Les souffrances secrètes des Français d’Algérie 
Raphaël DELPARD

 
 
 







Raphaël Delpard
Biographie : Raphaël Delpard, cinéaste et romancier, est l'auteur d'un travail de mémoire sur l'Algérie: 20 ans pendant la guerre d'Algérie, L'Histoire des pieds-noirs d'Algérie, Les Oubliés de la guerre d'Algérie
(Éditions Michel Lafon).
Bibliographie :
Les rizières de la souffrance
Les convois de la honte
Aux ordres de Vichy
Les souffrances secrètes des Français d'Algérie

       

Dans le livre tout récent qui vient d’obtenir le prix veritas 2007 :
« Les souffrances secrètes des Français d’Algérie » (Editions Michel-Lafond – Février 2007), Raphaël DELPARD, qui a déjà publié depuis l’an 2000 de nombreux livres sur le drame algérien, en particulier une évocation très émouvante sur «  Les oubliés de la guerre d’Algérie » (même éditeur en 2003), se livre à un réquisitoire contre le complot officiel du silence dans une Métropole qui continue à afficher, au mieux, sa bonne conscience et son irresponsabilité totale dans cette tragédie nationale.

On rencontre, au pire, une hostilité toujours renaissante et toujours aussi vivace, en particulier parmi tous ceux qui se gratifient d’une conscience de gauche, ceux qui, selon la fameuse formule, se sont pourtant annexé le privilège du cœur !

La suffisance d’une telle prétention, incompréhensible dans n’importe quelle autre société démocratique, prend sa source dans la forme la plus intolérable du racisme et de l’exclusion. Ce racisme politique, qui implique un classement moral civique des Français en bons et mauvais citoyens, est l’héritage détestable que nous a laissé le gaullisme, aussi détestable en tout cas que celui du marxisme avec lequel il s’est si souvent associé pour condamner et exclure tant de citoyens français.

 « Je ne lutte pas contre le mal, mais contre l’indifférence au mal » Cette citation d’Elie Wiesel que l’auteur place en exergue de son livre en exprime parfaitement l’esprit. Il est vain en effet de vouloir dialoguer avec une certaine coterie intellectuelle et politique de gauche, celle de ces grands pourvoyeurs d’idéologies qui, prenant la suite du gaullisme, ont fait de la haine et de la calomnie du Français rapatrié une sorte de profession de foi républicaine, un lieu commun de militantisme politique, une sorte de « valeur ajoutée citoyenne» complètement dévoyée, où l’esprit publique régresse au niveau de la mentalité primitive, celle qui a besoin de règlements de comptes et de coupables à sacrifier pour remédier aux maux chroniques de la société.

Raphaël Delpard, dans son dernier ouvrage, veut s’adresser surtout à la majorité des Français métropolitains qui ont, dans ce drame algérien, péché par « indifférence au mal », égoïsme, ignorance sincère ou volontaire de toutes les atrocités qui se passèrent dans tout le courant de l’année 1962, de l’autre côté de la Méditerranée. Il est certain qu’une formidable manipulation de l’opinion métropolitaine, et l’aveuglement qui en est, ensuite, résulté pour celle-ci, ont pu excuser ce vote fatal du 8 avril 1962 (approuvé à plus de 90% des métropolitains !)

Nous voulons bien admettre que peu de ces derniers, à part les marxistes et leurs complices chrétiens progressistes ouvertement alliés au FLN, mesuraient réellement toutes les conséquences de ce vote qui laissait à De Gaulle les mains libres pour installer, sans transition, à Alger un pouvoir extrémiste et totalitaire, le pire ennemi que la France ait rencontré dans le monde depuis la fin de la seconde Guerre mondiale !

 Ce parti qui avait mis dans son programme - Houari Boumedienne l’a ouvertement reconnu en 1971- l’expulsion ou l’extermination de tous ceux qui, quelle que soit leur confession, se réclamaient du parti de la France.

