L'affaire de Marignane à la lumière de Jean Raspail
Monsieur Eric [rien à voir avec le héros de Joubert] Le Disses est le nouveau maire de Marignane. Ce n'est certes pas un maire « rouge », qui ouvrirait ses bras aux « camarades » pour les laisser passer, et les refermerait sur les nationaux pour les engloutir. Ce n'est pas non plus un « kmaire vert », comme celui de la capitale, fustigé par l'ami Sanders.
C'est officiellement un « divers droite », un « dvd » comme on écrit en abrégé. Mais le film qu'il nous déroule est quelque peu éprouvant. Un film noir ? Même pas. Ou plutôt bien plus : un film gris. Et ce gris n'est pas celui des armées confédérées, faut-il le préciser ?
Car ce Le Disses, élu rappelons-le avec l'apport massif et aveugle des patriotes de sa ville, se révèle être un remarquable (c'est même tout ce qu'il y a de remarquable chez lui) agent d'une forme de terrorisme : un terrorisme institutionnel, historique et mental, destiné à exterminer l'adversaire jusqu'à effacer sa mémoire au fond du tombeau afin que nul ne puisse plus évoquer son nom. Bien sûr, lui, calé dans son fauteuil d'édile, il n'a pas de sang sur les mains. Et pour cause ! Les morts, les vieux morts d'il y a bientôt un demi-siècle, transpercés de balles tirées de « fusils levés à l'épaule des frères », ont depuis longtemps fini de saigner, et la terre qui les a vu tomber s'en est abreuvée.
En fait, Le Disses qui n'est ni rouge, ni vert, ni noir, Le Disses est gris. C'est un homme gris, rouage d'un mécanisme gris. Et ce mécanisme gris est une machine à broyer, médiatique et judiciaire, produit cérébral des officines grises qui se sont lovées dans la société. Alors, gris est son comportement, entre rouerie et veulerie. Grise est son action, qu'il déploie dans l'ombre des jours d'automne. Grise aussi son argumentation, décalquée des maîtres qui l'instrumentalisent. Grise sa pensée, qui n'est même plus la sienne.
Dans le gris, tout est lisse, tout glisse. Le gris est la couleur de la brume uniforme. C'est celle aussi de la pollution, dont l'étang est coutumier. C'est celle des âmes mortes. L'homme en gris peut ainsi s'introduire nuitamment dans les cimetières, exhumer mentalement avec ce bloc de pierre vulnérable mais qui crie, ceux dont les noms sont gravés, qu'il veut à tout prix, exécutant les ordres dictés par les ombres grises qui planent sur lui, dissoudre dans la fosse commune du souvenir. Il passe ainsi à travers les murs franchissant sans sourciller les frontières du royaume éphémère des vivants pour entrer dans l'empire des morts. Ces morts l'obsèdent, eux qu'on ne pourra jamais habiller de gris, ces morts debout qui dérangent son regard ride, embrumé, et qui font un bruit assourdissant troublant le calme cotonneux de son univers gris.
Comme un voile lourd qui étouffe les âmes, le rideau gris dont Le Disses a déclenché le mécanisme en appuyant son doigt gris sur la stèle de pierre avant les premières lueurs d'une aube grise, va maintenant s'étendre sur sa ville, rendant illusoire sa nonchalante activité aux couleurs provençales. Comme un liquide nocif s'infiltrant partout, dans les foyers comme dans les esprits, le gris va devenir la tonalité de rigueur, et malheur à celui ou celle qui tentera de s'en débarrasser. Il n'y aura plus alors qu'à partir. Non pour fuir, mais pour survivre en repartant à la conquête de soi. Un acte de résistance à l'oppression du « grisement correct ». Sur place, il y a encore une gare, et même une aérogare, mais il faut faire vite, avant d'être contraint, pour pouvoir circuler, de montrer patte grise. Les agents de Le Disses se préparent peut-être déjà à repeindre places et avenues de la ville en gris. Il est temps de se mettre en route. Pour le Septentrion...
Le Disses n'est pas un héros, ça il le sait. Par contre, ce qu'il ignore, c'est qu'il est, dans son rôle sinistre d'agent local du gris normalisateur, un personnage de Raspail.
Pierre Dimech IN journal Présent du 24 novembre 2008
|