Robert Ménard : “On raconte l’Histoire avec des lunettes idéologiques, et de cela, nous en avons assez”
1/ Vous publiez ces jours-ci un nouveau petit livre d’une trentaine de pages, “Vive l’Algérie Française”. Après “Vive le Pen”, pourquoi avoir choisi ce thème ?
D’abord, bien sûr, parce que je suis moi-même pied-noir. Je suis né à Oran et j’ai quitté l’Algérie en juin 1962, quelques semaines avant l’indépendance. Ce livre, né d’une rencontre avec Thierry Rolando, le président du Cercle Algérianiste — la plus importante association culturelle et mémorielle des Français d’Algérie — m’a permis de me pencher sur ces années de guerre qui m’ont tellement marqué. Mais ce n’est pas uniquement pour cette raison que nous avons signé ce livre ensemble. Il s’agit aussi, avant tout, de dénoncer, une fois de plus, le manichéisme des médias, des intellectuels, des historiens. Aujourd’hui, la guerre d’Algérie est toujours racontée de la même manière, avec les bons (les militants FLN) et les mauvais (les pieds-noirs). On parle des membres du FLN torturés mais jamais ou presque de ceux qui ont été torturés par le FLN. Bref, on raconte l’Histoire avec des lunettes idéologiques. Et de cela, nous en avons assez. D’où ce petit pamphlet à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie et de la proclamation de l’indépendance.
2/ Votre “Vive le Pen” vous avait amené pas mal de souci, notamment d’être viré de RTL, ne craignez-vous pas d’attirer sur vous à nouveau les foudres de la bien-pensance ?
Je vous avoue que je m’en moque. Et puis je fais confiance à mes employeurs actuels – i>TELE et Sud radio – pour ne pas céder à une éventuelle campagne de nos éternels donneurs de leçons. Il y a plus de 25 ans que je me bats – hier à la tête de Reporters sans frontières, aujourd’hui comme journaliste-éditorialiste – contre la mainmise d’une certaine façon de penser – ou plutôt de ne pas penser – dans les médias : je ne vais pas jeter l’éponge…
3/ Nous avons constaté un traitement médiatique à sens unique sur la guerre d’Algérie, l’historien Benjamin Stora étant bien plus invité que d’autres historiens ayant une analyse moins favorable au FLN que la sienne. Vous le constatez aussi dans votre livre, d’où cela vient-il et comment inverser la tendance ?
D’abord d’une inculture historique qui fait que les journalistes, dans leur immense majorité, ne se posent jamais de question sur la manière dont on nous raconte tel ou tel événement. Ensuite, de ce qu’il faut bien appeler une certaine facilité, pour ne pas dire fainéantise : on connaît Benjamin Stora, pourquoi se donner la peine d’aller chercher ailleurs ? Enfin, un suivisme généralisé qui fait qu’on se copie d’un média à l’autre, qu’on répète à satiété les mêmes choses, qu’on ne veut pas faire de vagues… Comment changer tout cela ? Je n’en sais rien si ce n’est qu’il est hors de question de baisser les bras. Aujourd’hui, le politiquement correct n’est pas imposé aux médias. Il est le fait des journalistes eux-mêmes qui pensent trop souvent la même chose, fréquentent les mêmes lieux, lisent les mêmes livres…
4/ François Mitterrand avait justifié la torture en Algérie en tant que Ministre de la justice sous la IVe République, pourtant la gauche parvient encore à faire la leçon à Jean-Marie le Pen qui aurait torturé en Algérie mais qui était sous les ordres du gouvernement, donc de Mitterrand. Pourquoi la droite est-elle si complexée en général et sur la guerre d’Algérie en particulier ?