 

Lors du colloque de Lyon en juin 2006 à l’Ecole Normale Supérieure, un historien musulman nous a avoué, dans les coulisses, entre deux conférences, que jamais les dirigeants du FLN qui venaient de prendre le pouvoir en 1962 n’auraient pu imaginer que De Gaulle leur faciliterait à ce point la tâche en laissant massacrer ainsi ses concitoyens français durant toute l’année 1962 !

 Tous s’attendaient à ce que l’Armée française protège les ressortissants français menacés, tout au moins contre les bandes de terroristes incontrôlées qui ravageaient le pays, comme l’aurait fait spontanément n’importe quelle armée au monde, au lieu de rester honteusement consignée dans ses casernes, comme De Gaulle lui en avait formellement donné l’ordre, en dépit des appels au secours qui jaillissaient de partout !

Combien de vies françaises, hommes femmes et enfants auraient pu être sauvées si l’armée française avait simplement fait son devoir, en intervenant par sa seule présence, comme le prévoyait d’ailleurs  expressément les accords d’Evian ?

 Là encore jamais accords furent autant considérés comme « chiffons de papiers » par De Gaulle lui-même, et cela au détriment de ses propres compatriotes ! Comment les responsables FLN auraient-ils pu respecter les Français d’Algérie alors qu’ils voyaient le mépris avec lequel De Gaulle traitait ces derniers !

Dans les cas, trop rares, où des chefs militaires courageux ont pris sur eux d’intervenir, les massacres ont aussitôt cessé !

C’est ce qui ressort principalement des témoignages parfois pathétiques que rapporte Raphaël Delpard dans ce livre courageux qui se situe à contre-courant de l’enseignement officiel solaire  plus mensonger et calomniateur que jamais, depuis le colloque universitaire de Lyon. .

On doit désobéir à des ordres criminels : c’est la notion d’éthique la plus élémentaire qui ressort de tous les grands procès des criminels de guerre depuis des décennies.

 De même une armée française qui ouvre le feu sous une foule sans armes de citoyens français, hommes femmes et enfants et qui reçoit les félicitations de ses chefs (Ailleret et Fourchet) est une armée qui s’est déshonorée. C’est de ces chefs militaires, et gaullistes fanatiques complices, que nous attendons la  vraie repentance !

Mais ensuite ce qui est devenu aussi impardonnable c’est l’hypocrisie avec laquelle tant de Français métropolitains qui, au spectacle tragique du grand exode précipité du printemps 1962 dont nous célébrons le 45 émet anniversaire en cette année 2007, ont fermé les yeux obstinément sur tant de détresse bien visible , quand ils ne manifestèrent pas une hostilité ouverte, contre nature, en tout cas contraire à toutes les traditions françaises d’humanité et d’hospitalité envers ceux qui étaient en droit d’être accueillis comme des compatriote dans le malheur, fuyant la barbarie des massacres et des enlèvements

Dans n’importe quel pays civilisé au  monde il se serait levé spontanément un grand mouvement d’aide et de solidarité tout naturel en faveur de concitoyens rapatriés, la plupart dans le plus extrême dénuement…

Ainsi le cas s’est produit en Grande Bretagne et aux Pays Bas, dont les peuples vers la même époque accueillirent avec une grande chaleur et une grande solidarité leurs compatriotes qui furent aussi nombreux à arriver à Londres venant de l’Afrique orientale, ou à Amsterdam venant d’Indonésie.

L’accueil très généreux et très solidaire des Anglais et des Hollandais envers leurs compatriotes dans le malheur prouvèrent  que ces peuples appartenaient bien, eux, à une grande nation !

