PROCES PREFET DE MARSEILLE CONTRE COMMUNE DE MARIGNANE ET ADIMAD
28 avril 2011
L'Etat a été, en outre, condamné à payer 1000€ à la mairie et 1000€ à l'Adimad
C’était la seule affaire à traiter, et elle l'a été en une quarantaine de minutes, hier après-midi, au tribunal administratif.
Le référé-suspension de la délibération du conseil et de la convention d'occupation du domaine public, déposé, le 1er avril 2011, par le préfet. Comme l'a expliqué le juge des référés, Philippe Portail, qui a résumé, de manière rapide, les arguments des parties: le préfet, l'Adimad (Association de Défense des Intérêts Moraux et matériels des Anciens Détenus et exilés politiques de l'Algérie française), et la commune de Marignane.
Pour le préfet, il a expliqué que celui-ci avait notamment considéré que "l'absence d'intérêt communal pouvait s'apparenter à un détournement de pouvoir".
Pour l'Adimad, Philippe Portail a déclaré que celle-ci soutenait ne participer "à aucune apologie de crime de guerre", qu'elle "rend hommage aux morts" et qu'il "faut attendre le pourvoi, donc ne pas prononcer la suspension".
Pour la préfecture, "ce monument n'est pas neutre, il représente un personnage fusillé
Enfin, pour la commune, le juge a expliqué que celle-ci considérait que "la stèle ne portait pas atteinte à la neutralité du cimetière", que "la gestion de cela est bien communale" et qu'une "grande partie de la population est composée rapatriés".
Ensuite, les parties se sont exprimées. Une employée du service contentieux de la préfecture a brièvement expliqué : "Le préfet a déféré la convention et la délibération. Ce monument n’est pas neutre, il représente un personnage fusillé ce qui peut entraîner un trouble à l'ordre public. Et le cimetière est un lieu neutre fréquenté par la population.
L'avocat de la commune de Marignane, Me Philippe Gras, lui a succédé: "Il ne s'agit pas de refaire l'histoire de l'Algérie française et de la décolonisation, mais d'apprécier, au regard du droit, la légalité de ces deux actes" (la délibération et la convention entre la mairie et l'Adimad, NDLR).
Me Gras a estimé que concernant le risque de trouble à l'ordre public mis en avant par le préfet, sa requête était "brève et sans aucune justification". Il a ensuite rappelé l'histoire de cette stèle, affirmant qu'elle avait été "réinstallée le 13 mars 2011 " (elle l'a en fait été le 11 mars, NDLR), que le préfet n'apportait "pas le moindre fait relatif à un trouble à l'ordre public" et qu'il ne s'était "rien passé sur le terrain ". Pour lui, "dire qu'il y a toujours un fusillé les mains liés ne suffit pas". Il a ensuite admis : "Il y a toujours des inscriptions pour les défunts morts pour l'Algérie française, éventuellement fusillés. Mais par qui ? On ne le sait pas. Mais ceci n'est pas constitutif d'un trouble à l'ordre public".
Il a ensuite évoqué les dates inscrites sur la stèle: "Il n'y a aucune exécution à mort d'un condamné. Je ne vois donc pas où est le risque de trouble à l'ordre public". A propos de "l'absence d'intérêt communal " soulevée par le préfet, il a estimé que "les communes doivent se préoccuper de la mémoire de notre histoire et le maire, gestionnaire du cimetière, donne les autorisations, et quoi de plus normal qu'un monument commémoratif dans un cimetière ?". Il a, enfin, cité la loi de 2005 "qui reconnaît l'apport, pour la nation, de ce qu'ont fait les personnes qui sont parties mettre en œuvre la colonisation" et a interrogé : "Comment le représentant de l'Etat peut-il s'opposer à cette loi?".
Puis, c'est Me Chiaverini, pour l'Adimad, qui s'est exprimé, rappelant l'histoire de l'Algérie française, et "deux guerres, celle de la colonisation et la deuxième, de 1954 à 1962. De 1954 à 1960, tous les gouvernements sont pour l'Algérie française, tous ceux qui sont morts là l'ont été pour la France. Reste la période de 1960 à 1962 où certains se sont éloignés de la légalité, de hauts gradés comme le général Salan. Et 150 000 Harkis égorgés, ce n'est pas rien. 27 000 soldats aussi. Reste 119 morts de ÏOAS, c'est une goutte d'eau".
Maître Philippe Gras et Maître Philippe Chiaverini, respectivement pour la commune de Marignane et l’ADIMAD
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Pour la défense, "dire qu'il y a toujours un fusillé les mains liés ne suffit pas".
Il a ensuite déclaré: "L'Adimad peut paraître sulfureuse, elle a vocation à installer des stèles, c'est conforme au rôle des communes. Il y en a à Théoule, à Perpignan. ..et la seule à poser problème, c'est celle de Marignane, car le fils d'un commissaire a fait un recours qui a entraîné l'annulation de la décision. Mais la cour n'a pas vraiment confirmé le jugement, trois dates posaient problème. Et les parties se sont rapprochées pour mettre en musique l'arrêt de la cour. Le maire a enlevé ces dates et le préfet attaque cette délibération, en disant qu'on a ajouté une date, c'est faux. Elle est actée dans le jugement de 2005 et n'a pas choqué la cour administrative d'appel". Autre argument, par rapport au risque de trouble à l’ordre public : "La cour administrative d'appel en avril 2010 a annulé l'arrêté du préfet qui interdisait le rassemblement (inaugural, NDLR), il n'y a donc pas de trouble de l’ordre". Enfin, concernant la semaine des Barricades, il a suggéré, à propos des gendarmes tués : "On ne sait pas qui a tiré, les gendarmes se sont peut-être entre-tués ".
Le juge des référés a ensuite demandé aux employées de la préfecture si elles avaient quelque chose à ajouter, elles ont répondu par la négative.
Environ trois heures après, la décision du juge est tombée : la requête du préfet a été rejetée. L'ordonnance dit notamment : "Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de suspension, aucun des moyens invoqués par le préfet ne paraît propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions dont la suspension est demandée". L'État est, en outre, condamné à verser 1000 € à la commune et 1000 € à l'Adimad. La préfecture a 15 jours pour faire appel. Hier soir, personne n'a pu nous renseigner à ce sujet.
Emmanuelle ELBAZ eelbaz@laprovence-presse.fr