revoir. La tante dans ses larmes et son dés-espoir avait fait promettre au sergent de ramener André chez lui : il n'est pas coupable !
Il a seulement voulu nous rendre service ! si vous avez une grand-mère vous devez nous comprendre. Et le sergent comprit !!... Il ramena André à la maison. Peut-être avait-il été impressionné par le grade de Colonel du gendre de l'oncle Maxime ? Peut-être la plaidoirie de l'oncle en faveur de leur innocence avait-elle été efficace ? Où peut-être tout simplement le colloque, plus que tardif, du Général Coste, commandant l' espace militaire français d'Oranie, avec les nouvel-les autorités Algériennes, avait-il porté ses fruits.
Pour André, le lendemain matin son père lui fit prendre le 1er cargo pinardier en partance pour Marseille. Pour lui, c'était plus raisonnable et plus sûr !
Témoignage de Madame Paulette Leutenegger In Mémoire vive CDHA N°26