 La France hexagonale dont le président Charles De Gaulle n’avait pourtant que le mot de grandeur à la bouche, avait complètement oublié sa grandeur passée par la façon ouvertement hostile dont, à part quelques exceptions, elle accueillit en ce tragique printemps 1962 ses concitoyens rapatriés d’Algérie. Souvenons-nous de l’ignominie de Gaston Defferre, maire de Marseille, qui déclarait, ouvertement : « Que les Pieds Noirs aillent se rapatrier ailleurs ! ».

Voilà, hélas, ce que l’Histoire retiendra pour le plus grand déshonneur de la France. Le fait de refuser obstinément  de reconnaître, 45 ans plus tard, cette évidence de l’égoïsme d’une grande partie des Français métropolitains n’étant que l’aveu tacite d’une culpabilité latente qui paraissait à ces derniers insupportable à regarder en face.

Dans la plupart des réunions de sociétés métropolitaines, en dehors même de celles où domine la gauche militante et marxisante, le simple fait de prononcer le mot « Pied-Noir » dérange toujours … ne serait-ce qu’une seconde !

Constatation personnelle maintes fois éprouvée, que confirme l’historienne  Jeannine Verdes Leroux dans son livre « Les Français d’Algérie » (Fayard 2001). Comme test de culpabilité enfouie, il est difficile de trouver mieux… C’est des Français métropolitains que nous attendons la vraie repentance.

 « Dès leur arrivée en métropole – écritRaphaël Delpard – nous aurions dû prendre les mains de nos sœurs et de nos frères d’Algérie pour faire cesser leur tremblement et apaiser leur angoisse. Après cela, nous aurions été prêts à écouter, nous aurions pu parler, nous aurions essayé de comprendre, mais jamais pour condamner. C’est cela, un peuple. ».Tel aurait été, en effet le témoignage d’un grand peuple !

Combien la France hexagonale en fut loin, non seulement en 1962, mais, et aussi dans les années suivantes, avec cette lutte pied à pied contre l’application, même la plus restrictive, de la loi d’indemnisation pourtant votée en décembre 1961, à commencer par De Gaulle lui-même, qui poussant la haine jusqu’à la forfaiture, en avait refusé la moindre étude préalable, jusqu’à son départ en Avril 1969.

 Peut-on imaginer une minute qu’un Premier Ministre d’Angleterre puisse refuser d’appliquer pendant près de 7 ans une loi votée par le Parlement en faveur de citoyens britanniques ayant perdu tous leurs bien outre-mer, au seul prétexte que lui, personnellement, «  n’aimait pas ces gens là ! »

C’est exactement ce qui s’est passé dans ces années  comme l’avait rappelé si magistralement Me Jacques RIBS dans son fameux «  Plaidoyer pour un million de Victimes » (Robert Laffont 1975) Le Parlement français bafoué dans ses attributions constitutionnelles par De Gaulle s’était tu honteusement. Et l’on voudrait plus que jamais hisser sur le pavois de la grandeur cette France gaulliste des années 1960, une France qui, 45 ans après leur exode, n’a jamais indemnisé ses enfants rapatriés d’Algérie qu’à hauteur de 22% des patrimoines qu’ils ont dû abandonner! Alors il faudrait redéfinir le sens du mot grandeur.

Parmi tous les témoignages que cite dans son livre Raphaël Delpard, le chapitre concernant l’OAS, tant calomniée aveuglement  en métropole doit retenir l’attention.

« Le chercheur impartial arrive à la conclusion suivante : la création de l’OAS était une nécessité absolue… Pendant des mois les Européens se font massacrer, la France vient à leur secours du bout des lèvres et transforme les bourreaux du FLN en victimes Cette situation finit par devenir insupportable et intolérable pour l’homme de la rue. Quelle société pourrait accepter qu’on la terrorise jour et nuit, que ses enfants soient égorgés au fond des fossés, ses femmes violées et éventrées, sans jamais réagir ? Jacques Soustelle dans ses Mémoires affirme : « une organisation aurait surgi de toute façon de la masse du peuple français d’Algérie ».poussés à bout les Français d’Algérie ont été contraints de s’organiser face au terrorisme du FLN en créant un mouvement capable de lui tenir tête. » (Raphaël Delpard. Page 147)

Il faut rappeler que par décret du 10 mai 1961. De Gaulle avait décidé que l’Armé française devait interrompre unilatéralement les combats, laissant au FLN le champ libre pour circuler dans tout le pays, et ordonnant, dans le même temps, la libération inconditionnelle à partir du 20 mai 1961 des 6000 tueurs du FLN capturés jusqu’ici.

