On ne résumera pas ici la vie du commandant Hélie de Saint Marc, depuis son enfance bordelaise (comme Dom Gérard, dont il deviendra, bien plus tard, l’ami) jusqu’à la sortie de prison, au début de 1967 : « Je n’avais plus de papiers d’identité, plus de carnet de chèques, plus de maison, plus de métier. Pendant de longs mois encore, j’étais un citoyen de second rang. »
Que retenir de cet itinéraire ? D’abord la Légion étrangère. Elle fut « la grande affaire de ma vie » dit Hélie de Saint Marc. On est d’autant plus sensible à tout ce qu’il écrit sur la Légion – une nouvelle fraternité, le monde de l’oubli et de l’engagement, l’honneur de servir – lorsqu’on a soi-même, ces jours-ci exactement, un adolescent de 17 ans et demi qui s’engage à la Légion.
De l’incarcération à Buchenwald, qui a précédé de si peu d’années l’engagement à la Légion, on retiendra les regards des déportés : « Il n’y avait plus d’étincelle ni d’attention. C’était un regard tourné vers la mort, un regard absent, terrible, vide. » On relèvera aussi ce témoignage sur la réalité de l’univers concentrationnaire qui ne fut pas constitué que de héros et de martyrs : « Les déportés qui ont prospéré dans l’administration des camps sont protégés par l’horreur du fait concentrationnaire, qui les recouvre de son ombre. J’entends et je lis aujourd’hui certains témoignages de ces déportés peu ordinaires. J’ai parfois envie de leur écrire que je me souviens d’eux, avec leur belle veste capitonnée, leurs bottes et des livres qu’ils pouvaient emprunter à la bibliothèque de Buchenwald. Un peu de pudeur les obligerait davantage. Avoir été concentrationnaire n’est pas un label suffisant, loin s’en faut. »
Enfin, sur la prison ordinaire, pour ainsi dire, comment ne pas retenir le témoignage d’un homme qui a connu la prison politique à Tulle dans les années 1960 : « Aucune solidarité humaine ne pourra jamais empêcher l’enfermement d’attaquer les prisonniers dans ce qu’ils ont de meilleur. Comme la rouille érode le fer, la prison détruit. C’est un pourrissoir moral. L’uniformité des jours m’écrasait. J’étais nourri, chauffé, logé. Je n’avais plus aucune initiative, aucune responsabilité. Chaque heure, chaque minute, il fallait résister à la destruction de soi. Au fil des mois, l’angoisse devint mon ennemie familière : l’impuissance, l’accablement des aubes sans oubli, l’ennui monstrueux que rien ne pouvait combler. L’angoisse montait à intervalles réguliers, comme une marée puissante, bousculant les résolutions, la volonté, le courage. »
Au total, un livre fort et beau. Sans fioritures, sans formules élégiaques et faciles, sans lyrisme menteur.
• Hélie de Saint Marc, L’Aventure et l’Espérance, Les arènes, 275 pages.
IN PRESENT - YVES CHIRON - Article extrait du n° 7260 |