Tout simplement parce que la droite a honte d’elle-même. Elle a toujours peur que la gauche vienne lui faire la morale. Elle court sans arrêt après la bénédiction d’intellectuels qui sont des affidés de la gauche. Souvenez-vous avec quel empressement la droite a reculé sur la question des « aspects positifs » de la colonisation. Comme s’il n’y en avait aucun ! Qui peut sérieusement le penser ? Il ne s’agit pas de faire l’apologie du colonialisme, mais simplement de tenter de regarder les choses telles qu’elles sont. En France, la droite se croit « moderne » quand elle adhère à certaines loufoqueries de ses adversaires politiques. Bien incapable de gagner la bataille des idées, elle perd aussi sur le front électoral. C’est d’abord de sa faute. Il faut ajouter à cela, concernant la guerre d’Algérie, le culte de De Gaulle, partagé aujourd’hui par la droite comme par la gauche, et qui rend quasi impossible tout regard distancié sur ce qui s’est passé de 1954 à 1962 en Algérie…
5/ Votre ex-confrère de RTL, Eric Zemmour, est sous la menace d’une sanction de cette station pour avoir trop critiqué la nouvelle ministre de la Justice : lui apportez-vous votre soutien alors que lui-même ne vous a pas soutenu publiquement quand vous vous êtes fait limoger de RTL ?
Si l’on ne devait soutenir que ceux qui se comportent bien… il n’y aurait pas beaucoup de boulot. Mais le plus important n’est pas là. Bien sûr que je soutiens Eric Zemmour. Le procès en place publique qui lui est fait témoigne du climat d’intolérance qui pourrait gagner les médias si nous n’y prenons pas garde. En France, on n’aime pas la liberté. On ne pratique le débat qu’entouré de garde-fous. On ne défend la liberté d’expression que pour ses amis, que pour ceux qui pensent comme vous ! Ce goût, cet attrait pour la censure est partagée par la droite et la gauche. La seule différence est que la gauche est convaincue, non seulement de détenir la Vérité, mais d’incarner le Bien. Le fond de l’air est rouge, comme disait feu le Président Mao Tsé-toung. Attention à ce que certains ne se retrouvent pas dans quelque mine de sel…
6/ L’affaire Pierre Salviac, lui aussi limogé de RTL pour avoir fait une blague jugée insupportable par la direction de RTL sur la femme du nouveau chef de l’Etat, annonce-t-elle une reprise en main des médias par la gauche ?
Je ne sais pas si cette blague de mauvais goût est annonciatrice d’une reprise en mains. Elle témoigne de la crainte qui s’empare des directions des médias dès qu’elles voient se profiler la menace d’une campagne lancée par des associations de lutte contre le racisme, l’homophobie ou le machisme. Des associations qui sont devenues, au fil des années, les premiers censeurs. Il suffit que l’une d’entre elles élève la voix pour que tout le monde se couche. Elles n’ont plus besoin de faire des procès, la seule menace d’une procédure suffit à faire rentrer tout le monde dans le rang.
7/ Les néo-réac comme on les a appelés, c’est-à-dire vous-même, Ivan Rioufol, Eric Zemmour, Elisabeth Lévy, Eric Brunet, Natacha Polony et quelques autres, ont connu de belles années sous Sarkozy, et sont aujourd’hui menacés, y a-t-il un rapport selon vous ?
Si l’arrivée de la gauche au pouvoir va encore davantage cadenasser le débat, je suis convaincu que les médias n’ont besoin d’aucune pression pour faire d’eux-mêmes le sale boulot. Ce qui a protégé jusqu’ici – encore que, comme vous le rappeliez au début de cet entretien, on m’a vidé de RTL sans grand ménagement… – ceux qu’on a appelé les « néo-réacs », c’est notre « popularité » auprès du public.
Détestés par la quasi-totalité de la profession, nous sommes applaudis par tous ceux – et ils sont nombreux – qui ont le sentiment qu’on leur vend toujours la même soupe. Est-ce que cette protection suffira à l’avenir ? Je n’en suis pas sûr…
Merci d’avoir répondu à nos questions Robert Ménard.
Source : http://www.enquete-debat.fr/ |