Cette décision folle et criminelle de De Gaulle va entraîner les plus vives protestations  du général Crépin, pourtant gaulliste inconditionnel, qui prévoyait le pire. (Jean Morin « De Gaulle et l’Algérie »-Albin Michel 1999- page 153))

Les attentats contre la population civile vont reprendre aussitôt et l’Armée française n’aura plus le droit de les réprimer, et cela déjà plusieurs mois avant la capitulation d’Evian. La révolte de l’OAS devenait alors parfaitement justifiée : dans toute collectivité menacée dans sa survie, le recours aux armes a toujours été légitime.

Il est certain que si le général Crépin avait eu du caractère, il aurait démissionné aussitôt. Il courbera l’échine et souhaitera être rappelé en métropole pour s’en laver les mains, laissant la place à un homme sans état d’âme celui-là, Ailleret, prêt à tirer sur la foule algéroise, prêt à obéir à tous les ordres criminels par fidélité envers de De Gaulle, ce qui lui vaudra rapidement le poste suprême de chef d’Etat Major de l’armée dans une promotion aussi fulgurante que peu glorieuse.

Entre temps ce triste officier aura eu la bassesse d’aller insulter Salan enchaîné sur le point  d’être transféré en métropole et fera connaître ce geste « héroïque » dans la presse, ce qui dut lui valoir un surcroit de faveur auprès de son maître qui savait si bien user – en les méprisant secrètement – de ce genre de serviteur .

C’est auprès des familles et des descendants des victimes de Bal el Oued, de la rue d’Isly, et d’Oran, et des milliers de disparus qu’elle a abandonnés à la mort tout au long de cette année 1962, avec des yeux vides de janissaires, « parce qu’elle en avait reçu l’ordre », si criminel soit-il, que l’Armée française devra un jour faire repentance devant l’Histoire…

Le livre remarquable de Raphaël Delpard devrait être lu, et diffusé autour d’eux, par tous nos adhérents  comme une réhabilitation du parti de la France en Algérie après un si long et si scandaleuse injustice.
Pierre CATIN
IN VERITAS N° 113

   
   

Résumé : Ils n’ont pourtant pas conquis l’Algérie par les armes. Ils s’étaient installés dans une province française, celle-ci réclamait son indépendance, on allait la lui donner, mais non sans canaliser la haine sur ceux qui avaient osé venir
l’habiter. Les meilleures intentions ont parfois besoin de victimes expiatoires… Pas étonnant, dans ces circonstances, que dès le lendemain des accords d’Evian, ce soit la curée. Après le massacre de 140 000 Harkis, pour les pieds-noirs, c’est
« la valise ou le cercueil ». En quelques mois, plus d’un million d’entre eux fuient vers la « métropole ». Mais en France, personne ne veut en entendre parler. L’opinion publique les abandonne, les pouvoirs politiques s’en désintéressent, pas un intellectuel ne vient à leur secours. L’Histoire elle-même voudra les oublier...
Raphaël Delpard tente de mettre un terme à cette tragique ségrégation dans des pages brûlantes, étayées par des témoignages forts et des documents inédits. Une réhabilitation qui s’impose, après une aussi scandaleuse injustice.

Prix 20 €
Fiche technique : Éditeur Michel Lafon
Date de parution : 1 février 2007
Pagination : 286 pages
Format : 153 x 235cm
ISBN : 978-2-7499-0586